Dans l’affaire Amalgamated Transit Union, Local 113 c. Ontario, la Cour d’appel de l’Ontario (« CAO » ou la « Cour ») a statué que la Loi de 2011 sur le règlement des conflits de travail à la Commission de transport de Toronto (la « Loi de la CTT ») violait les droits garantis par l’alinéa 2d), liberté d’association, de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») des membres du syndicat, et que cette violation ne pouvait être justifiée en vertu de la disposition relative aux limites raisonnables prévues à l’article 1 de la Charte.

Cette décision est importante pour les employeurs du secteur public et pourrait avoir une incidence à long terme sur la capacité de l’Assemblée législative de l’Ontario d’empêcher les syndicats du secteur public de déclencher une grève.

Contexte

La loi contestée était la Loi de 2011 de la CTT adoptée par l’Assemblée législative de l’Ontario. La Loi de la CTT élimine le droit d’un travailleur de la Commission de transport de Toronto (« CTT ») de participer à toute forme de grève, quelle qu’elle soit, tout en interdisant également à la CTT de « lock-outer » ses employés. De plus, si la CTT et ses syndicats ne sont pas en mesure de parvenir à un règlement par des négociations collectives, la Loi de la CTT exige que les parties se soumettent à un arbitrage exécutoire des différends.

La section locale 113 de l’Amalgamated Transit Union et la section locale 2 du Syndicat canadien de la fonction publique (« SCFP »), collectivement, les « syndicats », ont demandé à la Cour supérieure de l’Ontario (« CSO ») de contester la Loi de la CTT au motif qu’elle violait leurs droits garantis par l’alinéa 2d) de la Charte. Le juge ayant entendu la demande à la CSO était d’accord avec les syndicats et a appliqué la décision de 2015 de la Cour suprême du Canada (« CSC ») dans l’affaire Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan (« SFL »), selon laquelle le droit de grève fait partie intégrante du droit à la liberté d’association en vertu de l’alinéa 2d).1

La Couronne a interjeté appel.

Violation des droits protégés par l’alinéa 2d)

Premièrement, la CAO a statué sur la question de savoir si le juge ayant entendu la demande avait erré en concluant à une violation des droits protégés par l’alinéa 2d). La CAO a confirmé une décision récente de la CSC dans l’affaire Société des casinos du Québec inc. c. Association des cadres de la Société des casinos du Québec,2 et a convenu que le test approprié à appliquer pour évaluer les infractions à l’article 2d) est le test à deux volets de « l’entrave substantielle » qui consiste à se demander :

  1. Si les activités en question sont protégées en vertu de l’article 2(d) et
  2. si l’objet ou l’effet de l’action gouvernementale entrave substantiellement ces activités.3

S’appuyant sur la décision de l’affaire SFL lors de l’application du test susmentionné, la CAO a statué que toute loi qui élimine entièrement le droit de grève d’un employé constituera invariablement une entrave substantielle à ses droits garantis par l’alinéa 2d) de la Charte.4 Une loi qui interdit complètement les grèves préventives peut néanmoins toujours être constitutionnelle, ce qui est justifié en vertu de l’article 1 de la Charte, si la loi prévoit une méthode alternative de résolution des différends.5 Toutefois, la présence ou l’absence d’une méthode alternative juste et efficace à la grève n’a aucun fondement sur l’analyse en vertu de l’alinéa 2d), elle ne devient importante qu’à l’étape de la justification prévue à l’article 1.6 La majorité a justifié ce qui précède en expliquant que la liberté d’association n’aurait guère de sens si les Assemblées législatives étaient toujours libres de remplacer le droit de déclencher une grève par l’obligation de se soumettre à un arbitrage exécutoire des différends, sans être forcés de le justifier en vertu de l’article 1 de la Charte.7

Ainsi, la majorité a confirmé que la Loi de la TTC violait les droits du syndicat en vertu de l’alinéa 2d).

La violation était-elle justifiée?

La Couronne avait le fardeau de justifier la violation de l’alinéa 2d) en vertu de l’article 1 de la Charte, au moyen du critère de justification énoncé dans l’arrêt Oakes[8].

