• Andrew Higdon, Author |
9 minutes de lecture

​Note : le contenu de ce billet de blogue est fondé sur la Loi sur le droit de la famille de l’Ontario et ne s’applique pas à la province du Québec.

Jean et Jeanne viennent de se remarier. Ils sont tous deux au début de la quarantaine, et ont chacun deux enfants issus d’une relation précédente. Puisqu’ils sont prudents et responsables, Jean et Jeanne veulent s’assurer qu’advenant leur décès, tous les membres de leur nouvelle famille seront pris en charge de manière équitable. Il y a donc quelques options à leur disposition.

Lors de leur premier mariage respectif, leur avocat les a aidés à préparer des testaments « miroirs » ou « mutuels ». Dans le cas du testament miroir, chaque conjoint prépare un testament dans lequel il indique que l’ensemble de son patrimoine ira à l’autre en cas de décès. Si l’un d’eux décède avant la rédaction d’un testament, son patrimoine sera réparti entre les bénéficiaires désignés par l’autre conjoint (leurs enfants, habituellement). Dans le cas de Jean, s’il décédait avant celle qui est maintenant son ex-femme, ses biens lui seraient directement légués. Puis, au décès de cette dernière, si aucun changement n’a été apporté au testament, son patrimoine (y compris celui de Jean) serait divisé entre leurs enfants, comme convenu précédemment.

C’était un bon plan à l’époque : Jean était heureux de faire passer son patrimoine à sa femme, sachant que leurs enfants deviendraient les bénéficiaires de leurs actifs combinés. Leur avocate leur avait expliqué que ce plan reposait sur une confiance mutuelle, puisqu’au décès d’un des conjoints, l’entièreté de ses biens serait léguée directement au partenaire survivant. Cela signifiait donc que ce dernier pourrait décider, à tout moment pendant qu’il en avait la capacité, de refaire son testament afin de laisser son patrimoine élargi à un ou des bénéficiaires qui ne sont pas ses enfants. Toutefois, au moment de la rédaction des testaments, Jean et sa femme de l’époque étaient persuadés qu’une telle situation ne se produirait pas, car ils partageaient le désir de léguer à leurs enfants leur patrimoine combiné.

Les choses sont différentes aujourd’hui. Jean et Jeanne ne sont plus mariés à leur conjoint précédent, et ils ont tous deux besoin d’un nouveau plan successoral. Comme c’était le cas dans leur ancien testament, ils souhaitent assurer le confort de l’autre conjoint après leur décès. Toutefois, la situation se corse en ce qui concerne leurs désirs relativement aux bénéficiaires : étant donné qu’ils ont des enfants issus de leur relation précédente, ils veulent que leur patrimoine respectif soit partagé avec l’ensemble des enfants de la famille recomposée.

Jean et Jeanne pourraient opter de nouveau pour des testaments miroirs, nommant tous les enfants comme bénéficiaires égaux. Cependant, ils ont maintenant moins confiance que le conjoint survivant traitera tous les enfants de manière égale plutôt que de favoriser ses enfants biologiques. Du point de vue de Jeanne, même si Jean décide de ne pas changer son testament après le décès de celle-ci, il pourrait privilégier ses propres enfants en leur offrant d’importants cadeaux au cours de sa vie. Cela réduirait ainsi le patrimoine combiné du couple et donc la taille de la part disponible pour les enfants de Jeanne au décès de Jean. Jean pourrait aussi décider de se remarier : il ajouterait donc une nouvelle conjointe et d’autres enfants à ses bénéficiaires, et leur léguerait possiblement des biens qu’il aurait hérités de Jeanne!

