Au cours des dernières années, les sociétés ouvertes et fermées ont subi une pression accrue pour accroître la sensibilisation aux questions de durabilité au sein de leur organisation et favoriser la présentation volontaire d’information sur les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).
Toutefois, le nombre croissant de propositions de normes et de cadres entourant la présentation de l’information ESG rend la tâche difficile pour de nombreuses entreprises. Parallèlement, les gouvernements, les autorités de réglementation et les organisations supranationales imposent des exigences obligatoires ou en présentent de nouvelles.
Devant cette évolution des exigences et des normes, par où les entreprises canadiennes devraient-elles commencer?
Mise en place
Il y a beaucoup d’information à assimiler dans ce contexte en rapide évolution. Le tableau ci-après présente un aperçu de chaque proposition et de sa pertinence pour les entreprises canadiennes. Mais tout d’abord, voici un résumé du calendrier de chaque organisation.
Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) : En raison du manque de cohérence actuel quant aux cadres réglementaires, les ACVM attendent que la SEC et l’ISSB aient confirmé leur position avant d’aller de l’avant.
Securities and Exchange Commission (SEC) : La SEC a déclaré qu’elle s’attendait à publier ses règles sur les changements climatiques en avril 2023. Toutefois, nous nous attendons à des retards en raison des pressions exercées par les investisseurs, les entreprises et les législateurs.
Directive de l’Union européenne (UE) sur la publication d’information en matière de durabilité par les entreprises (Corporate Sustainability Reporting Directive – CSRD) : Des échéanciers progressifs ont été proposés. Les entreprises canadiennes concernées dont la société mère ne fait pas partie de l’UE devront se conformer à cette directive pour l’exercice qui prendra fin en 2028 (présentation de l’information en 2029). Cependant, les filiales ou succursales européennes d’entreprises canadiennes pourraient devoir s’y conformer dès 2024. Compte tenu de ces échéanciers, il est important d’évaluer l’applicabilité pour votre entreprise le plus tôt possible afin de comprendre dans quelle catégorie vous vous situez.
Conseil des normes internationales d’information sur la durabilité (International Sustainability Standards Board – ISSB) : Les normes sur la présentation de l’information de l’ISSB devraient être mises au point en 2023 et entrer en vigueur en janvier 2024. Le calendrier de l’adoption obligatoire au Canada est encore à l’étude.
Aperçu de l’applicabilité des normes de présentation de l’information ESG pertinentes
Proposition | Pays d’origine | Obligatoire ou volontaire | Pertinence dans le contexte canadien | Remarques importantes |
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SEC | États-Unis | Obligatoire là où la proposition s’applique. | Cette proposition ne s’applique pas expressément aux émetteurs canadiens en vertu du régime d’information multinational (RIM) de la SEC. Elle vise à recueillir des commentaires sur l’applicabilité des nouvelles exigences en matière d’information sur les changements climatiques aux émetteurs assujettis au RIM. |
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ACVM | Canada | Obligatoire là où la proposition s’applique. | La proposition ne s’applique qu’aux sociétés ouvertes canadiennes. |
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CSRD | Europe | Obligatoire là où la proposition s’applique. |
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ISSB | Internationale | Volontaire jusqu’à ce qu’elle soit adoptée par les autorités de réglementation ou les corps législatifs locaux. | Le Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité (CCNID) a été mis sur pied en juin 2022 afin de rationaliser l’adoption de telles normes au Canada. |
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*Mise à jour, août 2023 – L’ISSB a effectivement publié ses deux premières normes inaugurales en juin : l’IFRS S1, Obligations générales en matière d’informations financières liées à la durabilité, et l’IFRS S2, Informations à fournir en lien avec les changements climatiques. La publication de ces normes constitue une avancée importante vers la communication obligatoire de l’information sur la durabilité à l’étranger et laisse entrevoir ce qui s’en vient pour le Canada. La date d’entrée en vigueur ainsi que notre évaluation des normes demeurent inchangées.
