• Conor Chell, Author |
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Cet article est le troisième d’une série de quatre sur les procédures d’enquête et d’application de la loi relativement aux allégations d’écoblanchiment en vertu de la Loi sur la concurrence. La première partie, intitulée C-59 : entre visées vertes et risques économiques, donne un aperçu général du processus d’enquête et d’application de la loi relativement aux allégations d’écoblanchiment en vertu de la Loi sur la concurrence. Le deuxième article, intitulé Projet de loi C-59 : De l’investigation à l’enquête, présente certains éléments clés à prendre en considération pour les entreprises susceptibles de faire l’objet d’une enquête du Bureau de la concurrence.

Dans le présent article, je traite principalement des poursuites civiles pour pratiques commerciales trompeuses et également des deux nouvelles dispositions visant à contrer l’écoblanchiment ainsi que du droit privé d’action en vertu de la Loi sur la concurrence (la « Loi »).

Poursuites civiles pour pratiques commerciales trompeuses

Les parties privées et le commissaire de la concurrence (le « commissaire ») peuvent déposer un recours civil contre des entreprises qui font des allégations environnementales fausses, trompeuses ou non fondées au public afin de faire la promotion de leurs produits ou de leurs intérêts commerciaux de plusieurs façons :

  • Le commissaire peut déposer une demande auprès du Tribunal de la concurrence (le « Tribunal ») en vertu du paragraphe 74.01(1) (disposition civile en matière de pratiques commerciales trompeuses) de la Loi ou intenter une action devant les tribunaux provinciaux ou fédéraux
  • Les parties privées peuvent 
  • intenter une poursuite contre une entreprise, que ce soit une poursuite civile ou un recours collectif, pour 
  • réparer des préjudices résultant d’une conduite contraire aux dispositions criminelles en matière de pratiques commerciales trompeuses
  • obtenir des dommages-intérêts et une autre forme de réparation à l’égard de déclarations fausses ou trompeuses en vertu de la common law et des lois provinciales sur la protection des consommateurs.

Par ailleurs, à compter du 20 juin 2025, les parties privées auront des droits étendus leur permettant de déposer une demande d’autorisation au Tribunal si une entreprise contrevient aux dispositions civiles en matière de pratiques commerciales trompeuses.

Les étapes à suivre pour le commissaire ou les parties privées afin de déposer une demande auprès du Tribunal sont les suivantes : 

Demandes déposées par le commissaire à la concurrence

Le Tribunal est un organisme juridictionnel spécialisé régi par la Loi sur la concurrence qui n’a pas d’autres fonctions que celles d’entendre les demandes déposées en vertu de la Loi sur la concurrence et d’émettre des ordonnances. En règle générale, le Tribunal entend les questions d’intérêt national ayant une portée et une complexité importantes.

Comme il est mentionné précédemment, le commissaire et les parties privées qui ont obtenu une autorisation peuvent déposer une demande auprès du Tribunal. Cependant, avant qu’une partie privée puisse aller de l’avant avec sa demande, elle doit premièrement obtenir l’autorisation du Tribunal, comme il est décrit plus en détail ci-après.

Afin d’éviter la duplication des procédures, une poursuite criminelle ne peut être entamée contre une entreprise si une poursuite civile pour pratiques commerciales trompeuses portant sur les mêmes faits ou des faits similaires est déjà en cours.

En ce qui a trait au commissaire, les étapes habituelles du processus de demande sont les suivantes :

  • Le commissaire dépose un avis de demande auprès du Tribunal
  • Dans les cinq jours suivant le dépôt de la demande, le commissaire doit signifier celle-ci à l’entreprise défenderesse
  • Si l’entreprise souhaite répondre, dans les 45 jours suivant la réception de l’avis de demande, elle doit déposer une réponse et la signifier au commissaire. Cette réponse doit contenir, entre autres, les motifs d’opposition et les faits importants sur lesquels s’appuie l’entreprise s’opposant à la demande et la reconnaissance ou la dénégation de chacun des motifs et de chacun des faits importants connexes qui sont exposés dans l’avis de demande
  • Dans les 14 jours suivant la réception de la réponse, le commissaire peut signifier une réplique qui comporte la reconnaissance ou la dénégation de chacun des motifs et de chacun des faits importants connexes
  • Après la clôture des actes de procédure, les parties effectuent les étapes de la communication préalable et de la divulgation préalable, ce qui comprend l’échange de documents, les déclarations des témoins et, le cas échéant, les rapports d’experts
  • Au cours de l’audience, les parties mèneront des interrogatoires principaux et des contre-interrogatoires de témoins et d’experts.

