Il reste moins d’un an avant la fin du délai accordé aux employeurs sous réglementation fédérale pour se doter d’un plan d’équité salariale en vertu de la Loi sur l’équité salariale (L.C. 2018, ch. 27, art. 416 (la « Loi »).1 Si la plupart des employeurs devraient déjà être bien engagés sur la voie de la conformité, plusieurs peinent toujours à comprendre les nuances de la Loi qu’ils doivent appliquer pour la première fois.2

Pour se conformer aux exigences de la Loi, qui est entrée en vigueur le 31 août 2021, les employeurs doivent effectuer la tâche souvent colossale d’organiser leur documentation d’emploi, d’établir des catégories d’emploi, de déterminer si l’emploi est à prédominance masculine ou féminine, d’évaluer les catégories d’emploi et de comparer tous les aspects de la rémunération afin de déterminer si leurs pratiques en la matière donnent lieu à des iniquités. Ils doivent également mettre sur pied un comité de l’équité salariale, assurer une coordination avec les agents négociateurs et, dans la plupart des cas, regrouper des composantes de l’entreprise qui ne seraient normalement pas comparées afin de créer un seul plan d’équité salariale.

Étant donné l’ampleur de la tâche et l’incertitude qui persiste en ce qui a trait à l’application de la Loi, cet article vise à faire la lumière sur cinq questions juridiques courantes qu’a relevées l’équipe Équité salariale de KPMG cabinet juridique.

1. Les plans multiples sont peu probables

En vertu de la Loi, la norme pour un employeur est d’élaborer un seul plan d’équité salariale à l’égard de ses employés. Toutefois, la Loi crée un processus par lequel un employeur peut demander à la Commissaire à l’équité salariale (la « commissaire ») l’autorisation d’élaborer plusieurs plans d’équité salariale. Une demande de plans multiples peut survenir lorsqu’un employeur souhaite établir des plans distincts pour différentes divisions d’emplois.

Jusqu’ici, il n’y a eu que quatre décisions publiées par la commissaire par suite d’une demande d’autorisation de plans multiples.3 Dans ces décisions, la commissaire a confirmé qu’il incombe à l’employeur de fournir des données probantes et des arguments suffisants afin de réussir une évaluation comportant deux volets :

  1. L’employeur doit d’abord répondre à la question de l’admissibilité, à savoir s’il existe suffisamment de comparateurs masculins pour pouvoir les mettre en parallèle avec la rémunération des catégories d’emploi à prédominance féminine.
  2. L’employeur doit démontrer que i) les parties du milieu de travail qui, selon la commissaire, seraient touchées par la demande, ont eu la possibilité de présenter leurs observations; ii) la demande n’a pas été rejetée à la question de l’admissibilité à savoir s’il existe suffisamment de comparateurs masculins; et iii) la commissaire est d’avis que la demande est appropriée dans les circonstances.

En fonction des critères ci-dessus, la demande de plans multiples a été refusée dans trois des quatre décisions.4 Dans chacune de ces décisions, l’employeur a été en mesure de réussir le premier volet de l’évaluation (c.-à-d., la question de l’admissibilité); toutefois, c’est le deuxième volet de critères qui a été déterminant.

La commissaire a défini plusieurs principes d’orientation pour l’analyse de ce qui sera considéré comme étant approprié dans les circonstances pour le deuxième volet de l’évaluation :

  • Il n’y a pas de catégories fixes dans lesquelles les plans multiples sont appropriés et chaque demande dépend de ses mérites
  • L’incidence des plans multiples sur le renforcement de la ségrégation professionnelle entre les hommes et les femmes est un élément important à prendre en compte
  • Il est essentiel d’évaluer si les plans multiples proposés permettront de remédier de manière proactive à la discrimination salariale systémique en milieu de travail fondée sur le sexe5

La demande de plans multiples a été en partie accordée dans la décision concernant le CN, la commissaire s’étant appuyée sur des facteurs comme le mandat distinct de la division, la gestion indépendante de la division et le système de soutien des ressources humaines distinct.6

