Le 27 septembre 2024, Sécurité publique Canada a déposé au Parlement son premier rapport annuel en vertu de la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement (la « Loi »). Ce rapport marque une étape importante dans les efforts déployés par le Canada pour lutter contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement. Il résume l’information reçue des entités déclarantes et leurs pratiques actuelles dans le cadre de cette lutte.

En septembre 2024, KPMG a publié un document intitulé Contrer l’esclavage moderne dans les chaînes d’approvisionnement au Canada, qui présente le bilan de son examen et de son évaluation de la première année d’application de la Loi.

Contexte

La Loi, entrée en vigueur le 1er janvier 2024, oblige certaines institutions gouvernementales et organisations du secteur privé à faire rapport des mesures qu’elles ont prises pour prévenir et réduire le risque de travail forcé ou de travail des enfants dans leurs chaînes d’approvisionnement. Les rapports, disponibles dans le catalogue de la bibliothèque de Sécurité publique Canada1, doivent être produits au plus tard le 31 mai de chaque année. À son tour, Sécurité publique Canada doit soumettre au Parlement, au plus tard le 30 septembre, un rapport résumant les activités, les risques et les mesures correctives prises par les entités déclarantes au cours de l’exercice précédent.

Faits saillant du rapport

Le rapport de Sécurité publique Canada porte sur les données recueillies au moyen du questionnaire en ligne et, sur la base d’une analyse qualitative d’un échantillon de rapports, il donne un aperçu des risques et des stratégies d’atténuation que certaines entités déclarantes ont décrits dans leurs rapports.

Activités qui comportent un risque de travail forcé ou de travail des enfants

  • Dans son rapport, Sécurité publique Canada reconnaît qu’il peut être difficile d’obtenir une vue d’ensemble d’une chaîne d’approvisionnement complexe et que la cartographie des éventuelles zones de risque est un processus continu pour toute organisation.
  • Parmi toutes les entités, 2 156 (38,2 %) ont confirmé avoir relevé que leurs chaînes d’approvisionnement comportaient un risque de recours au travail forcé ou au travail des enfants, tandis que 2 225 (39,4 %) avaient entrepris le processus de détermination des risques, tout en soulignant que leur évaluation comportait encore des lacunes, et 1 268 (22,4 %) n’avaient toujours pas entrepris le processus de détermination des risques au moment de faire rapport. Les risques relevés étaient généralement associés aux matières premières utilisées, aux secteurs ou industries concernés et à des fournisseurs ou à des emplacements géographiques spécifiques.

Mesures prises pour remédier à tout recours au travail forcé ou au travail des enfants

Sécurité publique Canada a rendu compte des mesures prises par les entités déclarantes pour atténuer les risques de travail forcé et de travail des enfants dans leurs chaînes d’approvisionnement. Ce thème gagne en importance, car les chaînes d’approvisionnement mondiales sont souvent complexes, englobent des fournisseurs de multiples niveaux et peuvent s’étendre à plusieurs secteurs et pays dont la surveillance réglementaire est d’intensité variable.

Voici les principales mesures présentées par les entités déclarantes :

