Cet article est le deuxième d’une série de quatre sur les procédures d’enquête et d’application de la loi relativement aux allégations d’écoblanchiment en vertu de la Loi sur la concurrence. La première partie, intitulée C-59 : entre visées vertes et risques économiques, donne un aperçu général du processus d’enquête et d’application de la loi relativement aux allégations d’écoblanchiment en vertu de la Loi sur la concurrence.
Investigations du Bureau de la concurrence
Le Bureau de la concurrence (le Bureau) est un organisme canadien indépendant chargé de l’application de la loi qui protège les consommateurs et fait la promotion de la concurrence au Canada. La Loi sur la concurrence (la « Loi ») confère au Bureau de vastes pouvoirs pour mener des investigations sur les manquements potentiels à la Loi. Le commissaire de la concurrence (le « Commissaire ») dirige le Bureau et assume la responsabilité globale de l’administration et de l’application de la Loi.
Plus précisément, le Commissaire peut mener des investigations sur les entreprises en vertu des nouvelles mesures de la Loi pour les déclarations environnementales non fondées faisant la promotion d’un produit, d’une entreprise ou d’une activité commerciale, impliquant des entreprises qui font potentiellement la même chose. Le Commissaire peut initier une investigation de sa propre initiative ou sur la foi de renseignements reçus de diverses personnes, y compris un plaignant, un concurrent, un fournisseur, un client, un employé ou un dénonciateur.
Par exemple, les parties privées peuvent déposer un formulaire de plainte en ligne, demandant une investigation du Bureau sur les pratiques commerciales trompeuses.1 Le Bureau reçoit chaque année des milliers de plaintes. Entre avril 2023 et mars 2024, le Bureau a reçu environ 3 400 plaintes relatives à des pratiques commerciales trompeuses, ce qui représente une augmentation de 60 % depuis 2018.
Les plaintes suffisamment fondées peuvent justifier une investigation initiale visant à recueillir des renseignements et à déterminer si l’entreprise visée par la plainte pourrait avoir enfreint la Loi. Toutefois, selon les statistiques annuelles du Bureau, seul un faible pourcentage des plaintes (moins de 1 % depuis 2021) font l’objet d’une investigation, bien que ce pourcentage devrait augmenter en raison des modifications relatives à l’écoblanchiment du projet de loi C-59.
Le Commissaire peut mener des investigations criminelles et civiles sur des déclarations environnementales fausses ou trompeuses fondées sur des infractions potentielles en vertu des articles 52 et 74.01(1) de la Loi, respectivement. Ces investigations sont menées sur la base de renseignements fournis volontairement, ce qui n’oblige pas le Commissaire à exercer ses pouvoirs de contrainte.
La façon dont le Bureau communique avec la cible d’une investigation et le moment où il le fait dépendent de plusieurs facteurs. Dans un contexte civil, une entreprise qui est la cible d’une investigation est plus susceptible d’être contactée directement par le Bureau si le Commissaire estime que cela ne nuira pas à l’enquête. Dans un contexte criminel, le Bureau applique habituellement la Loi sans aviser les personnes visées par l’investigation, à moins que le Bureau n’ait décidé de procéder à un autre mode de résolution alternative du dossier, que la personne concernée ait pris connaissance de l’investigation par d’autres moyens ou que le Service des poursuites pénales du Canada (« SPPC ») décide de ne pas porter d’accusations. La société cible peut également prendre connaissance d’une investigation fondée sur des déclarations publiques d’un plaignant ou d’une autre personne concernée.
Enquêtes du Bureau de la concurrence
Certaines investigations peuvent évoluer vers une enquête officielle. Dans ces cas, le Commissaire recueille des renseignements pour déterminer s’il y a lieu d’intenter des poursuites civiles ou criminelles. Lorsqu’une enquête officielle est initiée, le Commissaire peut obtenir des ordonnances de la cour.
Instituer une enquête
Pour commencer, le Commissaire peut instituer une enquête officielle :
- Sur demande assermentée de six personnes résidant au Canada
- S’il y a des raisons de croire qu’une infraction à la Loi a été commise, et s’il existe des motifs pour émettre une ordonnance ou intenter des poursuites criminelles
- Si le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie le lui demande.
Bien que l’alinéa 10(1)a) de la Loi exige que le Commissaire initie une enquête officielle sur demande faite par six personnes résidant au Canada, le Commissaire n’est pas tenu de le faire dans les cas où il a déjà mené une investigation approfondie sur la question et a conclu qu’elle ne justifiait pas une enquête officielle.2
Ordonnances en vertu de l’article 11
Lorsqu’une enquête officielle est initiée, le Bureau s’appuie fortement sur les ordonnances de la cour pour obliger des personnes à produire les preuves obtenues en vertu de l’article 11 de la Loi.
Le Commissaire peut demander une ordonnance en vertu de l’article 11 pour obliger des personnes à témoigner et à produire des documents et des renseignements, ainsi que des ordonnances provisoires. Une telle ordonnance peut s’appliquer non seulement à la cible de l’enquête, mais aussi à ses sociétés affiliées (y compris celles situées à l’extérieur du Canada) et à ses concurrents, fournisseurs ou clients, s’ils détiennent des renseignements pertinents.Toutefois, les demandes de renseignements sur les pratiques commerciales trompeuses sont généralement axées sur la cible de l’enquête.
Processus confidentiel
Le Bureau a l’obligation légale de mener ses enquêtes en privé et de préserver la confidentialité des renseignements qu’il reçoit.3 En pratique, le Bureau étend cette protection à tous les examens préliminaires, y compris à son processus d’investigation.