Il est important de remarquer que la commissaire a rejeté les arguments suivants formulés par les employeurs relativement au deuxième volet de l’évaluation :

  • Il sera difficile d’élaborer un seul plan d’équité salariale vu le nombre d’employés7
  • Un plan unique est susceptible d’accroître le temps nécessaire à la mise en œuvre d’un plan proactif d’équité salariale
  • La nature confidentielle de la rémunération des cadres et des dirigeants soulève des inquiétudes
  • L’approche de rémunération varie selon les employés de chaque échelon (salaires, taux horaire, conventions collectives, régimes incitatifs à l’intention des cadres et des membres de la direction, etc.)
  • Les communautés d’intérêts diffèrent selon les groupes d’employés
  • Un seul plan d’équité salariale se traduira par une diminution de l’acceptation des résultats
  • Les employés devraient être séparés selon les différentes branches de relations de travail
  • Les négociations collectives des différents syndicats comportent des échéanciers distincts
  • Les parties concernées appuient l’élaboration de plans multiples
  • Plusieurs syndicats pourraient ne pas parvenir à atteindre un consensus sur certaines questions
  • La mise en place de différents plans à l’intention des divers groupes permet de réaliser des gains d’efficacité

Pour résumer, ces premières décisions suggèrent que l’élaboration d’un seul plan d’équité salarial sera fortement privilégiée et qu’il ne sera pas facile de se prévaloir des exceptions prévues par la Loi. Par défaut, la commissaire prend ses décisions relatives aux demandes de plans multiples en se basant sur les documents écrits. Par conséquent, la commissaire a souligné l’importance pour les employeurs de fournir des éléments de preuve concrets indiquant que les plans multiples i) contribueront à l’atteinte de l’objectif de la Loi et ii) permettront de remédier de façon proactive à la discrimination salariale systémique fondée sur le sexe dans son milieu de travail.

2. En vertu de la loi, le terme « employé » désigne tout le monde

Étant donné la nature confidentielle de la rémunération des employés-cadres et des membres de la direction, les employeurs ont demandé si la Loi prévoyait un mécanisme pour exclure certaines fonctions lors du calcul de la rémunération globale dans le plan d’équité salariale. La réponse courte est non.

L’alinéa 3(1)c) de la Loi définit de façon générale un « employé » comme étant une « personne employée par un employeur visé à l’alinéa (2)e) dans le cadre d’une entreprise fédérale, au sens de l’article 2 du Code canadien du travail… ».

Le Guide législatif concernant la Loi sur l’équité salariale 8 fournit davantage de directives concernant les employés à inclure ou à exclure dans l’application de la Loi et précise que le terme « employé » inclut :

  • Les employés non-cadres et les employés-cadres, ce qui inclut généralement les hauts dirigeants et les chefs de la direction
  • Les employés syndiqués et non syndiqués
  • Les employés à temps plein et à temps partiel
  • Les employés permanents, occasionnels et temporaires
  • Les entrepreneurs indépendants [art. 3 de la Loi]
  • Les employés qui exercent des activités sous réglementation fédérale en tant que membres d’une unité distincte pour un employeur provincial
  • Les employés en congé de longue durée (p. ex., les congés de maladie ou de maternité)

Pour les employés du secteur privé, la Loi n’exclut que les personnes suivantes de la définition d’« employé » :

  • Les entrepreneurs indépendants
  • Les personnes employées dans le cadre d’un programme désigné par l’employeur comme Un programme d’embauche des étudiants
  • Les étudiants travaillant pour l’employeur uniquement pendant leurs vacances

3. Et si le syndicat refuse de participer?

En vertu de l’alinéa 19(1) d) de la Loi, l’agent négociateur doit choisir au moins un membre du comité d’équité salariale pour représenter les employés syndiqués faisant partie d’une unité de négociation représentée par l’agent négociateur. Il peut toutefois arriver que l’agent négociateur ne souhaite pas que ses membres participent au comité d’équité salariale pour différentes raisons, notamment le fait d’avoir des catégories d’emploi à prédominance féminine dans leurs unités de négociation.