À l’étape de déterminer l’« objectif urgent et réel » du critère, la majorité était en désaccord avec le juge ayant entendu la demande et estimait que l’objectif du législateur d’adopter la Loi de la CTT était de prévenir les risques graves en matière de santé et de sécurité publiques dans le cas d’une fermeture de la CTT, et que c’était un objectif urgent et substantiel.9 La majorité ne croyait pas non plus que la question de savoir si la CTT est un « service essentiel » devait être examinée à cette étape et estimait plutôt qu’elle devait être déplacée à la deuxième étape du critère de justification. Toutefois, la majorité s’en est remise à la conclusion du juge ayant entendu la demande selon laquelle la CTT n’était pas un « service essentiel ».10

La majorité n’a pas fait preuve de déférence à l’endroit de l’Assemblée législative à l’étape de la justification de l’« atteinte minimale » du critère. La Cour dans sa majorité a estimé que l’Assemblée législative de l’Ontario avait adopté une interdiction complète de grève sans avoir d’abord étudié d’autres modèles de grève hybride.11 En fin de compte, la majorité a estimé que la Couronne ne s’était pas acquittée de la charge qui lui incombait de démontrer que les modèles législatifs d’autres administrations qui utilisaient des modèles de grève hybrides plutôt qu’une interdiction totale de grève ne fonctionneraient pas à Toronto pour protéger adéquatement les objectifs du gouvernement.

La Cour a conclu que la loi ne portait pas atteinte de façon minimale et que, par conséquent, la violation de l’alinéa 2d) par la Loi de la TTC ne pouvait pas être confirmée par l’article 1 de la Charte, ce qui rend la loi inconstitutionnelle.

Point de vue de la dissidence

Le juge Nordheimer était le seul juge dissident de la Cour dans cette décision. Bien qu’il soit d’accord avec la majorité pour dire que la Loi sur la TTC constituait une violation de l’alinéa 2d), il n’était pas d’accord avec le fait que la violation n’était pas justifiée. À son avis, le juge ayant entendu la demande a erré en concluant que la CTT n’était pas un service essentiel et que l’expression « service essentiel » ne devait pas être définie de façon aussi étroite.12 Contrairement à la majorité, il estimait qu’à l’étape de déterminer l’« objectif urgent et réel », la CTT devait être considérée comme un service essentiel et qu’il est clair que le maintien d’un service essentiel peut être un objectif urgent et réel.13

Le juge dissident a ajouté que la CTT est unique en raison du grand nombre de personnes qui dépendent de son service et que, pour cette raison, le modèle hybride utilisé dans d’autres administrations ne pouvait pas traiter le problème de l’achalandage ou le fait que la CTT ne fait pas facilement la distinction entre les catégories d’employés, ce qui laisse supposer que l’Ontario a satisfait à la charge de l’« atteinte minimale ».14 Il était d’avis que l’arbitrage est en fait un mécanisme utile pour dénouer les impasses dans les négociations et que les avantages découlant de la poursuite des services de la CTT l’emportaient sur les restrictions imposées à l’ensemble du processus de négociation.15

Points à retenir

La CAO indique clairement qu’elle croit que l’interdiction préventive de faire la grève légalement supprime l’essentiel de ce que signifie une véritable négociation collective. En d’autres termes, la Cour estime que sans le droit de grève, l’essence du processus de négociation collective disparaît.

À l’avenir, toute loi ontarienne visant à éliminer le droit de grève des différents syndicats du secteur public constituera automatiquement une violation prima facie de l’alinéa 2d) de la Charte. Il incombera à l’État de prouver que la violation est justifiée.

Bien que la Cour n’aborde que brièvement la distinction tant nécessaire à établir entre l’interdiction préventive de faire la grève et la « légifération de retour au travail »,16 cette décision pourrait avoir une incidence considérable sur les employeurs du secteur public, car il est plus difficile pour le gouvernement d’utiliser, par voie législative, d’autres méthodes de résolution des différends à la place de la grève, ce qui pourrait causer prolonger les conflits de travail.

Il reste à voir si le gouvernement de l’Ontario choisira d’en appeler de cette décision devant la CSC.


  1. Saskatchewan Federation of Labour v. Saskatchewan, 2015 SCC4.
  2. Société des casinos du Québec Inc. v. Association des cadres de la Société des casinos du Québec, 2024 SCC 13.
  3. Amalgamated Transit Union, Local 113 v. Ontario, 2024 ONCA 407 at para 39. [ATU]
  4. ATU at para 40.
  5. ATU at para 60.
  6. ATU at para 55.
  7. ATU at para 62.
  8. R v. Oakes, 1986 CanLII 46 (SCC), [1986] 1 SCR 103.
  9. ATU at para 78.
  10. ATU at para 73.
  11. ATU at para 113.
  12. ATU at paras 163 & 170.
  13. ATU at para 162.
  14. ATU at para 207.
  15. ATU at para 220.
  16. ATU at para 148.

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