• Guillaume Richard , Senior Manager |
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Afin de maîtriser les coûts de mise en œuvre et les impacts sur les états financiers, les compagnies d’assurance ont toujours souhaité un « big bang » comptable, c’est-à-dire l’application simultanée de la norme IFRS 9 (dont la date d’application est le 1er janvier 2018) avec la norme IFRS 17 (date d’application au 1er janvier 2023 dans la version définitive de la norme du 25 juin 2020).

L’International Accounting Standards Board (IASB) permet l’exemption temporaire d’application de la norme IFRS 9 pour les sociétés dont l’activité prédominante est l’émission des contrats d’assurance entrant dans le champ d’application de la norme IFRS 4.

Les états financiers de l’exercice 2023 des sociétés d’assurance seront donc publiés en appliquant pour la première fois les normes IFRS 9 et IFRS 17 : se pose la question des informations à présenter au titre de la première application de ces deux normes (ayant des dates d’entrée en vigueur initialement différentes), qu’il s’agisse des informations à présenter dans les états de synthèse et les notes annexes aux comptes consolidés, ou bien des informations spécifiques à présenter en cas d’application de nouvelles normes.

Première application des normes IFRS 9 et IFRS 17 dans les états financiers 2023 : les exigences normatives

Le cadre normatif

En 2023, les compagnies d’assurance publiant des états financiers en normes IFRS publieront leurs premiers comptes consolidés selon les normes IFRS 9 et IFRS 17. Le tableau ci-dessous présente, pour les deux nouvelles normes, les références normatives concernant les informations à présenter dans les états financiers au titre de leur première application.

Tableau 1 : Informations à présenter dans les états financiers lors de la première application des normes IFRS 9 et IFRS 17 : références normatives

Tableau 1 : Informations à présenter dans les états financiers lors de la première application des normes IFRS 9 et IFRS 17 : références normatives.

La norme IFRS 1 - Première adoption des normes IFRS ne s’applique pas pour les sociétés publiant déjà leurs comptes selon les normes IFRS.

Rappelons que les exigences d’IFRS 1 sont plus fortes : par exemple, lors de la publication de premiers états financiers IFRS, IFRS 1 exige le rapprochement pour le bilan, le compte de résultat global et les capitaux propres entre la norme comptable d’origine et les normes IFRS, à la date de transition.

IFRS 9 et IFRS 17 : des exigences harmonisées ?

Les exigences normatives au titre des informations à présenter lors de la première publication des états financiers en 2023 peuvent être analysées sous trois angles :

– la date de transition aux nouvelles normes,
– la présentation des données comparatives,
–  les informations de réconciliation entre les états financiers établis selon les normes IAS 39 / IFRS 4 d’une part, et IFRS 9 / IFRS 17 d’autre part.

Le tableau ci-dessous présente le comparatif des exigences des normes IFRS 9 et IFRS 17, qui peuvent être différentes selon les critères.

Tableau 2 : Comparaison des exigences au titre des informations à présenter lors de la première publication des états financiers IFRS 9 et IFRS 17

Tableau 2 : Comparaison des exigences au titre des informations à présenter lors de la première publication des états financiers IFRS 9 et IFRS 17.

Dès lors, face à des exigences normatives qui ne sont pas harmonisées entre la norme IFRS 9 et la norme IFRS 17, quel choix retenir pour la future publication des états financiers ?

Présentations des états financiers : options envisageables

Quelles options de présentation ?

Les états financiers présenteront :

  • L’ensemble des informations pour l’exercice 2022 (états de synthèse et notes annexes), qui seront établies obligatoirement selon IFRS 17, mais sur option selon la norme IFRS 9 : la société peut alors choisir de présenter une année comparative établie selon la norme IAS 39 (cf. Tableau 3)
  • L’ensemble des informations pour l’exercice 2023 (états de synthèse et notes annexes), en appliquant les normes IFRS 9 et IFRS 17,
  • Les informations au titre de la première application des normes IFRS 9 et IFRS 17 :
    o  Impact de la première application des normes dans les capitaux propres,
    o   Tableaux de réconciliation requis par IFRS 7.42 (réconciliation IAS39 – IFRS 9),
    o   Pour ces deux éléments : 1er janvier 2022 et/ou 1er janvier 2023.

