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Avis d'expert de Laurence Mazevet, Associée KPMG Avocats et d'Amélie Noël, Associée KPMG publié dans Option Finance le 20 mars 2023.

Alors que l’imposition minimum mondiale à 15% va devenir effective à compter du 1er janvier 2024, nous vous proposons un premier retour d’expérience sur les questions les plus fréquentes auxquelles les groupes sont confrontés lors de la collecte des données nécessaires à la mise en œuvre de ces règles.

Le défi de l’accessibilité et du regroupement des données pour l’ensemble des entités constitutives

La première étape de la mise en œuvre des règles GloBE1 consiste à définir le périmètre d’application : quelles sont les entités constitutives, et parmi celles-ci quelles sont celles qui vont être tenues de s’acquitter le cas échéant des impositions complémentaires ?

A cet égard les premiers sujets à traiter sont liés à la structure du groupe. Par exemple existe-t-il :

  • des sociétés contrôlées non consolidées, à prendre en considération au même titre que dans le cadre du CBCR2 ;
  • des entités constitutives à détention minoritaire3 ou joint-ventures4, qui constituent des groupes distincts pour le calcul du taux effectif d’imposition et de l’impôt complémentaire GloBE ;
  • des paliers opaques ou des établissements stables non suivis distinctement de l’entité légale qui les porte.

De nombreux groupes choisissent, à notre sens à juste titre, de s’appuyer sur leur processus d’établissement des comptes consolidés pour collecter et regrouper au niveau de l’entité mère ultime les données nécessaires à la conduite des calculs, en le complétant des spécificités ou données manquantes requises par les règles GloBE. La détermination du bénéfice ou perte admissibles ainsi que des impôts concernés s’effectue en effet pour chaque entité constitutive, nécessitant en principe de collecter des données ventilées pour chacune d’elle. En pratique, pour éviter un traitement trop manuel, les groupes pourront prévoir la création d’entités complémentaires dans le logiciel de consolidation pour opérer cette collecte au titre d’entités non suivies distinctement pour la préparation des comptes consolidés (entités qui seront exclusivement utilisées pour la remontée des données permettant la détermination des agrégats GloBE).

Les défis du recensement des données requises pour la mise en œuvre des règles GloBE le pragmatisme est de mise

Au cœur du système se trouve la collecte des données pertinentes. Il convient d’identifier celles qui sont nécessaires et s’interroger sur le processus le plus simple pour en disposer parmi la longue liste induite par les règles GloBE. Les groupes vont devoir adopter une approche pragmatique : quelles sont les données qui sont nécessaires compte tenu de leur situation particulière et ces données sont-elles critiques pour l’application des règles ?

Le fait de disposer des données identifiées comme critiques par le groupe pour mener les calculs détaillés peut s’envisager en renforçant le tax package. Cette approche est facilitée dans l’hypothèse où il intègre les caractéristiques suivantes, qui assurent une parfaite cohérence des données d’analyse des impôts exigibles et différés :

  • Un suivi de l’exhaustivité des bases de différences temporaires par nature et en variation, y compris pour les impôts différés non reconnus dans les états financiers consolidés ;
  • Une cohérence assurée entre l’impôt différé comptabilisé et ce suivi des différences temporaires en base ;
  • Une preuve d’impôt automatisée à partir d’un détail du résultat fiscal et l’impôt constaté dans le compte de résultat, participant à la véracité des différences permanentes reflétées pour l’analyse du taux effectif d’impôt.

La présence de ces informations permet d’automatiser la prise en compte de certains ajustements GloBE comme la neutralisation des impôts différés sur les ajustements de Purchase Price Allocation (PPA)5, ou de recalculer les impôts différés à 15% lorsqu’ils sont comptabilisés à un taux supérieur.

Par ailleurs il est recommandé d’ajouter un échéancier de renversement prévisionnel des impôts différés passifs. Celui-ci facilitera l’identification de la quote-part qui ne se renverserait pas dans les 5 ans en vue de l’exclure des agrégats, option qui évite un recalcul fastidieux d’agrégats ajustés a posteriori.

Lorsque le tax package existant ne comporte pas ces caractéristiques, les groupes pourraient saisir cette opportunité pour le refondre en profondeur et intégrer ces cohérences clés qui contribueront à faciliter par ailleurs les analyses menées dans le cadre de l’établissement des états financiers consolidés.

Les défis de la localisation des données nécessaires : les informations et les retraitements sont-ils centralisés ou décentralisés ?

La détermination du bénéfice ou perte admissibles ainsi que des impôts concernés s’appuie sur les données de chaque entité constitutive établies « conformément à la norme comptable utilisée pour l’établissement des états financiers consolidés de l’entité mère ultime ». L’incidence des ajustements GloBE est ainsi à appréhender tant au niveau des données soumises au groupe par chaque entité, que celles qui seraient constatées « en central » dans le cadre du processus de consolidation. Dans ses orientations techniques parues le 2 février 2023, l’OCDE précise dans ce sens que tous les impôts différés au titre d’une entité constitutive doivent être pris en considération, qu’ils aient été constatés dans les comptes individuels de l’entité ou uniquement dans le cadre de l’établissement des comptes consolidés du groupe.

Le travail de collecte des données ne peut ainsi se restreindre qu’à celles soumises par les filiales : elle doit pouvoir tenir compte des ajustements de consolidation à analyser pour identifier s’ils sont susceptibles d’entrer dans les agrégats ou générer des ajustements GloBE.

