Quand start-up et grands groupes rivalisent d’ingéniosité.
Innovation managériale
Publié le 04 mai 2023
L’innovation managériale est loin d’être l’apanage des start-up. Les grands groupes revendiquent, eux aussi, leur lot de projets phares et de bonnes pratiques en la matière. Retour sur ces initiatives qui font évoluer les organisations en profondeur et en continu.
L’innovation managériale ne date pas d’hier. Elle n’a pas attendu les crises sanitaire et climatique pour faire évoluer les organisations. Dans leur livre intitulé « L'innovation managériale - Généalogie, défis et perspectives », les chercheurs Frédéric Le Roy, Marc Robert et Philippe Giuliani rappellent ainsi que le principe du laboratoire de R&D a été introduit dès le début du XXe siècle au sein de General Electric, ce qui lui a donné une capacité d’innovation – technique aussi bien qu’organisationnelle – extrêmement forte.
De la même façon, dès 1903, le groupe DuPont a été une entreprise pionnière dans la définition du ROI (retour sur investissement) et des techniques budgétaires. Ces nouveaux outils de gestion lui ont permis de devenir un géant industriel. Rappelons également que les grands principes du taylorisme ont été présentés par son inventeur, l’ingénieur américain Frederick Winslow Taylor, lors de la publication de son ouvrage intitulé « La Direction scientifique des entreprises », en 1911.
Depuis une décennie, le rythme des innovations managériales s’accélère. Dans un article publié dans Forbes en avril 2021, David Autissier, maître de conférences à l'IAE Gustave-Eiffel et directeur des chaires Essec consacrées au changement et à l’innovation managériale, détaille la chronologie suivante :
- En 2010, les outils collaboratifs comme le codéveloppement permettent de répondre au désir de participation des collaborateurs.
- Dès 2012, l’émergence de modèles alternatifs comme l’entreprise libérée, l’holacratie et la sociocratie font écho aux aspirations de plus en plus fortes des salariés en termes de management horizontal et d’autonomie.
- En 2015, les principes de l’intelligence collective se traduisent, sur le terrain, par l’organisation de hackathons et par la montée en puissance du design thinking et du mode Agile.
- En 2018, l’adoption de la loi Pacte propulse au firmament la notion de sens. Les entreprises se posent alors, plus que jamais, la question de leur raison d’être et certaines choisissent d’adopter le statut de société à mission.
Enfin, à partir de 2020, « la crise du Covid-19 met en exergue la mise en place d’organisations hybrides avec des temps de travail en présentiel et en distanciel. Au-delà d’un simple aménagement organisationnel, cette réflexion concerne la notion même de travail, la relation à l’entreprise et l’évolution des pratiques de management », précise David Autissier.
L’innovation managériale dans l’ADN même des start-up
Les start-up, parce qu'elles sont des creusets d'innovation et ne sont pas héritières de structures historiques, semblent être les mieux placées pour inventer de nouveaux processus et faire évoluer leur organisation en continu. Le lean ou la méthode Agile sont des modes d'organisation innovants portés par les start-up, parce qu'ils se prêtent bien aux cycles courts d'un grand nombre de jeunes pousses positionnées sur des offres à fort contenu technologique.
Au sein des start-up, la culture de l’agilité et de la transformation permanente est naturelle, constitutive même de leur survie, surtout dans les premières années d’existence.Les start-up qui pilotent le mieux leur « accélération » sont celles qui mettent en œuvre, au quotidien, les principes de l’intelligence collective et raisonnent « écosystème » de manière systématique.
Les jeunes pousses qui réussissent sont également celles dont la raison d’être a été finement « travaillée ». Quoi de mieux en effet que des équipes engagées autour de valeurs communes, soudées autour d’un projet fédérateur, profondément impliquées dans l’aventure qu’elles sont en train de vivre ?
Les grands groupes propulsent leurs propres innovations managériales
Mais les grands groupes ne sont pas en reste. Certes, leur capacité à s’approprier les méthodes des start-up s’est fortement développée, mais ils sont également en capacité d’inventer d'autres types d'innovations managériales, davantage orientées vers la création d'un climat de confiance, le bien-être, l'autonomie, la coconstruction du projet d'entreprise et de son offre avec les salariés.