  • Évaluations internes des risques : Plus de 2 800 entités (48,6 %) ont réalisé des évaluations internes des risques pour identifier les secteurs où le travail forcé ou le travail des enfants pouvait se produire. Ces évaluations visaient généralement à obtenir une meilleure vue d’ensemble des chaînes d’approvisionnement, en particulier dans les domaines où les entités exercent un contrôle moins direct, comme avec les fournisseurs de niveau II et de niveau III. De nombreuses entités ont utilisé des outils logiciels et des services de surveillance de tiers pour soumettre les fournisseurs potentiels à des enquêtes et cerner les secteurs à risque élevé, les matières premières utilisées pour la production étant souvent citées comme un aspect névralgique.
  • Politiques de diligence raisonnable et audits : Environ 2 545 entités (44,4 %) ont mis en œuvre des processus de diligence raisonnable pour repérer et traiter le recours au travail forcé et au travail des enfants. Ces processus comprenaient souvent des codes de conduite obligatoires pour les fournisseurs, énonçant des attentes précises concernant les pratiques de travail. En outre, 2 174 entités (37,5 %) ont instauré des audits réguliers des fournisseurs dans le cadre de leurs mesures de surveillance. Ces audits ont été effectués à l’interne ou par l’intermédiaire d’organisations tierces et comprenaient généralement des vérifications des antécédents, des inspections sur place et des entretiens avec les travailleurs pour évaluer leurs conditions de travail.
  • Mobilisation des fournisseurs : 1 643 entités (28,4 %) ont indiqué qu’elles travaillaient en collaboration avec leurs fournisseurs pour améliorer les pratiques de travail et assurer le respect des normes de lutte contre l’esclavage. Cette mobilisation consistait souvent à fournir aux fournisseurs de la formation et des ressources pour répondre aux exigences en matière d’approvisionnement éthique. Les entités ont également exigé de leurs fournisseurs qu’ils adoptent des politiques de lutte contre le travail forcé et le travail des enfants, en veillant à ce que ces normes soient intégrées à tous les niveaux de la chaîne d’approvisionnement.
  • Mécanismes de règlement des griefs : 1 537 entités (26,5 %) ont déclaré s’être dotées de tels mécanismes, notamment des lignes directes, des portails en ligne et des services d’ombudsman tiers. Certaines entités ont indiqué que ces mécanismes étaient essentiels pour la détection de cas de violation du droit du travail qui auraient autrement pu ne pas être signalés par crainte de représailles de la part de l’employeur.
  • Formation et sensibilisation : Environ 44 % des entités déclarantes ont mis en œuvre des programmes de formation pour sensibiliser les employés aux risques de travail forcé et de travail des enfants. Cette formation était souvent obligatoire pour les employés participant à la gestion de l’approvisionnement et de la chaîne d’approvisionnement, et faisait en sorte que les responsables des décisions importantes étaient conscients des risques et savaient comment y répondre. Dans le secteur de la fabrication, par exemple, 1 132 entités ont offert une formation sur ces questions, ce qui témoigne de l’exposition importante de ce secteur au risque de travail forcé, en particulier en lien avec l’approvisionnement en matières premières comme les textiles et les composantes électroniques.
  • Mesures correctives : Seulement 228 entités (4 %) ont déclaré avoir pris des mesures correctives importantes, tandis que 88 entités (1,6 %) ont dit avoir pris certaines mesures correctives, tout en reconnaissant qu’il leur restait certaines lacunes à combler. Les mesures correctives étaient diverses, mais incluaient souvent la cessation de la relation avec des fournisseurs non conformes, l’indemnisation financière des victimes ou le remboursement aux travailleurs des frais de recrutement illicite, et un soutien direct aux victimes et à leurs familles, y compris des programmes de soutien psychosocial et de réinsertion professionnelle.

Mesures d’application de la loi

En 2024, aucune ordonnance n’a été rendue en vertu de l’article 18 de la Loi et aucune accusation n’a été portée contre une entité en vertu de l’article 19. Cependant, Sécurité publique Canada envisage de prendre des mesures d’application de la loi au cours des prochains cycles de présentation de l’information puisque la Loi sera mieux connue et que les attentes seront plus clairement établies. Les entités déclarantes qui ne se conformeront pas aux obligations de faire rapport au cours des prochaines années sont susceptibles de faire l’objet d’une surveillance accrue et d’éventuelles conséquences juridiques.