La loi n’envisage pas directement ce scénario. Cependant, l’article 19(3) de la Loi prévoit un mécanisme permettant à un employeur de demander à la commissaire d’autoriser la constitution d’un comité selon des exigences différentes que celles prévues par la Loi. La Commission canadienne des droits de la personne a aussi publié des directives concernant ces demandes d’autorisation dans un document portant sur les interprétations, politiques et lignes directrices.9

Lors de l’évaluation des éléments de preuve fournis pour chaque demande, la commissaire déterminera si la demande est appropriée dans les circonstances et si l’employeur a déployé « tous les efforts raisonnables » pour se conformer à la Loi. Pour déterminer si un employeur a fourni tous les efforts raisonnables, la commissaire peut considérer, entre autres facteurs, le degré d’effort (c.-à-d., la durée de l’effort, le nombre de fois où il a été fait et les ressources qui lui ont été consacrées) et le type d’effort (c.-à-d., la mesure prise elle-même).

Lors de l’évaluation des éléments de preuve fournis dans chaque demande, la commissaire peut aussi considérer ce qui suit :

  • Les normes et pratiques comparables au sein de l'industrie concernée (le cas échéant)
  • Les mesures qu'un employeur aurait pu raisonnablement prendre, mais qu'il n'a pas prises
  • Le fait que des mesures correctives ont été prises ou non pour remédier à l'incapacité de l'employeur à constituer un comité d'équité salariale

Lorsque cette situation survient, nous recommandons de demander à l’agent négociateur de confirmer, par écrit, sa décision de ne pas participer au comité d’équité salariale. Cette confirmation peut prendre la forme d’une reconnaissance signée confirmant que les employés représentés par l’agent négociateur ont été avisés de leur responsabilité de se conformer à la Loi, qu’ils sont au courant de la non-participation de l’agent négociateur au comité d’équité salariale , que l’employeur a pris des mesures réelles et convenables afin d’informer l’agent négociateur et d’obtenir sa participation et que l’agent négociateur est convaincu que l’objectif de la Loi peut être atteint sans qu’un représentant de l’agent négociateur ne siège au comité d’équité salariale.

4. Fixer les règles de base concernant les comités d’équité salariale

Le comité d’équité salariale est composé de membres qui sont i) choisis par l’employeur pour le représenter; ii) choisis par l’agent négociateur pour le représenter, s’il y a lieu; et iii) choisis par des employés non syndiqués pour les représenter. Dans le cadre de ce rôle, le membre du comité aura accès à des informations qui ne sont pas du domaine public et qui sont de nature personnelle et confidentielle. Cela inclut de renseignements personnels sur les employés tels que définis par la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (L.C. 2000, ch. 5) (« LPRPDE »), ainsi que des renseignements désignés comme étant confidentiels par ceux qui les ont fournis, y compris, sans s’y limiter, les taux de rémunération, les barèmes des salaires, les commissions, les primes, les paiements en nature, l’identité de genre, les avantages directs et indirects reçus par un employeur ainsi que d’autres informations nécessaires pour élaborer un plan d’équité salariale conformément à la Loi.

La confidentialité est abordée dans l’article 24(1) de la Loi, qui prévoit que « les membres actuels et anciens du comité d’équité salariale sont tenus de traiter comme confidentiels les renseignements, fournis en vertu de l’article 23, que l’employeur, les employés ou les agents négociateurs, selon le cas, désignent comme tels, sauf en ce qui concerne les fins auxquelles ils sont fournis ». Par ailleurs, les manquements à l’article 24 de la Loi peuvent donner lieu à des plaintes contre le membre du comité en vertu des articles 149, 150, et 151 de la Loi.

