• Laurent Aillard, Expert |

L'objectif du sondage est de fournir une photographie immédiate des anticipations personnelles des professionnels romands de l’industrie immobilière et ainsi de mieux comprendre les impacts potentiels de la pandémie de COVID-19 sur le marché.

Alors que la crise sanitaire issue de la pandémie de COVID-19 se mue progressivement en crise économique, le niveau d'incertitude général croît. Dans ce contexte, il nous a paru opportun d’interroger les professionnels de l’immobilier romands quant à leurs anticipations personnelles et immédiates des évolutions du marché immobilier romand au travers d’un questionnaire en ligne et ainsi d’obtenir une photographie instantanée du marché que, nous l’espérons, vous trouverez instructive.

Des impacts contrastés en fonction du segment d’actifs

Il apparaît que les anticipations de prix de transaction sont très fortement variables selon le segment d’actifs. Ainsi, pour les immeubles d’habitation, les prix de transaction sont attendus stables tandis que des baisses de prix sont attendues pour les bureaux, les locaux d’activités, les commerces et les hôtels. Si pour les bureaux et les locaux d’activités, une baisse modérée est attendue (de -5% à -10%), pour les commerces et les hôtels, la baisse des prix de transaction est supposée être plus forte, supérieure à 10%. A l’inverse, la logistique pourrait tirer son épingle du jeu puisqu’une hausse des prix est attendue par 43% des sondés et qu’ils ne sont que 17% à considérer une baisse des prix de transaction sur ce segment d’actifs.

Il convient de noter que 60% des participants anticipent qu’il sera plus difficile de se financer par le biais de prêts hypothécaires. Ce resserrement des conditions de financement anticipé pourrait également conduire à des baisses des prix de transaction.

Les anticipations d’évolution de prix se reflètent sur l’allocation stratégique cible. En effet, pour les participants à l’enquête, la crise du COVID-19 pourrait entraîner une modification de l’allocation stratégique cible des investisseurs: la part des immeubles d’habitation et celle des actifs logistiques pourraient progresser au détriment de celle des bureaux, commerces et hôtels.

S’agissant de l’allocation stratégique cible de leur propre organisation / entreprise, la majorité des sondés considèrent que cette dernière devrait être révisée suite à la crise du COVID-19. Toutefois, seule une minorité prévoit une augmentation des arbitrages d’actifs ou de nouvelles acquisitions (respectivement 22% et 19%).

Un environnement de marché plus complexe

Si moins d’un tiers des participants anticipent une diminution du taux directeur de la BNS, ils sont 54% à considérer que, d’un point de vue général, les taux de rendement immobiliers devraient encore se contracter. Bien que contre-intuitif dans l’environnement de marché actuel, les prévisions de baisse du taux de rendement immobilier pourraient s’expliquer par l’anticipation d’une concurrence accrue pour certains biens et notamment les immeubles d’habitation.

Pour 43% des participants, la masse de capitaux à investir en immobilier en Suisse romande est attendue stable par rapport à 2019; un pourcentage équivalent de participants anticipent une baisse et 14% considèrent que les capitaux à investir dans l’immobilier en Suisse romande vont être en hausse par rapport à 2019. La demande sur le marché de l’investissement devrait donc rester abondante en Suisse romande.

Le marché de la construction devrait être notablement affecté par la crise. En effet, si dans leur ensemble les participants sont mesurés quant à un ralentissement dans la construction d’immeubles résidentiels, ils sont quasi-unanimes sur un ralentissement à venir dans la construction d’immeubles commerciaux. Ce ralentissement anticipé dans la construction s’explique, entre autres, par l’accroissement supposé des risques de vacance. En effet, 89% des participants considèrent que la vacance locative des surfaces de bureaux va progresser.

S’agissant des nouveaux modes de travail, pour 80% des participants, le télétravail va être beaucoup plus développé après la crise du COVID-19 qu’il ne l’était avant, ce qui pourrait être un signe de changement de mentalité concernant cette pratique professionnelle. Si cette pratique devait se généraliser à un haut niveau, nul doute qu’à terme, les besoins de surfaces de bureaux des entreprises diminueraient… Le coworking ne devrait pas profiter de la crise sanitaire pour s’imposer comme un nouveau standard. En effet, ils sont seulement un tiers à considérer que l’utilisation des espaces de coworking va se développer suite à la crise du COVID-19.

Accroissement du risque locatif dans les portefeuilles immobiliers

La crise du Covid-19 fait craindre un accroissement des risques locatifs à une très large majorité des investisseurs ayant participé au sondage:
 

  • 91% anticipent des retards de paiements par leurs locataires et une hausse de leurs impayés;
  • 69% considèrent que les litiges avec leurs locataires vont augmenter;
  • 59% supposent que la vacance locative de leur portefeuille va progresser;
  • 50% anticipent une diminution des loyers qu’ils vont percevoir.

Par contre, ils ne sont que 38% à considérer que les valeurs vénales de leurs portefeuilles vont baisser, 47% considérant que cela ne sera pas le cas.

Vers un marché à deux vitesses?

Avant même l’émergence de la crise de COVID-19, sur fond de ralentissement économique mondial et d’accroissement de la vacance locative en Suisse, les investisseurs se montraient de plus en plus sélectifs dans leurs investissements en privilégiant les localisations premiums.

Les anticipations des participants au sondage laissent penser que cette tendance de «flight to quality» pourrait être amplifiée par la crise sanitaire que nous traversons. Le marché risquerait alors de se fracturer en deux, avec, d’un côté, pour les immeubles résidentiels situés dans les agglomérations dynamiques ainsi que les objets commerciaux sécurisés sur du très long terme, situés dans ces mêmes zones, un marché fluide caractérisé par une compétition renforcée entre investisseurs et de l’autre, pour les immeubles résidentiels situés en dehors des pôles économiques et les immeubles commerciaux ne bénéficiant pas d’un état locatif satisfaisant, un marché à l’arrêt.

Le marché de la construction risque d’être très fortement impacté. D’une part, le manque de foncier disponible dans les zones dynamiques devrait limiter l’offre, y compris sur le segment résidentiel; d’autre part, le manque d’appétence pour le risque devrait limiter le lancement de projets commerciaux en blanc.

La qualité du travail d’asset management des investisseurs pour conserver et attirer les locataires sera l’une des clés pour ces derniers pour traverser sereinement 2020. La transformation d’immeubles de bureaux en immeubles d’habitation est un phénomène plutôt anecdotique aujourd’hui en Suisse romande. Avec la crise, certains investisseurs pourraient être tentés par ce type de stratégie alternative.

In fine, après la phase de contraction des primes de risque observée ces dernières années, la crise du coronavirus pourrait accélérer une phase de reconstitution des primes de risque sur le marché immobilier suisse. Par corollaire, les valeurs vénales de certains immeubles pourraient corriger dans les mois à venir.

Pour obtenir les résultats détaillés du sondage, vous pouvez consulter la présentation en cliquant sur le lien ci-après: Les professionnels romands de l'industrie immobilière face au COVID-19