La transition énergétique ne se fera pas sans une transition du secteur des Infrastructures.
Le secteur des Infrastructures est au cœur de nos quotidiens et façonne notre société, raison pour laquelle il doit épauler la transition énergétique, voire s’en faire l’un des principaux vecteurs. En effet, la transition ne peut se faire que si nous développons les infrastructures nécessaires pour lui permettre d’advenir, ce qui implique plusieurs changements de paradigmes.
Décarbonation des transports, conception d’infrastructures vertes et évolution vers des villes durables sont autant de leviers à manoeuvrer pour relever ces défis. Nous ne pourrons aborder ces challenges qu’en améliorant la manière dont nous planifions, finançons, développons et exploitons nos infrastructures.
1. Pour une transition énergétique qui soit juste
Alors que la réalité du changement climatique et la nécessité d’une transition s’imposent dans les esprits, les débats autour de la “transition juste” soulèvent une autre difficulté : la répartition équitable des investissements, des développements et des résultats en matière de durabilité entre les marchés développés et émergents.
Au cours des années à venir, on peut s'attendre à ce que certains gouvernements et organisations internationales élargissent la définition de la “transition juste” et encouragent une collaboration plus importante entre les nations, les secteurs et les citoyens. Elles devront également initier un déploiement adapté des normes de durabilité en fonction des maturités de développement de chaque pays.
2. Vers une recrudescence des crises
En regard des vents contraires géopolitiques et économiques dominants, les risques réels et perçus pour les entreprises ont considérablement augmenté. Dans ce contexte de crise permanente, on peut s'attendre à ce que les acteurs du marché des infrastructures et les investisseurs se concentrent sur la recherche de nouveaux moyens de mesurer, de gérer et d’atténuer ce risque d'incertitude.
Il semble de nouveau possible de se montrer prudemment optimiste quant au triomphe des valeurs démocratiques et de l’économie de marché en lieu et place du populisme et du protectionnisme.
3. Plus de fraternité
Le secteur des Infrastructures draine un “capital philanthropique” plus important que par le passé : une augmentation qui permet de combler le fossé des budgets à mettre en place, notamment dans les marchés émergents.
En travaillant en partenariat avec les banques de développement multilatérales (MDB) les investisseurs philanthropiques seront amenés à utiliser leur capacité financière et leurs attentes de rendement différentes pour les aider à attirer davantage de capital en provenance du secteur privé et ainsi financer de nouvelles infrastructures. S'ils réussissent, un plus grand nombre de projets commenceront à arriver sur le marché, en particulier dans les pays émergents et au bénéfice des plus fragiles.
4. Décentralisation des infrastructures
À l’inverse du tropisme qui a dominé le secteur pendant toute la fin du dernier siècle, on observe une décentralisation progressive des infrastructures. Le magnétisme des centres-villes est moins concentré, si bien que les infrastructures repassent à une échelle plus locale, et donc de moindre ampleur.
Ce changement en cours implique un effort d’adaptation de la part des planificateurs, des investisseurs et des régulateurs, qui devront s’adapter à ce nouvel environnement. Les concepteurs et développeurs d'infrastructures devront également repenser leurs approches pour intégrer dans leurs modèles une pensée holistique des systèmes corrélée à une connectivité plus forte d’infrastructures locales.
5. La technologie pour concevoir des infrastructures durables
De nombreux propriétaires d'actifs, qu’ils soient publics ou privés, considèrent la technologie comme un moyen de maximiser la valeur de leurs actifs et de leurs investissements. Un nombre croissant de gouvernements et d'institutions internationales ont intégré dans leurs réflexions la manière dont ils pourraient appréhender de façon plus appropriée l'innovation et la technologie dans la valorisation des infrastructures et dans la valeur ajoutée créée par ces dernières au bénéfice des usagers.
Nous anticipons ainsi des progrès importants et une adoption plus poussée des nouvelles technologies (à commencer par l’IA) dans l’ensemble de la chaîne de valeur des infrastructures, en particulier dans des secteurs critiques tels que l'énergie, la construction durable et l'infrastructure urbaine.
6. Transition énergétique : vers un élargissement de la responsabilité ?
Le chemin vers l’objectif du Net Zéro sera de plus en plus compliqué. Pour atteindre ce but, ce n’est pas uniquement sur la sphère politique que porte la nécessité urgente d'agir. On peut ainsi s’attendre à ce que les investisseurs endossent leur part de responsabilité et intensifient leur pression sur les acteurs du secteur des infrastructures par le biais de l’allocation “responsable” du capital dont ils disposent.
