Contribution de Conor Chell dans le Toronto Star.
Que ce soit par acte ou par omission, l’écoblanchiment ne sera plus toléré au Canada.
Une nouvelle ère se pointe à l’horizon en matière d’allégations sur les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).
Lorsque le projet de loi fédéral C-59 concernant la Loi sur la concurrence entrera en vigueur, les organisations canadiennes auront l’obligation de justifier leurs allégations environnementales et sociales au sujet de produits ou de services au moyen d’« épreuves suffisantes et appropriées ». De même, les organisations devront justifier toutes les allégations sur la protection ou la restauration de l’environnement ou l’atténuation des causes ou des effets environnementaux et écologiques des changements climatiques (p. ex. les indications d’émissions nettes nulles ou de carboneutralité) au moyen d’une « méthode reconnue à l’échelle internationale ».
Celles qui ne pourront pas justifier leurs allégations s’exposent à des amendes sévères. En effet, les particuliers s’exposeront une amende allant jusqu’à 750 000 $ en cas de première infraction, et jusqu’à 1 million de dollars en cas de récidive. Par ailleurs, les amendes imposées aux organisations s’élèveront jusqu’à 10 millions de dollars, ou à un montant correspondant à trois fois la valeur des profits liés à l’allégation ou à 3 % du chiffre d’affaires mondial annuel brut de l’organisation, selon le montant le plus élevé. Pour chaque ordonnance subséquente, l’amende grimpera à 15 millions de dollars.
L’écoblanchiment, c’est-à-dire l’émission d’allégations exagérées, inexactes ou trompeuses sur l’impact environnemental ou social d’une organisation, n’est pas un phénomène nouveau. Toutefois, il est devenu plus répandu et problématique au cours des dernières années, alors que la demande de renseignements ESG et la surveillance des parties prenantes ont augmenté. L’écoblanchiment peut porter atteinte à la réputation d’une organisation, miner la confiance des clients et des investisseurs et, désormais, l’exposer à des responsabilités et à des sanctions en vertu de la loi.
Une fois brisées, l’intégrité et la confiance sont difficiles à rétablir et peuvent nuire à la capacité future d’une organisation à accéder à du capital.
Selon le Programme des Nations Unies pour l’environnement et l’université Columbia, à New York, près de 2500 poursuites judiciaires liées au climat ont été déposées à l’échelle mondiale, un nombre qui a plus que doublé depuis 2017 et qui devrait augmenter considérablement au cours des prochaines années, alors que la présentation de l’information sur les enjeux ESG deviendra obligatoire et que des lois sur l’écoblanchiment entreront en vigueur partout dans le monde et ici, au Canada.
Le risque juridique étant grandissant, il est important que les organisations s’assurent de pouvoir justifier les allégations qu’elles émettent.
Selon les renseignements dont nous disposons, le gouvernement du Canada devrait mettre à jour ses directives au cours des prochains mois pour clarifier à quel moment des mesures seront prises en vertu des nouvelles dispositions du projet de loi C-59. Nous nous attendons également à ce que le Bureau de la concurrence révise et mette à jour ses lignes directrices sur l’application de la loi afin de veiller à la transparence au sein du milieu des affaires et du milieu juridique.
Le projet de loi C-59 n’est pas le seul à propos duquel il y a lieu de s’inquiéter.
L’écoblanchiment est actuellement réglementé par différentes lois et divers organismes fédéraux et provinciaux qui, selon les exigences, contraignent les organisations à divulguer énormément d’information sur les enjeux ESG, notamment le risque lié aux changements climatiques, les émissions de carbone, la diversité et l’inclusion, les droits de la personne et la gouvernance d’entreprise.
Les nouvelles lois proposées visent à combler les lacunes et à éliminer les incohérences dans les définitions, les normes et les exigences de présentation de l’information sur les enjeux ESG, notamment le projet de loi fédéral C-372, intitulé Loi concernant la publicité relative aux combustibles fossiles, et le projet de loi S-243 concernant la Loi sur la finance alignée sur le climat.
Les répercussions du projet de loi S-243 toucheront toutes les sphères de l’économie, alors que les institutions financières cherchent à répercuter leurs besoins en matière de données et d’améliorations climatiques sur leurs fournisseurs et leurs clients.
Étant donné qu’un grand nombre d’organisations seront directement ou indirectement touchées par les exigences à venir en matière de présentation de l’information sur les enjeux ESG ainsi que par une ou plusieurs lois sur l’écoblanchiment, le risque juridique et la responsabilité potentielle pour les organisations, leurs dirigeants et leurs conseils d’administration augmenteront en flèche.
À l’heure actuelle, le seul choix dont disposent les organisations consiste à prendre un pas de recul et à passer en revue et à réviser leurs engagements et communications publics.
Les organisations seront tenues responsables de la clarté avec laquelle elles mesurent, vérifient et communiquent leurs résultats et leur impact ESG. Même les rapports antérieurs sur les enjeux ESG, qui reposent sur des déclarations volontaires et non obligatoires, pourraient être considérés comme de l’écoblanchiment et devoir être révisés pour en assurer la conformité aux nouvelles lois.
Il existe des moyens grâce auxquels les organisations peuvent atténuer les risques juridiques.
Elles devront évaluer leurs allégations sur les enjeux ESG du point de vue du risque juridique, notamment en s’assurant que leurs données, leurs renseignements, leurs cibles et leurs objectifs ESG sont crédibles et vérifiés. Elles devront prouver que leurs cibles, objectifs et ambitions ESG sont faisables sur les plans technique, financier et opérationnel.
Les organisations doivent également déterminer à quels moments elles ont émis des allégations ESG ou parlé des enjeux ESG publiquement, qu’il s’agisse de sites web, de présentations aux investisseurs, d’entrevues dans les médias et de contenu dans les médias sociaux, jusqu’aux moindres détails, comme les réponses aux appels d’offres.
Elles devront remédier à toutes les lacunes dans leurs programmes de conformité et s’assurer que leurs processus et contrôles internes et externes sont adaptés au resserrement de la surveillance juridique que les déclarations publiques sur les enjeux ESG attireront inévitablement.
En prenant de telles mesures, les organisations pourront faire preuve de diligence et éviter les accusations d’écoblanchiment.
Les chefs de file se distingueront par leurs allégations de durabilité, et aussi par leur capacité à les justifier, à anticiper les problèmes et à s’adapter aux nouvelles vagues de surveillance.
Les organisations qui peuvent communiquer leurs engagements ESG avec assurance et intégrité seront bien positionnées pour composer avec cette nouvelle réalité.
Conor Chell est avocat, associé et leader national, Risques juridiques et présentation d’information, Enjeux ESG chez KPMG au Canada.