Nombre de joueurs
Nul ne sera étonné d’apprendre que l’adaptation et la conformité à la directive CSRD ainsi qu’aux propositions de la SEC, des ACVM et de l’ISSB exige beaucoup de temps et de ressources, particulièrement celles de l’ISSB, qui évoluent rapidement. Les réunions mensuelles de leur conseil d’administration permettent de réaliser des progrès en matière de clarification des sujets d’importance et fournissent des réponses transparentes aux préoccupations des parties prenantes et aux lettres d’observations. Les conclusions qui découlent de ces réunions orienteront davantage la version définitive de la directive CSRD et des règles de la SEC et des ACVM.
Par le passé, les responsables des rapports ESG faisaient partie des équipes de développement durable ou des communications, mais nous constatons aujourd’hui un changement : on s’attend à ce que le chef des finances joue un rôle plus actif à ce chapitre. Cette personne aura pour responsabilité d’intégrer les risques liés aux changements climatiques non seulement dans les états financiers, mais aussi dans les rapports de gestion et les rapports ESG distincts, dans la mesure où ils sont utilisés à des fins de conformité aux exigences réglementaires ou de normalisation.
Quoi qu’il en soit, puisque le passage de la présentation volontaire à la présentation obligatoire est prévu pour l’année à venir, plusieurs mesures devront être prises, notamment en matière d’amélioration des modèles de gouvernance, des systèmes, des processus et des contrôles. Il est de plus en plus crucial pour les entreprises de commencer à élaborer un plan et à établir leurs priorités afin d’atténuer leur exposition aux risques réglementaires et de minimiser les préoccupations relatives à l’environnement et à la réputation.
Déroulement de la partie
Habituellement, les entreprises publient leurs rapports ESG des mois après leurs états financiers. Toutefois, l’évolution des exigences réglementaires requiert une harmonisation avec les échéanciers de présentation de l’information financière. Nous entrevoyons donc un recours accru aux estimations et aux variables de substitution pour le calcul de certaines mesures de durabilité, telles que les émissions de gaz à effet de serre de portée 1, 2 et 3, étant donné que les données réelles pourraient ne pas être disponibles en raison des nouveaux échéanciers. Les émissions de portée 1 sont celles qu’une entreprise produit directement. Celles de portée 2 sont générées indirectement par l’entreprise (p. ex., consommation d’énergie achetée pour alimenter les bureaux ou d’autres installations). Les émissions de portée 3, quant à elles, englobent tout ce qui découle de la chaîne de valeur de l’entreprise.
De manière générale, les autorités de réglementation exigent des entreprises qu’elles fassent rapport sur certains sujets conformément aux recommandations du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques du Conseil de stabilité financière, notamment :
- la gouvernance des risques liés aux changements climatiques, à l’aide de données qualitatives;
- l’incidence réelle et éventuelle des occasions et des risques liés aux changements climatiques sur leurs activités;
- leur stratégie et leur planification financière, si elles sont significatives;
- la manière dont elles repèrent, évaluent et gèrent les risques liés aux changements climatiques.
Comment ces exigences s’appliquent-elles dans chaque proposition?
- Émissions de portée 1 et 2 : Les projets de directive CSRD et de propositions de la SEC et de l’ISSB présentent tous l’obligation de communiquer de l’information relativement aux émissions de portée 1 et 2. La proposition des ACVM, elle, contient actuellement le principe « se conformer ou s’expliquer ».
- Émissions de portée 3 : Le manque de cohérence quant aux obligations d’information relatives aux émissions de portée 3 qu’élaborent les autorités de réglementation reflète les défis actuels en matière de quantification de ce type d’émissions. L’ISSB a déclaré qu’il envisage une mise en œuvre progressive, permettant la communication ultérieure de l’information liée aux émissions de portée 3.
