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1er avril 2022     |    6 min de lecture

TECH ECONOMY

L’engouement des entrepreneurs et investisseurs pour l’informatique quantique, partout dans le monde, peut surprendre alors même que la maturité de cette technologie n’est pas encore au rendez-vous. Explications. 

En France, l’année 2021 a été riche en événements financiers et annonces d’envergure autour de l’informatique quantique : plan français d’1,8 milliard d’euros sur cinq ans, levée de 25 millions d’euros en série A de la start-up Pasqal spécialisée dans les processeurs quantiques, introduction en Bourse du fonds d’investissement Audacia (7 millions d’euros levés)…  

Aux Etats-Unis, la start-up américaine IonQ, qui utilise des ions piégés pour réaliser des qubits, a été la première à s’introduire en Bourse, sur le New York Stock Exchange, en octobre 2021, levant au passage quelque 636 millions de dollars, ce qui la valorise à près de 2 milliards de dollars.  

Mais après des décennies de travaux de recherche, et malgré les annonces de certains acteurs du marché, il n’existe toujours pas de véritables ordinateurs quantiques. Leurs performances sont encore instables (trop d’erreurs commises) et leur capacité à monter en charge est encore trop faible pour remplacer les ordinateurs traditionnels.

Une technologie soumise à des questions de faisabilité

« Avec l’informatique quantique, nous ne sommes pas dans un cycle d’innovation classique, comme dans le numérique. Ici, le questionnement est avant tout scientifique, avant d’être technologique. La communauté scientifique est aujourd’hui partagée sur la faisabilité même de l’informatique quantique. Ce n’est pas qu’un problème d’ingénierie, c’est un problème de science fondamentale », déclare Olivier Ezratty, expert du sujet, auteur du livre « Understanding Quantum Technologies 2021 » et du podcast « Decode Quantum », avec Fanny Bouton.

« Qui plus est, ce domaine est très difficile à décoder, avec une très forte intrication entre les questions de physique, de matériel, d’électronique, d’algorithmie… C’est un sujet jeune, il n’existe pas encore de benchmark universel pour comparer toutes les technologies. Le message que le marché reçoit est donc très confus. Cette confusion est renforcée par l’existence de beaucoup de contradictions entre les affirmations à l’emporte-pièce de certains acteurs privés, voire de chercheurs, et la réalité technologique et scientifique. Aujourd’hui, les ordinateurs quantiques disponibles dans le cloud ne disposent pas encore de capacités de calcul supérieures à celles des ordinateurs classiques. Cela reste des outils expérimentaux », ajoute Olivier Ezratty. 

Des technologies voisines prometteuses

Il existe cependant deux grandes technologies voisines de l’informatique quantique moins sujettes à l’incertitude scientifique et qui donnent déjà lieu à des applications industrielles. La première est celle des capteurs quantiques qui intéressent notamment l’industrie manufacturière. Ils permettent en effet une mesure de grande précision, de presque toutes les grandeurs physiques connues : gravité, magnétisme, ondes électromagnétiques, temps, lumière… Les applications sont nombreuses : BTP, imagerie médicale, secteur militaire, transport, urbanisme…

« On parle peu des capteurs quantiques car c’est un marché assez fragmenté, même s’il comporte déjà plusieurs dizaines d’acteurs et peut être qualifié de ‘mature’. Mais les prévisions de croissance de ce marché sont inférieures à celles de l’informatique quantique. Et la question qui se pose est de savoir si les acteurs industriels vont imaginer des solutions ayant des usages sur des marchés de volume », commente Olivier Ezratty.

Autre technologie voisine : les télécommunications quantiques qui permettent de mettre en place des systèmes de cryptographie quantique très sécurisés et de créer ce que certains appellent déjà l’internet quantique, qui reliera les ordinateurs quantiques (quand ils seront opérationnels) entre eux. « Le marché des télécommunications quantiques est entre deux eaux. Sa maturité technologique se situe entre les capteurs quantiques, qui fonctionnent très bien, et l’ordinateur quantique qui n’est pas encore au point », note Olivier Ezratty.

À quel horizon espérer les premiers ordinateurs quantiques ?

La question que tout le monde se pose est bien évidemment de savoir à quel horizon il est raisonnable d’espérer voir les premiers vrais ordinateurs quantiques sortir sur le marché ? « On ne sait pas… peut-être dans 10, 15 ou 20 ans. Ces réponses sont empiriques, souvent issues d’extrapolations basées sur d’autres sciences ou technologies, sans aucune valeur scientifique », analyse Olivier Ezratty.

« Mais je suis convaincu que, dans 25 ans, compte tenu de la multiplicité des types de qubits et d’ordinateurs quantiques, des machines vont apparaître, proposant des offres intéressantes, sans toutefois révolutionner le marché. Elles permettront peut-être de rivaliser avec certains supercalculateurs, en réalisant des calculs plus élégamment, avec plus de précision. Ce serait de l’ordre de l’innovation incrémentale. C’est plausible dans les années qui viennent », précise l’expert.

Des questions d’éthique à prendre en considération

Tout comme pour d’autres technologies, i.e. l’intelligence artificielle ou la 5G, des questions d’éthique se posent. Tout d’abord à propos des usages : ces derniers vont-ils être positifs pour la société (question de la dualité des usages) ? De plus, l’éthique de la connaissance est également à prendre en compte : le sujet étant complexe, son appropriation par le grand public n’est pas évidente. La question de la pédagogie, de la sensibilisation et de la formation se pose alors. 

Enfin, si l’on se place sur le plan de l’innovation responsable, il est clé de se poser les bonnes questions, le plus tôt possible, dans les phases de conception de la technologie. « On parle beaucoup de la consommation énergétique du calcul quantique. Il existe plusieurs approches technologiques différentes pour monter en puissance et passer à l’échelle. La question doit être traitée le plus en amont possible », commente Olivier Ezratty.

« Si nous sommes un jour capables de simuler des molécules organiques, cela soulèvera des questions éthiques, au même titre que la modification du génome humain, le génie génétique, les OGM… Dans le monde entier, il y a déjà des groupes de recherche, composés de sociologues, philosophes et scientifiques, qui travaillent sur ces sujets », conclut Olivier Ezratty.

On le voit, alors que la promesse initiale du calcul quantique était de permettre des calculs inaccessibles aux machines classiques, en bénéficiant d’une accélération exponentielle du calcul permettant de résoudre plusieurs catégories de problèmes (simulation, optimisation, machine learning…), force est de constater que, pour le moment, la validation même de la technologie quantique se fait attendre. Il convient donc de rester prudent par rapport aux annonces du secteur et d’étudier avec le plus grand soin toute option technologique que l’on souhaite privilégier.

À retenir
En France, l’année 2021 a été riche en événements financiers et annonces d’envergure autour de l’informatique quantique. Mais après des décennies de travaux de recherche, le domaine est toujours très difficile à décoder. Pour l’instant, 2 grandes technologies voisines de l’informatique quantique, les capteurs et télécommunications quantiques, moins sujettes à l’incertitude scientifique donnent véritablement lieu à des applications industrielles.

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