Découvrez les enjeux et tendances de l'agriculture cellulaire, une innovation controversée mais passionnante pour l'alimentation de demain.
Découvrez l'avenir de l'alimentation avec l'agriculture cellulaire
Publié le 3 février 2022
Le secteur de l’agriculture et de l’alimentation fait plus que jamais partie des priorités stratégiques pour répondre aux enjeux existants : nourrir de manière saine, durable, traçable et compétitive une population mondiale en forte croissance et désireuse de répondre à de nouvelles attentes. Une chose est sûre : les mentalités changent et nos assiettes aussi !
Avec notre série « Futur de l’alimentation : découvrez l’assiette de demain », plongez dans les enjeux et les tendances du marché de l’alimentation
Quelles sont les attentes clés des consommateurs, et en quoi impactent-elles les stratégies des professionnels de l’agroalimentaire ? Quels sont les enjeux liés à la hausse des prix des matières premières alimentaires ? Comment l’innovation peut-elle aider à développer de nouveaux débouchés commerciaux ? Comment faire rimer alimentation et santé ? Quelles compétences développer et quels talents attirer pour saisir les opportunités de l’agriculture et de l’alimentation ?
Découvrez notre série de cinq articles publiés toute les 2 semaines pour aborder ces tendances passionnantes ! Cette semaine, découvrons ensemble les enjeux posés par la hausse des prix des matières premières alimentaires.
Cette semaine, découvrons ensemble les tendances en matière d’agriculture cellulaire.
Dans l’histoire de l’agriculture, produire une alimentation à base de protéine animale relevait uniquement de l’élevage traditionnel en milieu plus ou moins intensif. Les innovations biotechnologiques ont rebattu les cartes en permettant, par exemple, de produire des protéines animales en environnement contrôlé à des fins alimentaires : c’est l’agriculture cellulaire. Bien qu’encore contestée dans plusieurs pays et par les filières d’élevage traditionnel, cette technologie est particulièrement innovante et passionne autant qu’elle est controversée.
Prenons l’exemple concret de la viande cultivée (ou viande in vitro ou encore viande de synthèse). Elle est produite à partir d’un faible nombre de cellules prélevées par biopsie sur un nombre limité d’animaux vivants. Ces cellules animales se multiplient en laboratoire grâce à un milieu de culture riche en nutriments, et contenant aussi des hormones et des facteurs de croissance nécessaires à la production de fibres musculaires [1]. De la viande sans abattage animal c’est ce que visent les entreprises qui poursuivent leurs recherches sur cette innovation. A ce stade toutefois, l’un des procédés existants pour la production de viande de synthèse à grande échelle nécessite du sérum de veau fœtal, impliquant l’abattage de vaches gestantes. D’autres procédés sans utilisation dudit sérum existent, mais sont à l’étape de prototypes [2].
En 2013, la science-fiction laissait place à la réalité lorsque que le premier « steak » in vitro (d’apparence de viande de bœuf hachée) obtenu à partir de cellules souches était présenté par le scientifique hollandais Mark Post.
Depuis, l’investissement dans ce domaine a connu une croissance exponentielle avec près de US$1 milliard investi à date [3]. De grands groupes industriels du secteur de la viande traditionnelle ont investi dans la viande cultivée : Bell Food Group, l’un des principaux transformateurs européens de viande, ou encore des groupes américains tels que Cargill et Tyson Foods [4]. L’investissement de grandes fortunes (comme Bill Gates, Richard Branson et Leonardo DiCaprio par exemple [5]) témoignent aussi du vif intérêt pour cette innovation. De nombreuses start-ups basées en Europe, aux Etats-Unis ou encore en Israël font le pari de l’agriculture cellulaire. Citons les exemples de Mosa Meat, Upside Foods (anciennement connue sous le nom de Memphis Meats), Aleph Farms, ou encore SuperMeat. Certains investisseurs et grands groupes européens sont activement impliqués dans la viande cultivée : en 2021, Nestlé a annoncé la mise en place d’un partenariat avec la start-up israélienne Future Meat Technologies [6], qui a réalisé une levée de fonds de 347 millions de dollars en série B dans le but de construire sa première usine de production à grande échelle aux Etats-Unis en 2022 [7]. La même année, la Banque publique d’investissement (BPI) est quant à elle venue soutenir financièrement les activités des starts-ups Gourmey et Vital Meat [8].
Certains acteurs voient cette technique non pas comme une alternative, mais comme une solution complémentaire à l’élevage animal traditionnel afin d’être capable de nourrir les 10 milliards d’êtres humains projetés en 2050. Bien que les experts observent une baisse de la consommation de viande au profit de produits végétaux dans certaines régions du monde (particulièrement des pays développés occidentaux), ils anticipent une hausse de la consommation dans d’autres géographies (Chine, Inde et Russie notamment). L’agriculture cellulaire proposerait donc une option complémentaire pour répondre à la croissance de la population mondiale, la demande croissante de viande dans certaines régions du monde, tout en offrant d’autres alternatives aux consommateurs vegan.