Sommaire des rapports publiés dans le catalogue de la bibliothèque de Sécurité publique Canada

  • Sécurité publique Canada avait reçu 5 795 rapports à la date limite, soit le 31 mai, pour l’exercice 2024, dont 5 650 (97,5 %) provenaient d’entités et 145 (2,5 %) d’institutions fédérales2.
  • Parmi les rapports reçus, 2 086 (36 %) englobaient une société mère et ses filiales ou plusieurs entités appartenant au même groupe de sociétés.
  • 135 entités déclarantes (2,3 %) ont soumis un rapport révisé après la date limite du 31 mai, conformément aux articles 7 et 12 de la Loi. Ces rapports n’ont pas été pris en compte dans les données analysées pour produire le rapport de Sécurité publique Canada.
  • Au 31 juillet 2024, Sécurité publique Canada avait reçu 503 rapports présentés en retard. Sécurité publique Canada continue de recevoir des rapports en retard de façon continue.Ces rapports n’ont pas non plus été pris en compte dans les données analysées pour produire le rapport de Sécurité publique Canada.
  • 796 entités déclarantes (13,7 %) ont indiqué qu’elles étaient assujetties à des exigences de déclaration d’autres administrations concernant l’esclavage moderne ou la chaîne d’approvisionnement, ces entités présentant le plus souvent leur information au titre de la Modern Slavery Act du Royaume-Uni, de la Transparency in Supply Chain Act de la Californie et de la Modern Slavery Act de l’Australie.
  • 82,4 % des entités qui ont soumis des rapports proviennent des secteurs de la fabrication (38,3 %), du commerce de gros (22,3 %) et du commerce de détail (21,8 %).
  • Parmi les entités déclarantes, 18,05 % ont leur siège social ou leur principal établissement à l’extérieur du Canada, ces entités étant le plus souvent situées aux États-Unis.

Points à retenir et perspectives

Le rapport souligne que les sociétés doivent délaisser l’approche axée sur la délivrance d’un rapport sur la conformité en faveur d’améliorations importantes de leurs activités de diligence raisonnable. L’exercice 2024 a essentiellement servi de période d’adaptation pour les entités déclarantes et Sécurité publique Canada. En effet, le cadre est maintenant prêt pour la mise en place de mesures de surveillance et de conformité plus strictes pour les prochaines années, où d’autres changements devraient aussi se produire.

Dans un récent article du National Post3, le député John McKay propose que la responsabilité des rapports sur la lutte contre l’esclavage moderne qui incombe à Sécurité publique Canada soit transférée au Bureau de l’ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (« OCRE »), une entité gouvernementale chargée d’examiner les plaintes portant sur d’éventuelles attentes aux droits de la personne commises par des entreprises canadiennes menant des activités à l’extérieur du Canada. Il y précise que l’OCRE aurait besoin de se dissocier du gouvernement et d’avoir plus de pouvoirs pour faire appliquer les règles.

En outre, le Rapporteur spécial des Nations Unies, Tomoyo Obokata, a fait des observations semblables dans son rapport final à l’intention du Canada sur les efforts que déploie le pays pour prévenir et contrer les formes contemporaines d’esclavage4. M. Obokata recommande que le Canada renforce le mandat et les pouvoirs de l’OCRE, qu’il élargisse la portée de son action pour qu’elle englobe toutes les organisations canadiennes et lui donne le pouvoir d’obliger des personnes à témoigner et d’imposer plus de sanctions.

Dans l’article du National Post, le député John McKay mentionne également que d’autres lois pourraient être promulguées au Canada, exigeant que les entreprises adoptent une approche de « renversement du fardeau de la preuve » à l’égard des biens provenant de certaines régions où le risque de travail forcé est considéré comme élevé, notamment la région de Xianjiang en Chine. Plusieurs législateurs américains ont largement fait écho à ses observations dans des lettres adressées à la ministre canadienne de la Promotion des exportations, du Commerce international et du Développement économique, Mary Ng, exhortant le gouvernement canadien à adopter des règles plus contraignantes et à mieux les appliquer à l’avenir5.