Nonobstant les protections qu’offre la Loi, nous recommandons que chaque membre du comité approuve et signe i) l’énoncé du mandat[JC1] ; et ii) une entente de confidentialité. Même s’il n’est pas obligatoire en vertu de la Loi, l’énoncé du mandat peut constituer un guide utile pour les membres du comité en ce qui a trait aux objectifs, aux attentes, à la participation et au code de déontologie. De même, une entente de confidentialité peut aider à assurer que tous les membres du comité sont au courant de leurs obligations légales en matière de confidentialité, y compris la collecte, l’utilisation et la divulgation de renseignements confidentiels et personnels.

5. Règlement des différends liés au comité d’équité salariale

Lors d’un vote au comité d’équité salariale, deux voix seulement sont exprimées : i) une pour tous les membres du comité représentant l’employeur et ii) une pour tous les membres du comité représentant les employés, y compris les membres qui représentent différents agents négociateurs et les employés non syndiqués. Pour qu’il y ait un seul vote représentatif, tous les membres du comité représentant les employés doivent s’entendre sur leur position. S’ils ne parviennent pas à une décision à l’unanimité, le vote de l’employeur déterminera le résultat. Ce mécanisme intégré devrait réduire le nombre de différends, même s’il y a toujours un risque que les représentants de l’employeur et des employés s’enlisent dans une impasse.

Dans l’éventualité où les représentants ne parviennent pas à résoudre une question liée à une étape de l’exercice d’équité salariale au sein du comité, la Loi prévoit le recours à la commissaire qui doit aider à résoudre les différends.10 Bien que la Loi renvoie à la commissaire pour aider à la résolution des différends, elle ne prévoit pas de mesure particulière comme la médiation. Toutefois, le Guide législatif concernant l’équité salariale de la CCDP fournit les directives additionnelles suivantes : « Dès réception et acceptation d’un avis relatif à un différend, d’un avis d’objection ou d’une plainte, la commissaire tentera d’abord d’aider les parties à régler les questions qu’il convient de régler dans les circonstances, notamment en fournissant des renseignements aux parties et en utilisant des outils tels que la médiation ».11

Pour être proactifs en ce qui a trait aux éventuels différends, nous recommandons que les employeurs adoptent un énoncé de mandat à l’intention des membres du comité, comme précisé plus haut, et offrent une formation dispensée par des tiers aux membres du comité au sujet de leurs devoirs et de leurs responsabilités ainsi que de l’objectif de la Loi.

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  1. Les employeurs sous réglementation fédérale doivent déposer la version définitive de leur plan d’équité salariale d’ici le 3 septembre 2024.
  2. La Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) a publié plusieurs interprétations, politiques et lignes directrices que les employeurs peuvent consulter pour obtenir des informations de base.
  3. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (Re), 2022 CES 1 (CanLII) la « décision concernant le CN »; Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada au nom du Conseil du Trésor du Canada (Re), 2023 CES 1 (CanLII) la « décision concernant le Secrétariat du Conseil du Trésor »; Bruce Power Limited Partnership (Re), 2023 CES 3 (CanLII) la « décision concernant Bruce Power »; Administration portuaire de Toronto (Re), 2023 CES 2 (CanLII) la « décision concernant l’AP de Toronto ».
  4. La demande de plans multiples a été en partie accordée dans la décision concernant le CN.
  5. Décision concernant le CN, par. 31-34 et décision concernant le Secrétariat du Conseil du Trésor, par. 34.
  6. Décision concernant le CN, par. 63-67.
  7. Dans la décision concernant Bruce Power, l’employeur comptait environ 4 100 employés, auxquels s’ajoutait une main-d’œuvre temporaire et fluctuante d’environ 700 personnes. Dans la décision concernant le Secrétariat du Conseil du Trésor, l’employeur comptait environ 252 000 employés, dont 16 agents négociateurs représentant environ 240 000 employés, et quelque 12 000 autres employés non syndiqués.
  8. Guide législatif concernant la Loi sur l’équité salariale, Commission canadienne des droits de la personne, 2021
  9. « Comités d’Équité salariale - Interprétations, politiques et lignes directrices », 29 juin 2021
  10. Articles 147 et 154 de la Loi.
  11. Ibid. note7, par. 18.

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