Découvrez la tribune de Laurence Mazevet, Associée chez KPMG Avocats, et Amélie Noël, Associée chez KPMG en France, dans Option Finance.
Impôt minimum mondial (BEPS 2.0 pilier 2) : anticiper sa mise en œuvre ?
Publié le 24 juin 2022
Passée l’épreuve de la lecture des règles modèles pour l’application du Pilier 2 publiées par l’OCDE en décembre 2021, et de leurs commentaires en mars 2022, les entreprises doivent s’atteler dès maintenant à leur mise en œuvre pratique. Les premières estimations montrent que, si les règles du Pilier 2 (ou règles GloBE1) auront souvent un impact financier limité pour les groupes français, elles emporteront dans tous les cas des contraintes documentaires et déclaratives lourdes, auxquelles les groupes doivent dès à présent se préparer.
Annoncée pour 2023 ou 2024 pour les groupes réalisant un chiffre d’affaires consolidé de plus de 750 millions d’euros, l’entrée en vigueur des dispositions du Pilier 2 visant à instaurer un impôt minimum de 15 % pour chaque juridiction f iscale d’implantation nécessite que chaque groupe s’assure de sa capacité, d’une part, à disposer des informations nécessaires dans les délais requis, et d’autre part à remplir des déclarations dont on ignore pour le moment le format exact.
En effet, même si aucun impôt complémentaire (« top-up tax ») n’est dû, les règles modèles prévoient le dépôt par chaque entité constitutive du groupe d’une déclaration spécifique dans les 15 mois suivant la clôture de l’exercice (18 mois au titre du premier exercice). Il sera toutefois possible de centraliser les obligations déclaratives des entités constitutives dans le pays de l’entité mère ultime.
Les groupes vont, en tout état de cause, devoir mettre en place un processus dédié ou a minima adapter les processus existants. Heureusement, il arrivera fréquemment qu’ils puissent s’appuyer sur des procédures et des outils qui sont déjà en place.
L’analyse du périmètre du groupe et l’identification des entités redevables
La toute première étape consiste, pour les groupes qui sont dans le champ d’application des règles GloBE, à procéder à l’analyse du périmètre du groupe et à l’identification des entités redevables.
Pour ce faire, il est sans doute possible de capitaliser sur les travaux déjà effectués pour la préparation de la déclaration pays par pays (CBCR fiscal), notamment par exemple au regard de la prise en considération des entités contrôlées non consolidées. Il convient cependant de tenir compte des spécificités des règles GloBE, comme par exemple les règles applicables aux entités intermédiaires partiellement contrôlées (c’est-à-dire détenues à au moins 20 % par une entité non-membre du groupe), ou celles liées à l’existence de coentreprises ou de joint-ventures détenues à au moins 50 % et qui sont mises en équivalence.
L’identification des données à collecter
La deuxième étape consiste à identifier toutes les données à collecter afin de satisfaire aux obligations des règles GloBE, en distinguant celles qui sont déjà disponibles. Pour mener ce recensement, il est possible de s’appuyer sur le tax package, idéalement déjà en place dans l’outil de consolidation, et qui permet d’ores et déjà d’analyser les impôts exigibles et différés constatés dans les états financiers consolidés. Le groupe peut le cas échéant l’enrichir afin de compléter les informations manquantes, en prenant soin de préciser la source identifiée ou le mode de calcul pour chacune d’elles.
L’élaboration et l’alimentation de ce tax pack « enrichi » nécessitent un travail approfondi d’analyse des règles GloBE applicables aux entités du groupe, ainsi qu’une formation des intervenants qui devront alimenter les outils avec les informations requises.
Un travail significatif doit probablement être effectué sur les ajustements dits de purchase price allocation (PPA), qui sont constatés en consolidation à la suite d’une acquisition d’une entité, en particulier lorsque ceux-ci sont comptabilisés localement par chaque entité, plutôt que distinctement dans le processus de consolidation. Il en est de même s’agissant des nombreux ajustements concernant les impôts différés requis par les règles GloBE, qui constituent les aspects les plus complexes de ces nouvelles règles.