- lorsqu’il s’agit d’un organisme chargé de l’application de la loi
- dans le cadre de l’administration ou de l’application de la Loi
- lorsque les renseignements sont devenus publics
- à l’égard de renseignements dont la communication a été autorisée par la personne les ayant fournis.
- pour demander à la Cour d’exercer les pouvoirs d’enquête officiels prévus aux articles 11 ou 15 de la Loi
- pour les communiquer au public aux fins de l’administration ou de l’application de la Loi
- pour instituer des procédures devant le Tribunal de la concurrence (le « Tribunal ») ou les tribunaux, y compris pour conclure un consentement
- si un plaignant ou une autre personne participant à l’investigation divulgue des renseignements au public, le Bureau a le pouvoir discrétionnaire de reconnaître qu’il a effectivement mené une telle investigation ou enquête.
Par ailleurs, le public a le droit d’avoir accès aux documents déposés ou reçus en preuve dans le dossier public sous la forme dans laquelle ils sont reçus par le registraire. Toutefois, ce droit n’est pas un droit général d’accès aux documents en la possession ou sous le contrôle du Bureau. Le Bureau ne fournira pas volontairement de renseignements aux personnes qui envisagent d’intenter ou qui intentent une action en justice, et il pourrait en fait demander à un tribunal de rendre une ordonnance de sauvegarde afin de préserver la confidentialité des renseignements en question. Le Bureau invoque le privilège de l’intérêt public pour se protéger contre la divulgation de renseignements en la possession du gouvernement lorsque cette divulgation est contraire à l’intérêt public.
Conclure une enquête
Une fois que le Commissaire a évalué les éléments de preuve recueillis, une enquête peut se conclure de plusieurs façons :
- le Commissaire peut y mettre fin
- le Commissaire et la société visée par l’enquête peuvent régler la question en concluant un consentement ou en acceptant des engagements écrits
- dans le cas des affaires civiles, le Commissaire peut déposer une demande auprès du Tribunal
- dans le cas des affaires criminelles, le Commissaire peut renvoyer l’affaire au SPPC pour intenter une poursuite criminelle.
L’outil le plus couramment utilisé par le Bureau pour assurer l’application de la loi en matière civile consiste à conclure un consentement avec l’entreprise visée par l’enquête. Le consentement peut être déposé devant les tribunaux ou le Tribunal pour enregistrement immédiat. Au moment de l’enregistrement, les procédures, le cas échéant, sont arrêtées et le consentement a la même force exécutoire que s’il s’agissait d’une ordonnance du tribunal.4 Une fois déposé, le consentement est mis à la disposition du public.
Principaux points à retenir
De plus en plus d’avenues s’offrent aux organismes de réglementation et au grand public pour surveiller et contrer l’écoblanchiment. En outre, les nouvelles mesures relatives à l’écoblanchiment et le droit des parties privées d’intenter une action en vertu de la Loi font ressortir la nécessité pour les entreprises d’étayer leurs allégations en matière d’environnement. Les entreprises doivent faire preuve de vigilance à l’égard de leurs processus internes et des renseignements qu’elles rendent publics. Celles qui ne s’adapteront pas pourraient faire l’objet d’investigations coûteuses et de mesures d’application de la loi, en plus de compromettre leur capacité financière et leur réputation. Étant donné les risques, il est essentiel que les entreprises actualisent leurs processus internes et veillent à ce que les renseignements qu’elles rendent publics soient soumis à un examen juridique chaque année.
- mettre en place des contrôles internes et des programmes de conformité rigoureux, ou examiner ceux qui existent déjà, et effectuer régulièrement des audits à cet égard
- évaluer leur exposition aux risques d’écoblanchiment et corriger les lacunes, le cas échéant
- veiller à ce que toutes les déclarations soient bien documentées et étayées par des données et des analyses crédibles
- établir un plan de gestion de crise spécifiquement pour les investigations réglementaires, y compris la définition des rôles du personnel clé, des protocoles de communication et des stratégies de réponse
- faire appel à un conseiller juridique dès le début du processus pour orienter les réponses et préserver le privilège juridique
- établir des protocoles pour répondre aux investigations ou aux enquêtes réglementaires et coopérer de façon transparente.
Veuillez noter que cette publication présente un aperçu des procédures d’enquête et d’application de la loi relatives aux pratiques commerciales trompeuses en vertu de la Loi sur la concurrence. Ce document est offert à titre informatif seulement et il ne vise pas à remplacer un avis juridique. Si vous avez besoin d’obtenir des directives, veuillez communiquer avec notre équipe Risques juridiques liés aux enjeux ESG et présentation de l’information ESG pour explorer la façon dont nous pouvons répondre à vos besoins juridiques.
- Les principaux renseignements du formulaire de plainte comprennent les coordonnées du plaignant, les coordonnées de l’entreprise, une description détaillée des événements, la conduite commerciale observée, la question de savoir si le plaignant est une victime et tout autre renseignement (y compris les documents) que le plaignant juge pertinent pour la plainte. Vous trouverez le formulaire à l’adresse suivante : https://bureau-concurrence.canada.ca/communiquez-bureau-concurrence-canada/formulaire-plainte
- Charette c. Canada (Commissaire de la concurrence), 2003 CAF 426 (C.A.F.), paragraphe 50
- Loi sur la concurrence, paragraphe 10(3), article 29
- Ibid, paragraphes 74.12(3), (4).