Les enjeux de présentation des états financiers 2023 sont donc liés aux choix de présenter :

  • l’année comparative 2022 selon la norme IFRS 9 ou selon la norme IAS 39,
  • les impacts de l’application dans les capitaux propres des normes IFRS 9 et IFRS 17 au 1er janvier 2022 et/ou au 1er janvier 2023,
  • les tableaux de réconciliation requis par IFRS 7.42 au 1er janvier 2023.

Tableau 3 : Options possibles de présentation des états financiers 2023

Tableau 3 : Options possibles de présentation des états financiers 2023

Quels critères utiliser pour décider ?

Plusieurs critères peuvent permettre de déterminer le choix à retenir pour la présentation de la période comparative :

  • Impact sur le résultat financier,
  • Cohérence comptable pour les états financiers comparatifs IAS 39 / IFRS 17,
  • Impact sur les feuilles de route des projets IFRS 9 et IFRS 17, et notamment sur le développement des outils comptables (y compris outils de comptabilité auxiliaire) et de consolidation : ces derniers sont rarement paramétrés pour tenir compte de la cohabitation d’une ancienne norme et de sa remplaçante au sein d’un même jeu de données,
  • Pratiques de place.

Une approche possible : celle présentée dans les Etats financiers illustrés

Les Illustrative financial statements (IFS, Etats financiers illustrés) de KPMG aident à la préparation des états financiers selon les normes IFRS. Ils proposent un format possible de présentation pour les états de synthèse et les notes annexes aux comptes consolidés.

Les Etats financiers illustrés publiés au début de l’année 2018 et réactualisés en 2020 présentent l’information financière d’un Groupe d’assurance multinational fictif appliquant pour la première fois les normes IFRS 9 et IFRS 17.

Ils illustrent l’information à fournir pour :

  • la période annuelle commençant le 1er janvier 2023,
  • la période annuelle comparative commençant le 1er janvier 2022,
  • la première application des normes IFRS 17 et IFRS 9 au 1er janvier 2023 (exemption temporaire d’IFRS 9 appliquée jusqu’à cette date), et les différents éléments de réconciliation anciennes normes vers nouvelles normes et la date à laquelle ils doivent être produits.

Concernant les divergences d’exigences de publication entre les normes IFRS 9 et IFRS 17, les Etats financiers illustratifs de KPMG proposent le format suivant :

Tableau 4 : Présentation des informations à publier selon les Etats financiers illustrés 

Tableau 4 : Présentation des informations à publier selon les Etats financiers illustrés

Il est à noter que, dans l’état de synthèse « Tableau de variation des capitaux propres consolidés » des états financiers qui seront publiés en 2023, les capitaux propres présentés selon les normes IAS 39 et IFRS 4 seront ceux des comptes publiés au 31 décembre 2021, même si les derniers comptes qui seront effectivement publiés selon les normes IAS 39 et IFRS 4 seront ceux du 31 décembre 2022.

Une fois que le « format cible » des états financiers 2023 est déterminé, quels sont les enjeux de sa déclinaison opérationnelle ?

Enjeux de mise en œuvre

Parmi les nombreux enjeux liés à la mise en œuvre opérationnelle de la production des premiers états financiers IFRS 9 / IFRS 17, deux vont être présentés :

  • le premier enjeu a trait à la fiabilisation de l’impact de la première application de la norme IFRS 17 dans les capitaux propres consolidés,
  • le second s’intéresse au rétro-planning de production des futurs états financiers 2023.

La fiabilisation des données

Dans les premiers états financiers publiés selon la norme IFRS 17, il n’est pas obligatoire de présenter des tableaux comparatifs IFRS 4 – IFRS 17 ; toutefois, il est demandé de présenter l’effet de la première application de la norme IFRS 17 dans les capitaux propres consolidés, au 01.01.2022 (Source : Illustrative financial statements KPMG, p.18).