Toute partie touchée par une demande, ou qui a une perspective particulière à apporter sur celle-ci, peut présenter une requête devant le Tribunal afin d’intervenir au cours d’une poursuite judiciaire. En particulier, les procureurs généraux fédéraux et provinciaux et le commissaire peuvent intervenir dans le cadre de poursuites auxquelles ils ne sont pas parties.

Toute partie à une action peut demander une ordonnance de confidentialité au Tribunal afin qu’un document ou une information soit traité comme étant confidentiel. Les documents ou les informations divulgués dans le cadre d’une instance du Tribunal, et qui ne sont pas visés par une ordonnance de confidentialité, peuvent être accessibles au public.  

Droit d’accès au tribunal par des parties privées

Il n’existe pas de droit automatique pour une partie privée de présenter une demande contre une entreprise devant le Tribunal. Toutefois, avec prise d’effet le 20 juin 2025, les parties privées pourront (comme il a été mentionné précédemment) demander l’autorisation de déposer une demande auprès du Tribunal en ce qui concerne les dispositions civiles en matière de pratiques commerciales trompeuses. La demande d’autorisation doit contenir un affidavit faisant état des faits sur lesquels se fonde la requête proposée, une copie de l’avis de requête proposé et un mémoire des faits et du droit.

Les étapes habituelles du processus sont les suivantes :

  • Une partie privée dépose un avis de demande d’autorisation afin de déposer une requête visant une personne et (ou) une entreprise en vertu des dispositions civiles en matière de pratiques commerciales trompeuses
  • Dans les cinq jours suivant le dépôt de l’avis, le demandeur signifie l’avis de demande d’autorisation à chacune des personnes à l’égard desquelles une ordonnance pourrait être rendue ainsi qu’au commissaire
  • Dans les 48 heures suivant la signification de la demande, le commissaire confirmera au Tribunal si la question fait l’objet ou non d’une enquête par le commissaire ou s’il y a ou non un accord entre le commissaire et la personne à l’égard de laquelle une ordonnance pourrait être rendue. Si la question fait l’objet d’une enquête ou d’un accord, le Tribunal avisera alors les parties dans les cinq jours suivant le dépôt qu’il ne peut recevoir la demande d’autorisation 
  • Dans les 15 jours suivant la réception de l’avis du Tribunal indiquant que l’audience de la demande d’autorisation aura lieu, un défendeur dépose et signifie une copie de son mémoire des faits et du droit
  • Dans les 7 jours suivant la réception du mémoire, la partie privée peut signifier une réplique.

La demande est jugée de façon similaire, principalement selon la preuve par affidavit des deux parties et sans audience.1 Le seuil pour obtenir l’autorisation n’est pas difficile à atteindre comparativement au défi de prouver le bien-fondé d’une affaire. Le Tribunal peut accorder l’autorisation s’il juge qu’il est dans l’intérêt du public de le faire.2

Le Tribunal ne poursuivra pas l’examen d’une demande d’autorisation dans les cas suivants :

  1. la question fait l’objet d’une enquête par le commissaire qui est en cours ou qui a été interrompue en raison d’un accord entre le commissaire et l’entreprise3
  2. la question faisant l’objet de la demande a pris fin il y a plus d’un an.4

Conséquences de la non-conformité aux dispositions civiles en matière de pratiques commerciales trompeuses

Si, dans le cadre d’une demande déposée par le commissaire ou une personne ayant obtenu une autorisation en vertu de l’article 103.1, le Tribunal conclut qu’une entreprise a enfreint les dispositions civiles en matière de pratiques commerciales trompeuses, il a le pouvoir discrétionnaire d’émettre un large éventail d’ordonnances remédiatrices, dont :