Les bénéfice ou perte admissibles ou impôts concernés s’entendent avant tout ajustement de consolidation destiné à éliminer les transactions intragroupes, et avant ajustements issus de PPA. Pour les effets qui seraient constatés « localement » et non en « top conso », le recensement des effets sera nécessaire, ce qui peut s’avérer fastidieux. Des mesures de simplification permettent toutefois de conserver :

  • les éliminations des opérations intragroupes pour des paliers opaques composés d’entités constitutives situées dans la même juridiction et appartenant au même groupe d’intégration fiscale ;
  • les effets non facilement isolables des PPA qui seraient antérieurs au 1er décembre 2021, sans qu’une exemption ne soit possible pour les opérations postérieures à cette date.

Une formation des équipes nécessaire pour une remontée d’informations de qualité satisfaisante

La mise en place d’un processus de collecte et de regroupement des informations nécessite en tout état de cause la sollicitation des équipes locales : leur formation et l’explication de l’utilité des informations demandées est un aspect structurant essentiel pour assurer le succès du processus mis en place.

Il est crucial de s’assurer que les informations remontées sont fiables et que le processus de collecte est documenté, afin de se préparer aux contrôles fiscaux qui seront conduits au premier chef dans la juridiction des entités redevables des impositions complémentaires (entité mère ultime, POPE6, joint-venture). On pourrait penser que la mise en œuvre d’un impôt national minimal admissible (Qualifying Domestic Minimum Top-Up Tax ou « QDMTT ») simplifiera les procédures de collecte et de regroupement des données. A cet égard, il serait sans doute souhaitable que les mesures de simplification définitives tiennent compte de l’existence de QDMTT pour alléger les obligations déclaratives et documentaires des groupes pour les juridictions concernées. Un impôt complémentaire national admissible est défini à l'article 10 des règles types de l'OCDE comme un impôt complémentaire minimum inclus dans le droit interne qui :

  • calcule les bénéfices excédentaires des entités constitutives situées dans la juridiction d'une manière qui est équivalente aux Règles de l'OCDE ;
  • augmente l'obligation fiscale nationale au taux minimum sur les bénéfices excédentaires nationaux pour une année fiscale ; et
  • est mis en œuvre et administré d'une manière qui est compatible avec les règles GloBE.

Étant donné les avantages évidents pour les juridictions de la mise en œuvre d'une QDMTT, beaucoup ont déjà exprimé le désir de le faire, y compris le Royaume-Uni, Hong Kong, la Suisse et Singapour.

Il est important de noter qu'un impôt complémentaire national qui ne remplit pas les conditions requises pour être considéré comme une QDMTT serait simplement traité comme un autre impôt couvert qui impliquerait qu’il soit fixé à untaux plus élevé que s'il s'agissait d'une QDMTT (dont le calcul tient compte de l'exclusion du revenu fondé sur la substance). A ce jour la généralisation des QDMTT ne simplifie pas les processus de collecte et de regroupement des données car les entités redevables doivent continuer à procéder aux déclarations et aux calculs juridiction par juridiction. Malgré tout, des mesures de simplification transitoires ont été publiées qui vont permettre une entrée moins brutale dans le processus déclaratif des règles GloBE.

Des mesures de transition bienvenues s’appuyant sur le CBCR fiscal : une fiabilité à renforcer et un calendrier de préparation à avancer

Dévoilées par l’OCDE le 20 décembre 2022, les règles de sauvegarde transitoires destinées à simplifier l’application des règles Pilier 2 s’appuient très largement sur les données du CBCR fiscal. S’il ne pouvait être assimilé qu’à un enjeu de reporting réglementaire, il emporte désormais des conséquences financières : le respect d’un des 3 tests alternatifs déterminés à partir des données du CBCR au titre d’un exercice donné permet pour ce même exercice de présumer nul l’impôt complémentaire dû au titre des règles GloBE pour la juridiction testée. Une première estimation des agrégats du CBCR entrant dans la réalisation des tests peut ainsi être à prévoir dès les travaux de clôture de l’exercice pour une juridiction dont la qualification pourrait être incertaine, soit significativement avant la date limite de dépôt fixée au 31 décembre N+1. En outre, le renforcement de la fiabilité des données utilisées pour son élaboration et une revue de cohérence amont peuvent s’avérer utiles.

L’occasion de s’interroger sur une revisite de son CBCR et tax package

La complexité des règles et les difficultés de leur mise en œuvre vont nécessiter une approche pragmatique. Celle-ci s’articule parfaitement avec les mesures de simplification transitoires qui permettent de s’appuyer sur le CBCR existant tout en allégeant les sanctions jusqu’en 2026. La mise en œuvre prochaine des règles peut être l’occasion de réévaluer son processus d’établissement, et revisiter le tax package pour fiabiliser et faciliter la préparation de l’information financière groupe dans son ensemble.



1 GloBE : “Global Anti-Base Erosion Model Rules”.

2 CBCR : “Country by Country Reporting” ou “Déclaration pays par pays”.

3 Entité constitutive dont l’entité mère ultime détient directement ou indirectement 30% ou moins.

4 Ou coentreprises. « entité autre qu’une entité mère ultime d’un groupe d’EMN dont les résultats financiers sont reportés selon la méthode de mise en équivalence dans les états financiers consolidés de l’entité mère ultime, à condition que l’entité mère ultime détienne, directement ou indirectement, au moins 50% de ses titres de participation ».

5 Ajustements constatés en consolidation suite à une prise de contrôle afin de refléter les actifs et passifs acquis pour leur juste valeur à la date d'acquisition.

6 Partially-Owned Parent Entity ou entités mères partiellement détenues. Entités mères qui sont détenues à plus de 20% par des détenteurs n’appartenant pas au groupe d’entreprises multinationales. En retenant une approche ascendante (du bas vers le haut de l’organigramme), la POPE la plus élevée dans la chaîne de détention sera redevable de l’impôt complémentaire.