Option no 1 : l’entente de testaments mutuels
L’une des stratégies de planification successorale auxquelles Jean et Jeanne ont accès est l’entente de testaments mutuels. Il s’agit d’un contrat conclu entre deux personnes (habituellement des conjoints) afin de maintenir certaines clauses dans leur testament respectif. Le plus souvent, ce contrat interdit aux partenaires de changer leur testament sans le consentement de l’autre pendant qu’ils sont tous deux vivants. Lorsque le premier conjoint décède, le survivant perd à jamais le droit de modifier son testament ou de dilapider le patrimoine au moyen de cadeaux extravagants. Il est possible d’ajouter des clauses limitant les changements futurs dans les testaments, de préparer un contrat écrit distinct ou de faire les deux. Grâce à cette stratégie de planification, le patrimoine du premier conjoint décédé passe toujours entièrement au survivant. Toutefois, l’entente de testaments mutuels garantit un droit personnel qui restreint la liberté du conjoint survivant quant à son testament et à son patrimoine.

De plus, une entente de testaments mutuels est un moyen utile d’empêcher un veuf ou une veuve de léguer l’héritage reçu à son nouveau conjoint. Si Jean et Jeanne décident de conclure une telle entente, les enfants de Jeanne auront le droit d’intenter une poursuite contre Jean s’il n’en respecte pas les modalités de son vivant, que ce soit en privilégiant ses propres enfants et en leur offrant des cadeaux extravagants, ou en refaisant son testament afin de réduire la part de l’héritage des enfants de Jeanne – notamment dans le cadre d’un remariage. Cependant, le recours à une entente de testaments mutuels ne se limite pas aux familles reconstituées. Les conjoints qui en sont à leur premier mariage pourraient également établir un contrat afin d’immobiliser la répartition des biens sur laquelle ils se sont entendus et ainsi protéger l’héritage de leurs enfants contre les désirs de futurs partenaires.

Mais cette solution comporte aussi des désavantages. Premièrement, selon son libellé, le contrat peut être inflexible. À la mort du premier conjoint, si celui-ci a respecté sa part de l’entente et n’a pas changé son testament sans le consentement de l’autre partenaire, l’entente devient irrévocable. C’est là, bien sûr, l’essentiel de cette stratégie. Toutefois, si le conjoint survivant vit de nombreuses décennies de plus, il se peut qu’il déplore sa perte de liberté testamentaire. Et ce, surtout s’il a grandement fait fructifier le patrimoine après avoir travaillé pendant des années ou touché un autre héritage. Rédiger une entente suffisamment flexible pour permettre un ajustement ultérieur, sans aller à l’encontre de l’objectif de l’entente, est un défi de taille.

Deuxièmement, une entente de testaments mutuels est un contrat qui n’offre qu’un droit d’exécution personnel. Cela signifie que, en principe, les bénéficiaires déçus devront s’adresser à un tribunal pour changer leur sort – un moyen coûteux et émotionnellement difficile de préserver leur héritage, et pas nécessairement fructueux si les actifs ont déjà été dilapidés. Il serait donc prudent d’informer les futurs bénéficiaires de l’existence de l’entente et de leur en fournir un exemplaire, si les modalités ne figurent pas au testament, afin qu’ils n’aient pas de mauvaise surprise.

Troisièmement, l’entente pourrait être difficile à interpréter. Par exemple, qu’est-ce qui constitue un cadeau extravagant? Cela exige une détermination factuelle qui peut être difficile à définir, même si le conjoint survivant tente réellement de respecter les modalités de l’entente.

Option no 2 : la fiducie au bénéfice du conjoint
Jean et Jeanne peuvent également opter pour autre stratégie de planification, soit la fiducie au bénéfice du conjoint. Une fiducie est une entente en vertu de laquelle une personne (le « constituant ») transfère ses biens à une deuxième personne (le « fiduciaire ») afin qu’elle les administre au profit d’une troisième personne (le « bénéficiaire »). En pratique, il n’est pas nécessaire que ces deux dernières personnes soient différentes. Une fiducie au bénéfice du conjoint est simplement une fiducie dont le conjoint survivant pourra tirer parti au cours de sa vie.

