Comment protéger durablement la valeur de l'entreprise ?
L'entreprise face au risque climatique
Publié le 20 juin 2025
Le changement climatique expose les entreprises à des risques multiples : approvisionnement, production, coûts, rentabilité. Pour préserver durablement leur valeur, les entreprises doivent dépasser une approche sectorielle pour adopter une approche holistique et intégrer les liens fondamentaux entre le risque climatique, la biodiversité, les ressources naturelles, la santé publique et l’intensité carbone de leur activité.
Analyse avec Maud Danel-Fédou, Associée chez KPMG France, spécialiste en stratégie climat et décarbonation.
Le nexus : une approche holistique pour préserver la valeur d'une entreprise face au climat
Le concept de nexus — qui se définit comme l’association de plusieurs éléments imbriqués, la connexion ou une série de connexions entre plusieurs éléments — s’impose aujourd’hui comme une grille de lecture incontournable. En refusant les approches en silos, il permet d’appréhender la complexité des interactions qui régissent notre environnement et de concevoir des stratégies de transition robustes.
Le dernier rapport de l’IPBES ( Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services) rappelle que les effets du changement climatique sur le niveau des précipitations influencent directement les ressources hydriques, avec des conséquences en cascade sur les rendements agricoles, les prix alimentaires, la santé publique et les équilibres géopolitiques. Ce sont bien des systèmes entiers qui sont en jeu, au-delà des périmètres strictement opérationnels de l’entreprise.
Longtemps, les conséquences du changement climatique ont été analysées de manière fragmentée, sans prise en compte des interactions systémiques entre climat, santé, vulnérabilité des écosystèmes et activité économique. Selon le Earth Action Report 2025 , renforcer la résilience des entreprises et leur capacité d’adaptation face aux risques climatiques constitue désormais la priorité stratégique n°1 des acteurs de la transition environnementale en France.
Mesurer l’impact économique des risques climatiques : des exemples concrets
Les conséquences économiques du risque climatique sont aujourd’hui largement documentées :
- L’augmentation des températures dans les zones de production de cacao a, par exemple, engendré une chute drastique des volumes, entraînant une multiplication par 400 du cours de la matière première. Ce type de choc affecte l’ensemble d’une filière, de la production aux sociétés de trading, des distributeurs jusqu'aux consommateurs.
- En 2021, la pénurie d’eau à Taïwan — ( -40 % de précipitations sur un trimestre) — a gravement compromis la production de composants électroniques, essentiels à l’industrie automobile mondiale. Une seule usine de composants consomme quotidiennement près de 38 millions de litres d’eau ultrapure (l'équivalent de 33 000 foyers américains [1]). Privées de cette ressource, les unités de production n’ont pu répondre à la demande, causant l’annulation de 3,9 millions de véhicules et une perte estimée à 110 milliards de dollars pour l'industrie automobile [2].
- Autre illustration frappante : les inondations qui ont frappé la région de Valence en Espagne en octobre 2024. Ce territoire agricole stratégique a vu sa production paralysée, engendrant un impact économique et sociétal évalué à 22 milliards d’euros. Ces exemples soulignent l’urgence d’anticiper, à l’échelle de l’entreprise, la fréquence croissante de ces événements extrêmes et leurs effets en chaîne.
Comment intégrer l'approche nexus pour préserver la valeur de l’entreprise ?
L’intégration du risque climatique dans les plans de développement, de gestion et de gouvernance doit s’accompagner d’une analyse multi-niveaux. Il ne s’agit pas uniquement d’identifier les expositions directes au changement climatique, mais aussi de cartographier les dépendances et d’analyser les données liées à l’ensemble de la chaîne de valeur. Connaître précisément les matières premières utilisées, la quantité de ressources naturelles consommées à chaque étape de la production, et la sensibilité des fournisseurs aux aléas climatiques est une démarche indispensable.
Cette projection, qu’elle soit à l’horizon 2030, 2035 ou 2050, permet aux entreprises d’identifier les points de fragilité, d’évaluer le niveau d’exposition aux risques physiques, de concevoir des plans de continuité, de développer de nouvelles activités ou de diversifier leurs approvisionnements. Il ne s’agit plus uniquement de se protéger : c’est une opportunité de créer de la valeur autrement, en innovant, en renforçant la résilience des écosystèmes industriels et en assurant une performance économique plus robuste et plus durable.
Une stratégie climatique, économique et durable
Face à l’élévation du niveau des risques, l’entreprise qui sait anticiper les effets du changement climatique et y répondre avec une stratégie d’adaptation cohérente gagne en agilité et en crédibilité. L’approche nexus offre une vision structurée de cette transformation, en articulant les impératifs économiques avec les dynamiques environnementales.
Intégrer les enjeux climatiques et les données d’impact au cœur de la stratégie d’entreprise ne relève plus d’un choix, mais d’une exigence. C’est ainsi que se construisent les modèles durables, capables de créer de la valeur sur le long terme, au bénéfice de l’entreprise, des territoires, des communautés locales et de l’environnement.
[1] « The water challenge for semiconductor manufacturing: What needs to be done? », World Economic Forum, Juillet 2024
[2] Évaluation réalisée par le groupe de conseil américain AlixPartners
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