  1. l’interdiction du comportement susceptible d’examen, à savoir la déclaration ou l’allégation non fondée en question ainsi que les déclarations et les allégations similaires (pour une période de 10 ans, à moins que la cour ne précise une période plus courte)
  2. l’exigence de la publication d’avis correctifs
  3. l’imposition de pénalités administratives pécuniaires payables au gouvernement (et non aux parties privées), jusqu’à concurrence du plus élevé des montants suivants : 10 millions de dollars pour la première ordonnance (et 15 millions de dollars pour chaque ordonnance subséquente) et trois fois la valeur de l’avantage tiré de l’entente (ou, si le montant ne peut être déterminé raisonnablement, 3 % des recettes globales brutes annuelles de la personne morale)
  4. l’exigence de la restitution d’une somme aux acquéreurs des produits en cause (la restitution n’est possible que pour les ordonnances relatives aux violations de l’interdiction générale visant les allégations significativement fausses ou trompeuses; elle n’est pas possible en cas de violation de l’une ou l’autre des deux nouvelles dispositions relatives à l’écoblanchiment.)5, à l’exception des grossistes, des détaillants ou d’autres distributeurs, dans la mesure où ils ont revendu ou distribué les produits, de toute manière que la cour juge appropriée.6

De plus, le commissaire peut demander des injonctions provisoires et des ordonnances temporaires qui interdisent le comportement. À l’heure actuelle, seul le commissaire peut demander des ordonnances temporaires, mais les parties privées pourront en demander à compter du 20 juin 2025. Ainsi, les parties privées ayant obtenu une autorisation pourront enjoindre une entreprise à mettre fin ou à modifier ses campagnes de marketing avant la tenue d’une audience en bonne et due forme sur le fond.

Il convient également de noter que les actions privées peuvent être entreprises en parallèle de l’application publique de la loi. Cela signifie qu’une condamnation dans le cadre d’une action liée à l’application publique de la loi par le Bureau ou le Service des poursuites pénales du Canada peut servir de preuve dans le cadre d’une action privée que la personne a entreprise en vertu des dispositions civiles ou criminelles en matière de pratiques commerciales trompeuses.

Cependant, aucune ordonnance ne peut être rendue à l’égard d’une personne pour la publication d’avis correctifs, l’imposition de pénalités administratives pécuniaires ou la restitution, si cette personne établit qu’elle a fait preuve de diligence raisonnable pour prévenir le comportement susceptible d’examen.7

Principaux points à retenir

Compte tenu de la portée et de l’envergure des nouvelles mesures prévues par la Loi sur la concurrence et de l’attention renouvelée du public à l’égard des allégations d’écoblanchiment, les entreprises doivent demeurer vigilantes en ce qui concerne leurs processus internes. Celles qui ne s’adapteront pas pourraient faire l’objet d’investigations coûteuses et de mesures d’application de la loi, en plus de compromettre leur capacité financière et leur réputation. Étant donné les risques potentiels, il est essentiel que les entreprises actualisent leurs processus internes et veillent à ce que les informations qu’elles rendent publiques soient soumises à un examen juridique régulier chaque année.

Veuillez noter que cette publication présente un aperçu des procédures d’enquête et d’application de la loi relatives aux pratiques commerciales trompeuses en vertu de la Loi sur la concurrence. Ce document est offert à titre informatif seulement et il ne vise pas à remplacer un avis juridique. Si vous avez besoin d’obtenir des directives, veuillez communiquer avec notre équipe Risques juridiques et présentation de l’information, Enjeux ESG pour explorer la façon dont nous pouvons répondre à vos besoins juridiques.

1. (Barcode Systems Inc. c. Symbol technologies Canada ULC, 2004 FCA 339, par. 24; voir également Nadeau Poultry Farm Limited c. Group Westco Inc. et al., 2008 Trib conc 6)
2. Loi sur la concurrence, paragraphe 103.1(6.1)
3. Ibid, paragraphes 103.1(3), (4). Le commissaire doit confirmer dans les 40 heures suivant la réception d’une copie de la demande d’autorisation si la question qui fait l’objet de la demande répond à l’une ou l’autre de ces conditions, ou non
4. Ibid, paragraphe 103.1(8)
5. Ibid, article 74.1
6. Ibid, alinéa 74.1(1)d)
7. Ibid, paragraphe 74.1(3).

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