En décembre 2020, Singapour annonçait pour la première fois dans le monde l’autorisation de mise sur le marché de viande cultivée (des nuggets de poulet), voyant les perspectives offertes comme une opportunité de renforcer sa souveraineté alimentaire [9]. Plusieurs demandes de start-up sont en cours afin d’obtenir le précieux sésame du règlement « Novel food » pour commercialiser cette protéine animale alternative en Europe.
Des liens s’établissent entre les acteurs de l’agriculture cellulaire et l’univers de la restauration haut de gamme. Certains chefs étoilés dans le monde testent la cuisine à base de viande in vitro. Dans le même esprit, la cheffe française Dominique Crenn, trois étoiles au guide Michelin, a établi un partenariat avec la start-up Upside Foods et annoncé son souhait d’ajouter de la viande cultivée au menu de ses trois restaurants aux Etats-Unis dans une démarche de cuisine durable [10]. A quand un menu gastronomique vegan issu des procédés d’agriculture cellulaire ?
La viande de synthèse n’est en effet pas la seule application de l’agriculture cellulaire même si elle a capté la majorité des investissements. Aux Etats-Unis par exemple, la société Perfect Day spécialisée dans les produits laitiers de synthèse a annoncé en juillet 2020 avoir augmenté ses investissements de US$300 millions pour continuer à bousculer le marché historique. La startup française Gourmey a créé la surprise en juillet 2021 en annonçant qu’elle venait de créer du foie gras de synthèse à partir de cellules animales en laboratoire. Elle met en avant sa volonté de proposer un produit gastronomique sans gavage ni abattage et supposé être à plus faible impact environnemental. Gourmey espère pouvoir obtenir l’autorisation de commercialiser son produit aux Etats-Unis et en Asie. [11]
Toutefois, des défis majeurs restent à relever pour les fabricants de produits issus de l’agriculture cellulaire avant d’envisager une demande d’autorisation de mise sur le marché. En premier lieu, la production à échelle industrielle, dans le respect des règles de sécurité alimentaire, et permettant de réduire les coûts de production en vue de proposer des prix accessibles aux consommateurs. Ensuite, l’adhésion des consommateurs, toujours plus demandeurs de produits naturels. Si les acteurs de l’agriculture cellulaire déclarent que ce procédé est durable et respectueux de l’environnement, les avantages de cette « clean meat » restent à démontrer scientifiquement. Outre les limites techniques, la communauté scientifique rappelle qu’il existe encore de nombreuses incertitudes sur les avantages nutritionnels et que des progrès importants restent à réaliser en matière de qualité sensorielle (texture et goût).
De nombreux acteurs et organisations œuvrent à la création d’une nouvelle filière pour la viande cultivée. Il est attendu que les investissements continuent d’accompagner les percées biotechnologiques dans ce domaine. Nul doute que le contexte actuel où les enjeux sanitaires, nutritionnels, environnementaux et moraux sur la question du bien-être animal vont favoriser l’attention portée à l’innovation de l’agriculture cellulaire. Néanmoins, la capacité de ce procédé à lever les incertitudes existantes et répondre à chacun des enjeux sera scrutée très attentivement par l’ensemble des acteurs publics et privés qui œuvrent pour garantir une alimentation saine, durable et traçable aux consommateurs.
Retrouvez notre série de 5 articles
[1] Techniques de l’Ingénieur, 2020, « Viande in vitro - Intérêts, enjeux et perception des consommateurs »
[2] INRAE, 2021, « La viande in vitro, une voie exploratrice controversée »
[3] KPMG Nouvelle Zélande, Agribusiness Agenda 2021
[4] The Conversation, 2019, « Start-up de la viande artificielle, futurs Monsanto-Bayer de l’agriculture cellulaire ? »
[5] Ibid.
[6] Nestle.com, juillet 2021
[7] L’Usine Digitale, décembre 2021, « La pépite Future Meat Technologies lève 347 millions de dollars pour industrialiser sa viande cultivée »
[8] Le Parisien, avril 2021, « Ils croient dur comme fer à la viande de laboratoire : enquête sur un nouveau lobby »
[9] Le Monde, décembre 2020, « Singapour autorise la vente de viande artificielle, une première mondiale »
[10] Business of Bouffe, septembre 2021, Eat’s Business #26
[11] Les Echos, juillet 2021, « Gourmey, le trublion tricolore de la viande de synthèse »
Auteur :
Marie-Claire Renault Descubes, Senior Manager, Advisory