La cour d’appel de l’Ontario juge que la « limite salariale » du secteur public est inconstitutionnelle (en partie)

Le 12 février 2024, la Cour d’appel de l’Ontario (« CAO ») a statué que le projet de loi 124 visant à limiter les salaires dans le secteur public du gouvernement de l’Ontario était inconstitutionnel dans son application aux travailleurs syndiqués, car il contrevenait à leurs droits en matière de négociation collective. Cependant, le même projet de loi a été jugé constitutionnel dans son application aux travailleurs non syndiqués, pour qui la négociation collective n’est pas un droit. À la suite de cette décision, le gouvernement de l’Ontario a abrogé l’intégralité du projet de loi 124, mais il a annoncé qu’il prévoyait de publier un nouveau projet de règlement dans l’avenir.

La décision

Le projet de loi 124 devait plafonner les augmentations de salaire du secteur public à 1 % par année pendant une période de trois ans, pour la plupart des employés dans divers milieux du secteur public. Le tribunal inférieur a rejeté le projet de loi en 2022, jugeant qu’il contrevenait à la liberté d’association des travailleurs en vertu de l’alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »). Il a également été constaté que cette violation ne pouvait pas être « protégée » par l’article 1 de la Charte, qui permet au gouvernement de limiter les droits conférés par la Charte dans certaines circonstances, si la limite est raisonnable et qu’elle répond à un objectif pressant.

Le gouvernement de l’Ontario a interjeté appel de cette décision auprès de la CAO, qui a restreint la décision du tribunal inférieur.La CAO a conclu que le projet de loi contrevenait à l’alinéa 2d) de la Charte dans la mesure où il s’appliquait aux travailleurs syndiqués. Cela s’expliquait notamment par le fait que le projet de loi 124 définissait de façon générale la « rémunération » de sorte qu’il réduisait considérablement la portée des éléments pouvant être négociés dans le cadre d’une négociation collective. Il était également incompatible avec les récentes conventions collectives du secteur public qui ne sont pas assujetties au projet de loi 124, et qui permettaient des augmentations de salaire plus élevées.

La CAO a également statué que cette violation de l’alinéa 2d) ne pouvait être protégée par l’article 1 de la Charte.Cependant, contrairement au tribunal inférieur, la CAO a conclu que la gestion des finances publiques et les considérations budgétaires étaient un objectif pressant qui pourrait entraîner l’application de l’article 1. Cela dit, la CAO a également conclu que le projet de loi 124 n’offrait pas de moyens raisonnables ou proportionnels d’atteindre cet objectif. Cela s’explique notamment par le fait que le gouvernement n’a pas réussi à démontrer en quoi les limites salariales n’auraient pas pu être mises en place par des moyens moins ostentatoires, y compris au moyen du processus de négociation collective.

À l’inverse, la CAO a conclu que le projet de loi ne contrevenait pas à l’alinéa 2d) de la Charte dans la mesure où il s’appliquait aux travailleurs syndiqués. Cela s’explique par le fait que l’alinéa 2d) de la Charte ne s’applique pas aux travailleurs qui ne sont pas représentés par un syndicat et ne négocient donc pas collectivement.

Abrogation du projet de loi 124

Le 23 février 2024, le gouvernement de l’Ontario a abrogé le projet de loi 124 dans son intégralité. Le gouvernement avait déjà annoncé qu’il n’interjetterait pas appel de la décision de la CAO et qu’il instaurerait d’urgence de nouveaux règlements. Au moment de la rédaction du présent document, aucun règlement n’avait été adopté.

Principaux points à retenir pour les employeurs

Certains arbitres du travail ont déjà accordé des augmentations de salaire supplémentaires à certains travailleurs du secteur public touchés par le projet de loi 124, en grande partie dans les cas où la convention collective applicable comprend une « clause de réouverture » (c.-à-d. une clause négociée qui permet aux parties de renégocier les modalités d’une convention collective en vigueur avant son échéance). Les employeurs du secteur public qui ont été touchés par le projet de loi 124 voudront examiner leurs conventions collectives pour comprendre si une telle « réouverture » est possible.