Même si ce montant ne fait pas l’objet d’une note spécifique le détaillant, sa maîtrise constitue un enjeu pour la communication financière, la qualité des données publiées et la justification auprès des Commissaires aux comptes.

L’explication du passage entre les données IFRS 4 et les données IFRS 17 devrait pouvoir être constituée à un niveau plus fin que le seul impact dans les capitaux propres. Pour construire ce passage entre les données IFRS 4 et les données IFRS 17, il sera nécessaire de :

  • déterminer le niveau de détail auquel on veut construire et contrôler l’information,
  • établir s’il est construit dans un outil (comptable, de reporting), ou Excel, ou en combinant les deux,
  • le contrôler pour chaque société du groupe, puis à un niveau consolidé,
  • préparer les différents contributeurs à ce travail complémentaire à l’arrêté des comptes :
    o   les sociétés du groupe seront sollicitées pour fournir les justifications de l’impact de la première application d’IFRS 17 et répondre aux questions de l’équipe centrale ;
    o   l’équipe centrale aura quant à elle la responsabilité de contrôler les données à un niveau unitaire, et de les produire et les contrôler à un niveau consolidé :
  • comptabilisation des écritures manuelles de la consolidation d’ouverture 01.01.2022 et cadrage des capitaux propres consolidés d’ouverture,
  • justification du passage IFRS 4 – IFRS 17, du niveau social au niveau consolidé,
  • notes d’analyse éventuellement.

Etant donné les délais souvent courts de production de l’information financière, les travaux de justification du passage des montants IFRS 4 aux montants IFRS 17 en date du 01.01.2022 devraient être anticipés.

Un calendrier serré

Ce calendrier peut être découpé en trois grandes catégories :

  • La production des états financiers IFRS 9 et IFRS 17 pour les comptes publiés au 30 juin (ou 31 mars 2023 en cas de communication trimestrielle) puis au 31 décembre 2023 (états de synthèse et notes annexes aux comptes consolidés) ;
  • La production des états financiers comparatifs 2022 (états de synthèse et notes annexes aux comptes consolidés), ainsi que la production du bilan d’ouverture IFRS 17 et IFRS 9 au 01.01.2022
  • La production des derniers états financiers IFRS 4 et IAS 39, jusqu’au 31.12.2022, ainsi que les tableaux de passage IAS 39 – IFRS 9 requis par IFRS 7.42.

Ce calendrier permettra l’identification des interdépendances, des superpositions de travaux et l’organisation qui en découle. Il peut également servir l’alimentation de la feuille de route globale des projets IFRS 9 et IFRS 17.

La formalisation de ce calendrier de production de l’information financière peut être pensée au regard des autres travaux de mise en place de la norme IFRS 17, notamment les travaux de détermination des provisions techniques IFRS 17 à la date de transition, et ceux liés à la stratégie de « Dry-Runs » ou « exercices à blanc » permettant de simuler les futurs arrêtés IFRS 17 et IFRS 9.  

Conclusion

Les informations à publier dans les états financiers 2023 et leur modalité de production constituent certains des nombreux enjeux de mise en œuvre des normes IFRS 9 et IFRS 17. Les exigences différentes en termes d’informations à présenter au titre de la première publication de la norme IFRS 9 ou IFRS 17 sont une des problématiques à résoudre. Une fois les grandes options prises, plusieurs contraintes opérationnelles doivent être surmontées.

De nombreux autres enjeux liés à la présentation des états financiers gravitent autour de ceux présentés ci-dessus. Les enjeux stratégiques de communication financière sont par exemple à considérer pour les conglomérats financiers : impact de la transition IFRS 17 sur les ratios bancaires, ou présentation du résultat d’assurance dans les comptes consolidés bancaires. Ce dernier point doit notamment être pensé au regard de l’actuel exposé-sondage « Primary financial statements » mené par l’IASB, portant sur la présentation des états financiers et les mesures de performance.