- Assurance des tiers : Bien que la certification n’ait pas été explicitement mentionnée dans la proposition des ACVM, cela pourrait changer, surtout à la lumière de ce que d’autres autorités de réglementation ont publié. La proposition de la SEC exige une assurance modérée à l’égard des émissions de portée 1 et 2 pour certaines entreprises. Similairement, la directive CSRD exige une assurance modérée pour les émissions en plus de la présentation d’information globale en matière de développement durable. Ces deux propositions ont pour objectif l’atteinte de l’assurance raisonnable.
- Incidence sur les postes des états financiers : La directive CSRD et les propositions de la SEC, de l’ISSB et des ACVM exigent toutes que de l’information soit fournie relativement à l’incidence des changements climatiques sur la performance financière. Toutefois, des changements pourraient être apportés à la proposition de la SEC, notamment l’augmentation du seuil déclencheur d’obligation d’information en fonction de l’état financier en question et de la quantité de renseignements à fournir dans les notes afférentes aux états financiers.
- Double importance relative : La directive CSRD trace la voie à suivre sur ce front, car elle seule tient compte de la « double importance relative ». Il s’agit d’un concept selon lequel deux volets d’importance existent : l’incidence sur la valeur de l’entreprise et les répercussions sur l’environnement et la société à court, à moyen ou à long terme. Cela entraîne des obligations d’information beaucoup plus exhaustives.
Stratégie gagnante
Dorénavant, les rapports ESG devront être préparés avec le même degré de rigueur que les rapports financiers. En outre, les risques ESG sont de plus en plus considérés comme des risques d’entreprise à part entière. Comme nous l’avons mentionné précédemment, ces nouvelles exigences réglementaires en matière de présentation de l’information gagnent continuellement en importance aux yeux des chefs des finances, qui devront s’assurer que des processus rigoureux de gestion des risques et des contrôles sont en place.
Dans un premier temps, les entreprises devront effectuer une analyse des écarts par rapport aux exigences applicables en plus des préoccupations relatives aux systèmes et aux données, des processus et des contrôles, ainsi que des compétences manquantes au sein de la main‐d’œuvre. Cette analyse devrait informer la direction et les responsables de la gouvernance sur le travail à faire pour mobiliser les ressources nécessaires, être bien outillé et cerner les mesures à présenter à l’avenir. Tout cela devrait contribuer à la création d’une feuille de route opérationnelle pour assurer la conformité aux exigences futures avant leur entrée en vigueur prévue.
En ce qui concerne les mesures et les sujets liés à l’information à fournir, les propositions de l’ISSB, de la SEC et des ACVM fournissent des directives précises sur ce qui devrait être communiqué. Toutefois, il est possible que les entreprises assujetties à la directive CSRD doivent effectuer une évaluation de l’importance relative afin de repérer et d’examiner les enjeux de durabilité qui pourraient avoir une incidence importante (financière ou autre) sur leurs activités ou leurs parties prenantes. Il s’agit d’une étape importante pour cerner les sujets et les mesures devant faire partie de l’information à divulguer. À l’inverse, les entreprises pourront déterminer quelles informations sont non significatives dans le cadre d’une norme actuelle, d’une obligation d’information individuelle ou au titre d’une source de données unique.
Enfin, il est important de veiller à ce que l’information présentée soit exacte et crédible, car une attention particulière y sera accordée. De plus, la certification est un élément crucial du jeu : les entreprises devraient envisager de procéder à une évaluation de leur état de préparation en matière de certification. Elles seront ainsi en mesure de repérer les systèmes, les processus et les contrôles à l’égard de l’information sur la durabilité qui doivent être améliorés, ainsi que les mesures de certification qui pourraient être mises en place.
Les exigences réglementaires susmentionnées et les progrès attribués aux organismes de normalisation témoignent d’un changement fondamental dans la présentation de l’information relative aux facteurs ESG. La situation évolue rapidement; il est important que les entreprises déterminent où elles se situent et agissent dès maintenant, avant de devoir revenir à la case départ.