En outre, et même en l’absence d’une clause de réouverture contractuelle, les employeurs du secteur public, en particulier dans le domaine syndical, voudront évaluer l’incidence que pourrait avoir l’abrogation des limites salariales sur les négociations futures, y compris en ce qui concerne les attentes salariales des syndicats.

La cour de l’Ontario critique le caractère exécutoire des clauses de licenciement, encore une fois…

Dans l’affaire Dufault c. The Corporation of the Township of Ignace, la Cour supérieure de l’Ontario (la « Cour ») s’est encore opposée au libellé des clauses contractuelles de licenciement, trouvant de nouvelles raisons de rendre inexécutoire le libellé relatif au licenciement, tant avec motif valable que sans motif valable.

En examinant d’abord le libellé relatif au licenciement sans motif valable du contrat de travail, la Cour s’est opposée aux énoncés selon lesquels l’employeur pouvait mettre fin à l’emploi à « sa seule discrétion » et « à tout moment ». Elle a conclu que ce libellé permettait à l’employeur de contrevenir à la Loi de 2000 sur les normes d’emploi (la « Loi »). Dans la plupart des cas, la Loi interdit à un employeur de mettre fin à l’emploi d’un employé qui est en congé en vertu de la Loi. La Loi interdit également le licenciement comme moyen de représailles contre un employé qui exerce ses droits en vertu de la Loi. Par conséquent, la Cour a invoqué le fait qu’un employeur ne peut mettre fin à l’emploi « à tout moment » ou à « sa seule discrétion », comme le contrat le prévoyait car, dans certaines circonstances, cela serait contraire à ses obligations en vertu de la Loi.

La Cour s’est également opposée au libellé utilisé dans les dispositions relatives au licenciement avec motif valable du contrat. À cet égard, le contrat stipulait que l’employé pourrait être congédié « pour motif valable » et « sans le préavis et l’indemnité de cessation d’emploi prévus par la loi ». Bien que la common law s’appuie sur une norme « pour motif valable » pour permettre le licenciement sans préavis raisonnable en vertu de la common law, la Loi se fonde sur une norme différente et plus élevée; c’est-à-dire que les employés doivent être « coupables d’un acte d’inconduite délibérée, d’indiscipline ou de négligence volontaire dans l’exercice de leurs fonctions qui n’est pas frivole et que l’employeur n’a pas toléré » pour permettre le licenciement sans préavis minimal.

Il y aura donc des cas où les motifs de licenciement satisfont à la norme de la common law en matière de licenciement pour « motif valable » (de sorte que le préavis raisonnable en vertu de la common law n’est pas exigible), mais ils ne satisfont pas à la norme plus élevée de la Loi en ce qui a trait à « un acte d’inconduite délibérée, d’indiscipline ou de négligence volontaire dans l’exercice de leurs fonctions » (et, par conséquent, le préavis minimal et l’indemnité de cessation d’emploi prévus par la Loi sont toujours exigibles). Par conséquent, la Cour a soutenu qu’un employeur ne peut prétendre mettre fin à l’emploi « pour motif valable » et sans le préavis minimal ou/et l’indemnité de cessation d’emploi prévus par la Loi, puisque, dans certains cas, cela irait à l’encontre de ses obligations en vertu de la Loi.

En définitive, la Cour a estimé que les clauses de licenciement en cause étaient inexécutoires. L’employé n’était donc pas limité aux restrictions du préavis de cessation d’emploi prévues par la clause, mais pouvait plutôt se prévaloir de la période de préavis plus longue prévue par la common law.

On ne sait toujours pas si cette décision fera l’objet d’un appel. Son plein effet est donc inconnu. Toutefois, l’affaire constitue un rappel clair que les tribunaux de l’Ontario continuent d’éroder la capacité d’un employeur d’appliquer des restrictions contractuelles au préavis de licenciement (avec ou sans motif valable). Étant donné que le libellé permis par les tribunaux a toujours posé un problème, les employeurs sont encouragés à revoir régulièrement leurs contrats afin de s’assurer que ce libellé est à jour.