Cela leur permet de faire face à la transformation rapide des modes de consommation et à la nécessité de l’innovation permanente dans leur offre de produits et de services. La FDJ a, par exemple, choisi de développer l’agilité de ses équipes. Pour ce faire, elle a entrepris de libérer la capacité d’initiative de ses collaborateurs et de favoriser la mise en œuvre d’un fonctionnement collaboratif au cœur de sa fonction de production. C’est ce que relatent JeanYves Guillain et David Autissier dans le livre « La Parole libérée en entreprise - Les Innovations managériales collaboratives de la FDJ », paru aux éditions Eyrolles.
Dans une tribune parue dans « La Tribune », Marc Robert et Philippe Giuliani soulignent, eux, les efforts entrepris par Schneider Electric, au début des années 2000, pour transformer en profondeur le mode d'organisation et les pratiques de management de l'entreprise, en conférant notamment des responsabilités accrues en matière d'amélioration de la performance aux premiers niveaux hiérarchiques.
Grâce à une innovation managériale majeure appelée « animation à intervalle court (AIC) », qui s'est déployée sur plusieurs années, une amélioration sensible de la productivité industrielle a été constatée, contribuant à faire de Schneider Electric un leader mondial sur plusieurs segments de son activité. L'AIC a en outre permis aux usines implantées en Europe de faire des gains de productivité de l'ordre de 10 % par an, leur permettant ainsi de demeurer concurrentielles au regard des usines implantées dans des pays à faibles coûts de maind'œuvre.
Onboarding, rémunération, vision à 10 ans… le champ des possibles reste ouvert
Dans un autre registre, Axa a peaufiné son dispositif d’onboarding (accueil des nouveaux entrants) afin d’en faire une expérience « remarquable », d’autant plus attendue dans le contexte de crise sanitaire. L’assureur, qui a reçu l’Argus d’Or 2021 dans la catégorie « innovation managériale », a souhaité optimiser ce processus en intégrant les nouveaux usages digitaux. Dans ce nouveau programme, Axa propose à ses nouvelles recrues une série de mails Welcome@Axa sur un an, une réunion d’accueil digitale avec une boîte à outils pour les guider, une communauté de partages (plus de 1000 membres) pour développer leur réseau et un programme de mise en relation intergénérationnelle entre collaborateurs.
Autre exemple : chez Decathlon, un dispositif appelé « Self decision & advice process remuneration » permet à n’importe quel collaborateur qui souhaite s’accorder une augmentation de salaire ou une prime, de solliciter son entourage pour obtenir des avis sur la légitimité de sa décision.
Chez Leroy Merlin (groupe Adeo), le projet « Vision » a été initié il y a plus de 25 ans. Le principe : recueillir les suggestions des collaborateurs, pour renforcer leur implication. Dès 1994, les idées partagées par les équipes deviennent réalité : Leroy Merlin lance alors l’écoute client, réinvente ses magasins et innove dans les services avec l’emporté marchandises, l’assistance téléphonique ou encore la carte fidélité. En 2006, Leroy Merlin s’ouvre davantage sur l’extérieur avec les « visites habitants » et la création de sa Fondation. Enfin, en 2015, le programme Vision permet de collecter pas moins de 32000 idées pour écrire le projet de l’entreprise à 10 ans.
On le voit, l’innovation managériale a, depuis plus de 120 ans, permis aux entreprises leaders de leur marché de s’adapter à leur environnement et d’anticiper les modifications en profondeur de leur champ concurrentiel. Grands groupes et start-up ont innové de concert, parfois avec des méthodes et des rythmes différents, mais toujours en s’observant et en s’apportant mutuellement des compléments. C’est ce qui fait la richesse de cette discipline en perpétuelle réinvention.
À retenir
Au sein des start-up, la culture de l’agilité et de la transformation permanente est naturelle, constitutive même de leur survie. Mais les grands groupes ne sont pas en reste. Leur capacité à s’approprier les méthodes des start-up s’est fortement développée, mais ils sont également en capacité d’inventer d'autres types d'innovations managériales, davantage orientées vers la création d'un climat de confiance, le bien-être, l'autonomie, la coconstruction du projet d'entreprise et de son offre avec les salariés.
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