La Cour conclut que l’employeur avait l’obligation d’enquêter sur le harcèlement par groupe de clavardage « privé » malgré le fait qu’aucune plainte officielle n’ait été déposée

Dans Metrolinx c. Amalgamated Transit Union, Local 1587, la Cour supérieure de justice de l’Ontario (la « Cour ») a confirmé l’obligation d’un employeur d’enquêter sur le harcèlement en milieu de travail, bien que l’incident se soit produit dans le cadre d’une conversation de groupe privée sur des téléphones cellulaires personnels, et la victime n’a pas déposé de plainte officielle.

Faits

En septembre 2019, cinq employés masculins (les « plaignants ») ont formulé des commentaires désobligeants et sexistes au sujet d’une employée, madame A, dans le cadre d’une conversation privée de groupe sur WhatsApp entre les plaignants sur leurs téléphones cellulaires personnels. Madame A. a été mise au fait de ces commentaires en 2019 et a signalé le harcèlement à son superviseur, mais n’a jamais déposé de plainte officielle.

L’employeur a néanmoins pris connaissance des messages désobligeants en avril 2020 et a entamé une enquête, qui comprenait un examen des messages WhatsApp. Les plaignants ont finalement été congédiés pour motif valable.

Le syndicat a déposé des griefs au nom des plaignants. Lors de l’arbitrage, le bien-fondé du grief a été confirmé. L’arbitre a conclu qu’il n’y avait pas de motif valable de congédiement, notamment parce que la victime n’avait pas déposé de plainte officielle, et que les messages avaient été échangés dans le cadre d’une conversation de groupe privée sur des appareils personnels qui, selon l’arbitre, étaient soumis à l’attente raisonnable de l’employé en matière de respect de la vie privée et n’auraient donc pas dû être examinés.

La Cour supérieure de l’Ontario a infirmé la décision de l’arbitre. Elle a contesté la conclusion de l’arbitre pour plusieurs raisons. Premièrement, la Cour a conclu que l’arbitre avait erré en concluant que l’absence de plainte officielle signifiait qu’aucune enquête n’était nécessaire. Citant le Code des droits de la personne ainsi que la Loi sur la santé et la sécurité au travail, la Cour a réitéré que les employeurs sont tenus de mener une enquête à la fois sur « les incidents et les plaintes » de harcèlement en milieu de travail. Bien qu’une plainte officielle donne habituellement lieu à l’ouverture d’une enquête, les employeurs ont également l’obligation de traiter le harcèlement une fois qu’il est connu, peu importe la façon dont ils en prennent connaissance.

La Cour a également conclu que l’arbitre s’était indûment appuyé sur la réticence de la victime à signaler le harcèlement pour conclure que l’enquête était injustifiée. Les tribunaux reconnaissent depuis longtemps qu’il existe de nombreuses raisons pour lesquelles une victime peut s’abstenir de signaler un harcèlement sexuel, et cela ne dispense pas un employeur de son obligation légale d’enquêter sur le harcèlement en milieu de travail et de protéger ses employés.

Enfin, la Cour a conclu que l’arbitre avait accordé trop d’importance aux préoccupations des plaignants en matière de vie privée. En définitive, les messages désobligeants de WhatsApp ont été portés à l’attention de madame A. au travail et sont ainsi devenus un problème en milieu de travail. L’enquête de l’employeur sur ces messages était donc justifiée.

Points à retenir

La décision démontre le droit et l’obligation des employeurs d’enquêter sur le harcèlement en milieu de travail, peu importe la façon dont il est porté à leur attention. La Cour reconnaît que le fait que les victimes puissent s’abstenir de signaler un cas de harcèlement n’entrave pas les obligations de l’employeur une fois qu’un incident potentiel en matière de harcèlement est connu.

Cette décision souligne également que le droit à la vie privée ne l’emporte pas toujours sur l’obligation de l’employeur de lutter contre le harcèlement en milieu de travail. Lorsque des messages privés échangés entre les employés et au sujet de ceux-ci se fraient un chemin jusqu’au milieu de travail, ils peuvent très bien devenir un problème en milieu de travail.

Nous remercions tout particulièrement Erin Clark pour sa contribution à cet article.