Une cause portant sur l’équité salariale fournit aux employeurs fédéraux des directives sur le recours à plusieurs plans d’équité salariale

Alors que l’échéance de septembre 2024 approche pour de nombreux employeurs sous réglementation fédérale qui devront mettre en œuvre un plan d’équité salariale en vertu de la Loi sur l’équité salariale (la « Loi »), les décisions rendues par la commissaire à l’équité salariale du Canada (la « commissaire ») demeurent étroitement surveillées. Parmi ces causes, une décision récemment rendue par la commissaire fournit de plus amples renseignements aux employeurs qui envisagent d’élaborer plusieurs plans d’équité salariale, plutôt que le plan unique présumé.

La Loi suppose que les employeurs auront un seul plan d’équité salariale unique pour tous les employés, peu importe la diversité de nombreuses organisations. Toutefois, cette présomption peut, dans des circonstances limitées, être réfutée. La commissaire peut permettre à un employeur d’établir plusieurs plans d’équité salariale si chaque plan comporte « suffisamment » de catégories d’emploi principalement « masculines » pour permettre la comparaison avec les catégories d’emploi « féminines » (c.-à-d. suffisamment de catégories d’emploi masculines tant en quantité qu’en qualité), et si la commissaire est convaincue qu’établir plusieurs plans est « approprié dans les circonstances ».

Vu la jurisprudence limitée à ce jour, il s’est avéré difficile d’apprécier le caractère approprié d’établir plusieurs plans. Toutefois, dans une décision récemment rendue par la commissaire, la demande de l’employeur d’établir plusieurs plans a été acceptée en partie. Dans cette affaire, l’employeur demandait l’établissement de trois plans d’équité salariale distincts : un pour le personnel non syndiqué occupant un poste de cadre, un pour les employés occupant un poste technique particulier (« PTP ») et un pour tous les autres employés (y compris les employés syndiqués et non syndiqués).

La commissaire a jugé qu’il était approprié d’avoir un plan d’équité salariale distinct pour les PTP, compte tenu de la complexité de l’évaluation de leurs emplois et de leurs structures salariales. Ces structures – et en particulier l’outil d’évaluation des emplois utilisé pour les évaluer – étaient hautement techniques, spécialisées et propres au travail du PTP. Ils présenteraient donc une complexité injustifiée pour l’analyse de l’équité salariale des employés qui ne sont pas des PTP, de sorte qu’un plan d’équité salariale distinct pour les PTP était approprié.

Toutefois, la commissaire a refusé de permettre l’établissement de plans distincts pour chacun des groupes de personnel cadre et non cadre. Afin de justifier l’établissement de ces plans distincts, l’employeur a expliqué les défis liés à la conception d’un outil d’évaluation des emplois qui pourrait évaluer et comparer les responsabilités distinctes du personnel cadre, avec les compétences et les responsabilités fondamentalement différentes de son personnel non cadre. L’employeur a également expliqué que lorsque de nombreux emplois différents sont inclus dans le même outil d’évaluation des emplois, une petite différence entre les emplois peut devenir impossible à distinguer de façon appropriée et, par conséquent, les écarts entre les sexes peuvent être involontairement obscurcis. Ultimement, la commissaire ne s’est pas montrée sensible aux défis soulevés par l’employeur. Citant une décision antérieure sur la même question, la commissaire a fait remarquer ce qui suit :

Les législateurs étaient sans aucun doute conscients des défis que représente la création d’un plan d’équité salariale dans les grandes organisations. Pourtant, c’est ce qu’exige la législation. Toute exception à cette exigence [p. ex. l’exception relative au recours à plusieurs plans] doit être soigneusement appliquée.