Par exemple, le testament de Jean pourrait stipuler qu’à son décès, ses biens seront détenus en fiducie au nom de Jeanne sa vie durant. Elle serait donc en droit de toucher la totalité du revenu généré par les actifs détenus en fiducie en son nom (revenu de placement provenant d’un portefeuille d’actions, loyers de biens immobiliers, etc.) ainsi que toute portion du produit de la vente d’actifs en fiducie que les fiduciaires jugent nécessaires pour assurer son confort. Puis, au décès de Jeanne, les biens restants dans la fiducie seraient être répartis entre les enfants de Jean.

De cette façon, Jean pourrait utiliser son patrimoine pour subvenir aux besoins de Jeanne au cours de sa vie. De plus, puisque seuls le revenu et le capital versés à Jeanne dans le cadre de la fiducie au bénéfice du conjoint lui appartiendraient, Jean n’aurait pas à exiger de Jeanne qu’elle rédige un testament qui désigne ses enfants comme bénéficiaires. Aussi, ceux-ci n’auront pas à demander à un tribunal d’appliquer les modalités d’une entente de testaments mutuels, puisque celles de la fiducie de Jean permettraient de veiller à ce qu’au décès de Jeanne, tout actif restant dans la fiducie leur soit transmis. Une fiducie créée de cette façon préserverait également le traitement fiscal favorable qui accompagne habituellement les dons entre conjoints.

Si Jean choisit cette stratégie, il devra s’assurer que les actifs qu’il prévoit de mettre en fiducie soient en son seul nom et qu’ils soient transmis selon les dispositions de son testament à son décès. Par exemple, au décès de Jean, les actifs qu’il détient conjointement avec Jeanne (on parle alors de propriété conjointe et non de tenance commune) pourraient être transmis automatiquement à cette dernière, et donc à l’extérieur de la fiducie. Jean doit également bien réfléchir au moment de nommer les fiduciaires de la fiducie au bénéfice du conjoint. Ses enfants pourraient ne pas être de bons candidats : il est possible qu’ils soient partagés entre leur devoir de prendre soin de leur belle-mère et leur intérêt personnel à maximiser la valeur des biens de la fiducie pour leur propre bénéfice éventuel. S’il est à l’aise avec les honoraires que cela implique, Jean pourrait plutôt se tourner vers un fiduciaire professionnel pour assurer une impartialité.

Maintenant, si Jean et Jeanne choisissent d’établir des fiducies au bénéfice de l’autre conjoint, ils doivent aussi tenir compte des règles du droit de la famille. Les conjoints légalement mariés ont le droit de ne pas tenir compte de la disposition de distribution des actifs d’un testament et de demander, en vertu de la Loi sur le droit de la famille, de recevoir un paiement d’égalisation au décès de leur conjoint, ce qui préserve essentiellement le droit dont ils auraient bénéficié en cas de divorce. Cela signifie que, même si un testament est rédigé de manière à exclure le conjoint survivant, celui-ci peut demander à un tribunal d’en ignorer les dispositions et de faire plutôt appliquer son droit. Étant donné qu’une fiducie au bénéfice du conjoint n’accorde pas directement droit aux fonds en fiducie au conjoint survivant, ce dernier peut choisir de faire appel au tribunal afin de recevoir un paiement d’égalisation.

Pour répondre à cette préoccupation, Jean et Jeanne devraient envisager de conclure un contrat familial préparé par des avocats en droit de la famille qualifiés et indépendants, conformément aux règles relatives à ce type de contrat qu’énonce la Loi sur le droit de la famille. Ce contrat familial devrait comprendre une clause de renonciation explicite au droit des conjoints de revendiquer le paiement d’égalisation et une promesse de la part de chaque partie d’accepter les modalités du testament de l’autre.

Et ils vécurent heureux jusqu’à la fin des temps
Les membres de familles recomposées savent que leur situation est compliquée : les conjoints devraient donc tirer parti des stratégies présentées précédemment, entre autres, pour veiller à ce que leurs proches soient protégés et que leurs enfants demeurent les bénéficiaires de leur patrimoine. La meilleure façon d’y parvenir est de consulter un avocat afin de recevoir des conseils adaptés à chaque situation.

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