Les groupes doivent par ailleurs choisir, en fonction de leur impact, d’appliquer ou non certaines options simplificatrices proposées par les règles GloBE, comme par exemple :– retenir le montant des charges déductibles fiscalement relatives à une rémunération sous forme d’actions, plutôt que le montant constaté dans le résultat, ce qui pourra rehausser le taux effectif d’impôt ;
- exclure les impôts différés passifs que l’on ne pense pas payer ou annuler au cours des cinq exercices futurs, afin d’éviter un recalcul fastidieux a posteriori du taux effectif d’impôt de l’exercice d’origine ;
- appliquer l’« exclusion de minimis », qui permet d’exempter une juridiction si celle-ci présente des bénéfices inférieurs à 1 million d’euros et un chiffre d’affaires inférieur à 10 millions d’euros.
Les avantages et les inconvénients sont ainsi à peser pour chacune de ces options, en vue le cas échéant d’y recourir ponctuellement.
Ces deux premières étapes constituent certainement la partie la plus importante des travaux à effectuer en termes de temps et d’investissement, même s’il est possible de s’appuyer sur les outils existants. Elles vont nécessiter une collaboration encore plus étroite entre les équipes fiscales et les équipes de consolidation.
La détermination de la «top-up tax»
Une fois les procédures de collecte mises en place, il s’agit de passer au calcul des impositions supplémentaires pays par pays (ou de la vérification et de la documentation de l’absence d’imposition supplémentaire). Au-delà de la détermination du montant de « top-up tax » pour une juridiction donnée, les calculs doivent intégrer les répartitions entre entités constitutives ainsi que les montants effectivement dus par chaque redevable identifié, en tenant compte de l’adoption ou non des dispositions du Pilier 2 par chaque juridiction et des schémas de détention. Les groupes pourront à cet effet s’interroger sur une internalisation ou une externalisation de ce processus, en fonction notamment de sa complexité et des enjeux associés. Une gestion en interne des calculs et du déclaratif fiscal associé nécessitera dans de nombreux cas d’adapter les outils existants, dont le logiciel de consolidation, et/ou de se doter de solutions dédiées. Il est probable que des éditeurs proposent prochainement des solutions répondant à ces besoins, en complément des outils développés par les cabinets, permettant outre les calculs des impositions additionnelles, de satisfaire aux obligations déclaratives dont la forme demeure encore aujourd’hui incertaine.
La piste d’audit autour de ces calculs apparaît enfin comme un élément clé permettant, au-delà de l’analyse des incidences, d’anticiper les effets au titre d’exercices à venir, de répondre aux questions des auditeurs qui en feront la revue, ainsi que de celles des autorités fiscales.
Des travaux à lancer dès maintenant
Même si l’entrée en application est envisagée en 2024 par l’Union européenne et peut-être par l’OCDE, certains pays semblent vouloir respecter le délai initial d’entrée en vigueur en 2023, s’assurant ainsi des recettes fiscales d’autant plus importantes qu’ils pourront prélever la « top-up tax » de tous les pays soumis à un taux effectif inférieur à 15 %. Le report d’un an de l’entrée en vigueur des nouvelles règles, proposé par le dernier texte de compromis présenté à l’Ecofin, ne devrait donc pas donner un réel répit aux groupes français qui entrent dans le champ d’application de Pilier 2 et qui détiennent des entités constitutives situées en dehors de l’Union européenne ; ce report ne permettra pas à tous les groupes à décaler le début des travaux conséquents associés.
Compte tenu de la complexité de la mise en œuvre de ces nouvelles règles, qui induit une charge de travail à porter conjointement par les équipes fiscales, de consolidation et des systèmes d’information, ce temps complémentaire pourra être mis à profit pour réaliser des tests à blanc, bienvenus pour anticiper les impacts financiers, sécuriser le processus cible et faciliter les clôtures à venir.
À court terme, les chantiers d’analyse du périmètre, le recensement des données existantes et l’organisation de la collecte des données complémentaires nécessaires sont à lancer sans plus attendre.
1 GloBE : Global Anti-Base Erosion, ce qui correspond à la proposition globale de lutte contre l’érosion de la base d’imposition.
Impôt minimum mondial (BEPS 2.0 pilier 2) : comment anticiper sa mise en œuvre pratique
18/05/2022 | La Tribune a été initialement publiée sur Option Finance (réservée aux abonnés)
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Cet article a également été rédigé par : Laurence Mazevet, Partner, Avocate - KPMG Avocats