La décision réitère donc que les difficultés organisationnelles et administratives « typiques » liées à l’établissement d’un seul plan d’équité salariale ne justifieront probablement pas le recours à plusieurs plans. Toutefois, l’affaire laisse entendre qu’il existe néanmoins certains scénarios suffisamment complexes et uniques pour que l’établissement de plusieurs plans d’équité salariale devienne approprié.

La cour de la Colombie-Britannique conclut que les enregistrements secrets faits par un employé peuvent constituer un motif de congédiement

Dans l’affaire Shalagin c. Mercer Celgar Limited Partnership 2023 BCCA 373, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (la « BCCA ») a confirmé que l’enregistrement secret et répété de conversations entre collègues par un employé peut constituer un motif de congédiement, et ce, en dépit du fait que l’employé a affirmé que les enregistrements étaient destinés à illustrer la discrimination en milieu de travail.

Faits

L’employé, un comptable, a d’abord été congédié de son emploi sans motif valable, ce qui l’a amené à intenter des poursuites contre l’employeur à la fois pour congédiement injustifié et violation alléguée de la législation sur les droits de la personne. Au fur et à mesure que ces réclamations progressaient, il est apparu évident que, sur une période de 10 ans alors qu’il était employé, l’employé avait enregistré subrepticement plus de 130 conversations avec des collègues de travail alors qu’il était toujours employé. Les enregistrements étaient essentiellement confidentiels, personnels et/ou sensibles.

Afin d’expliquer les enregistrements secrets, l’employé a prétendu les avoir effectués pour corroborer sa croyance qu’il était victime de discrimination au travail. Toutefois, l’employeur a allégué que les enregistrements étaient inappropriés et qu’ils avaient eu pour conséquence de fournir un motif « acquis ultérieurement » de congédier l’employé (même si, au départ, il avait été congédié sans motif valable).

L’employé a contesté la position de l’employeur d’acquisition ultérieure d’un motif valable devant les tribunaux. Il a perdu devant le tribunal de première instance et en appel auprès de la BCCA, alors que la position fondée sur l’acquisition ultérieure d’un motif valable a été confirmée.

La BCCA a corroboré les conclusions du tribunal inférieur. Elle a conclu que les facteurs justifiant le congédiement pour motif valable comprenaient le fait que l’employé savait que les enregistrements étaient contraires à ses obligations professionnelles en tant que comptable, à ses obligations de confidentialité envers son employeur et à des préoccupations générales quant au respect de la vie privée. Les informations enregistrées étaient également sensibles et comprenaient souvent des renseignements personnels au sujet de collègues. Par conséquent, les enregistrements auraient raisonnablement mis les collègues mal à l’aise. Le tribunal a également été interpellé par le grand nombre d’enregistrements. Enfin, il a été reconnu que le fait de ne pas censurer le comportement de l’employé pourrait inciter d’autres employés qui considéraient n’être pas bien traités au travail à commencer à enregistrer les autres d’une manière inappropriée.

La BCCA a reconnu que l’employé avait peut-être au départ un motif d’enregistrer les conversations en raison de ses craintes de discrimination. Toutefois, elle a ajouté que le fait que l’employé ait continué d’enregistrer des conversations, en outre sur une période de 10 ans, allait bien au-delà de ce motif.

Points à retenir

Cette décision démontre l’importance croissante que les tribunaux de la Colombie-Britannique accordent aux droits à la vie privée des particuliers, même en contexte d’emploi. Selon l’ampleur et la gravité de l’inconduite, la violation de la vie privée des collègues de travail peut suffisamment miner la confiance et constituer un motif valable de congédiement.

La décision souligne également l’importance, pour l’employeur, d’intégrer explicitement les obligations de respect de la vie privée et de confidentialité des employés dans chaque contrat d’emploi. Cela permet à la fois de réitérer les attentes en milieu de travail et de justifier toute mesure disciplinaire connexe, y compris le congédiement pour motif valable.

 

Nous remercions tout particulièrement Madison Frehlick pour sa contribution à cet article.

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