Les régulateurs, d’une part, auront un rôle essentiel à jouer pour les éclairer sur des définitions d’indicateurs précis et comparables inclus dans des normes de durabilité et dans les différents labels afférents. D’autre part, rassurés sur la nature des infrastructures durables qu’ils utiliseront, les consommateurs seront plus ouverts à l’idée d’en supporter une partie des coûts financiers.
On peut imaginer, au niveau local, la création d’un bonus de durabilité qui viendrait récompenser les infrastructures atteignant certains critères environnementaux et sociétaux.
Parallèlement, au niveau macro-économique, les institutions mondiales créeront des mécanismes et des programmes innovants pour aider à orienter le capital vers les initiatives de transition énergétique dans les pays émergents.
7. Des enjeux croissants de réglementation
Le champ d’intervention des régulateurs s'est considérablement élargi pour inclure des risques tels que la cybersécurité, la résilience, la décarbonation, le financement et l'innovation. De nombreux acteurs considéraient auparavant ces sujets comme relevant de la compétence des décideurs économiques et des entreprises.
Il est probable que 2024 soit une année critique en matière d’acceptation de la régulation. En effet, celle-ci est encore parfois perçue comme un frein à l’innovation et au développement de nouveaux projets, notamment dans le domaine des infrastructures. Le défi d’une acculturation progressive des consommateurs aux bénéfices réels de ces régulations sera un enjeu majeur pour le secteur.
8. Répondre aux enjeux de durabilité avec les infrastructures vertes
L’engouement pour des projets basés sur le respect de l’environnement (y compris le réchauffement climatique) s'accélère grâce à un ensemble croissant de preuves suggérant que ces solutions ”d'infrastructures vertes” peuvent être plus efficaces, durables et abordables que les infrastructures traditionnelles dites ”grises”.
L'adoption généralisée de la valorisation des actifs basés sur la nature permettra aux entreprises de mieux les prendre en compte dans leurs bilans en y intégrant leur impact extra-financier, aidé en cela par l’avènement de nouvelles normes internationales (CSRD, ISSB,etc.). Il est probable, à terme, que les développeurs de nouvelles infrastructures privilégieront une approche plus verte que bétonnée.
9. Investir dans les infrastructures durables
Bien que la plupart des gouvernements ne puissent pas rivaliser avec la puissance de l'IRA (Inflation Reduction Act) aux États-Unis, beaucoup d’États et d’investisseurs disposeront de moyens importants pour améliorer et diriger les flux d'investissements de leurs propres marchés et géographies vers l'énergie renouvelable et la durabilité.
Par ailleurs, il semble primordial que les décideurs politiques et les leaders prennent conscience que la croissance verte, puisqu’elle est répartie plus uniformément, apporte plus d’équité et de justice. Elle pourrait ainsi être la solution à plusieurs de leurs problèmes notamment d’un point de vue sociétal, avec la fracture écologique et l’accès équitable à une énergie décarbonée.
10. Prévoir les enjeux de demain : modèles de développement, technologie & mix énergétique
Les ruptures technologiques se produisent sur des cycles très courts avec des impacts très importants. En conséquence, on peut s'attendre à ce que les gouvernements et les planificateurs mettent davantage l'accent sur la flexibilité des infrastructures afin de pouvoir en adapter les usages au fur et à mesure des “révolutions” technologiques.
Une telle approche permet de mieux utiliser les investissements existants sur un long terme. Elle donne également l’occasion de renforcer la confiance des acteurs du secteur sur leur capacité à affronter une forte perturbation en proposant plusieurs façons d’y faire face.
Pour réduire, voire inverser l’impact de nos infrastructures sur les écosystèmes où elles s’implantent, il faut :
Réduire leurs émissions carbone ;
Augmenter leur résilience face aux détériorations liées à l’usure et aux aléas climatiques croissants ;
Œuvrer à la restauration des milieux naturels en limitant l’artificialisation des friches et en mettant en place des actions de renaturation des villes.
La décarbonation des infrastructures représente un vaste chantier, qu’une simple inflexion des politiques mises en place ne saurait mener à terme. En plus d’une réforme systématisée et intersectorielle des usages, il est essentiel de changer de perspective et de mettre en place rapidement des investissements préventifs allant au-delà de la simple maintenance.