Depuis juillet 2020, le gouvernement du Canada interdit l’importation de biens extraits, fabriqués ou produits, en tout ou en partie, par recours au travail forcé. L’interdiction d’importation a été imposée en vertu des engagements du Canada dans le cadre de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (« ACEUM »). Toutefois, le Canada et le Mexique ont récemment subi des pressions accrues de la part des États-Unis concernant la nécessité d’instaurer des règles plus strictes et une meilleure mise en application au Canada6.

Le 16 octobre 2024, la ministre Mary Ng a annoncé la tenue d’une consultation publique de 30 jours sur les mesures visant à renforcer l’application par le Canada de cette interdiction d’importation7.

Le gouvernement du Canada souhaite connaître l’opinion des parties prenantes sur les possibles avantages et risques des mesures suivantes visant à modifier le régime actuel :

  1. Publication d’une liste de risques – Une liste de biens exposés au risque de travail forcé sera publiée, sur la base des indicateurs de l’Organisation internationale du travail (OIT) et complétée par d’autres sources.
  2. Processus de « traçabilité minimale » – Les importateurs de biens figurant sur la liste de risques auraient le fardeau de fournir des documents concernant le parcours de ces biens dans les chaînes d’approvisionnement pour en assurer la traçabilité.
  3. Modification du modèle de recouvrement des coûts – Les importateurs de biens réputés avoir été fabriqués au moyen du travail forcé seraient responsables du paiement de tous les coûts liés à la détention, au retrait, à l’abandon ou à la confiscation de ces biens, notamment les frais de transport et de stockage.
  4. Mécanisme de règlement des différends – Un mécanisme simplifié serait créé pour résoudre les différends entre les importateurs et le gouvernement sur les décisions relatives à l’entrée sur le marché de certains biens.
  5. Renforcement des pouvoirs réglementaires – Les pouvoirs législatifs et réglementaires en ce qui concerne la collecte d’informations, l’application de la loi et l’organisation de l’ensemble des processus seront accrus en Amérique du Nord.

La consultation a pris fin le 15 novembre 2024. Les parties intéressées étaient priées de prendre en considération plusieurs aspects clés dans leurs observations, notamment :

  • l’efficacité et la priorisation des mesures
  • les outils et les sources d’information qui pourraient servir à dresser une liste de biens à risque
  • les effets négatifs potentiels sur les travailleurs et les industries touchés et les mesures d’atténuation des risques.

Dans le contexte des pressions croissantes qui s’exercent tant au pays qu’à l’étranger pour lutter contre le travail forcé et le travail des enfants, les entreprises canadiennes doivent s’attendre à une réglementation et à une application de la loi plus rigoureuses à l’avenir.


1. Sécurité publique Canada : Catalogue de la bibliothèque, consulté le 23 octobre 2024.

2. Sécurité publique Canada a indiqué que des rapports reçus d’entités déclarantes ne contenaient pas d’information pertinente au titre de la Loi ou des exigences de déclaration, ou encore ne comportaient pas d’attestation appropriée ou n’avaient pas été publiés sur le site Web de l’entité. Ils n’ont donc pas été pris en considération lors de la préparation du rapport annuel.

3. « A new law has Canadian companies looking for forced labour in their businesses. The results are concerning », National Post, mis à jour le 8 octobre 2024.

4. « Report of the Special Rapporteur on contemporary forms of slavery, including its causes and consequences, Tomoya Obokata », Assemblée générale des nations unies, 22 juillet 2024.

5. « U.S. legislators want Canada to do more to prevent slave-made goods from entering North America », National Post, mis à jour le 24 septembre 2024.

6. « U.S. politicians press Canada in writing on anti-forced-labour failure », CBC, mis à jour le 25 septembre 2024.

7. Faites part de vos opinions : Consultations publiques sur de nouvelles mesures possibles visant à renforcer l’interdiction d’importer des produits issus du travail forcé au Canada, Gouvernement du Canada, consulté le 23 octobre 2024.

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