Le refus d’un employé de se faire vacciner rend l’exécution du contrat de travail impossible

Dans l’affaire Croke c. VuPoint System Ltd., la Cour d’appel de l’Ontario a examiné l’applicabilité de la doctrine de l’impossibilité d’exécution à un contrat de travail qui a été résilié en raison de la violation d’une politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 par un employé. L’impossibilité d’exécution a été confirmée.

Faits

L’employeur intimé a conclu un contrat de service avec Bell Canada. Une part importante des activités de l’employeur consistait à sous-traiter des techniciens pour exécuter des travaux d’installation dans les résidences des clients de Bell. L’appelant était l’un de ces techniciens.

En septembre 2021, Bell a instauré une politique qui exigeait que tous les techniciens fournissant des services aux clients de Bell dans le cadre de contrats de service, y compris l’appelant, soient vaccinés contre la COVID-19. La politique prévoyait que toute violation de cette politique pourrait entraîner la résiliation du contrat de service.

L’employeur a emboîté le pas et a instauré sa propre politique exigeant que ses techniciens soient vaccinés, notamment pour pouvoir conserver son contrat de service avec Bell. L’appelant a refusé de se faire vacciner et, à la fin du mois de septembre 2021, l’employeur l’a congédié de son emploi pour ne pas s’être conformé à sa politique. L’appelant a ultérieurement intenté une poursuite pour congédiement injustifié.

En réponse à la poursuite pour congédiement injustifié, l’employeur a allégué l’impossibilité d’exécution du contrat en raison de l’instauration de la nouvelle politique de vaccination de Bell qui constituait une situation imprévue, qui n’avait pas été envisagée par les parties au moment de la signature du contrat de travail. Le juge ayant entendu la requête l’a accordée, en soutenant qu’en raison de la nouvelle politique, l’appelant n’avait pas les compétences nécessaires pour occuper le poste. Ce changement a rendu inexécutables les fondements mêmes du contrat de travail.

L’appelant a interjeté appel, mais la Cour d’appel a maintenu la décision du juge ayant entendu la requête et a confirmé que la doctrine de l’impossibilité d’exécution s’appliquait en l’espèce.

L’appelant a fait valoir que son choix volontaire de ne pas se faire vacciner devrait empêcher l’application de la doctrine, mais la Cour a statué que l’exercice de ce choix n’était pas pertinent en l’espèce. Ce n’est pas le choix de l’employé qui l’a empêché de travailler, mais plutôt l’instauration d’une nouvelle exigence à laquelle il n’a tout simplement pas satisfait.

L’appelant a en outre tenté d’affirmer qu’il avait été pris au dépourvu par le congédiement et qu’il n’avait pas eu suffisamment de temps pour « corriger le tir ». La Cour a souligné qu’une fois qu’un contrat est dans l’impossibilité d’être exécuté, toutes les obligations qui en découlaient sont acquittées et il n’y a aucune obligation d’accorder à un employé la possibilité de remédier à la situation qui a mené à l’impossibilité d’exécution.

Points à retenir

Cette affaire démontre aux employés et aux employeurs que le refus de se conformer à une politique de vaccination contre la COVID-19 peut entraîner l’impossibilité d’exécution du contrat de travail.De plus, elle souligne qu’une fois qu’un contrat de travail est impossible à exécuter, l’employeur a le droit de mettre fin immédiatement au contrat sans donner à l’employé l’occasion de régler le problème sous-jacent.

Nous remercions tout particulièrement Erin Clark pour sa contribution à cet article.

La Cour fédérale réitère que les règles sur l’équité procédurale s’appliquent aux enquêtes en milieu de travail

Dans l’affaire Marentette c. Canada (Procureur général), la Cour fédérale du Canada a souligné l’importance de respecter les principes d’équité procédurale lors des enquêtes en milieu de travail.

Faits

En avril 2021, le demandeur, un employé sous réglementation fédérale, a déposé un avis d’incident alléguant sept incidents distincts de harcèlement et de violence en milieu de travail impliquant six superviseurs entre 1995 et 2020.

L’employeur n’a pris aucune mesure pour enquêter sur l’avis d’incident avant mai 2022 (près d’un an plus tard). Seuls quatre des six superviseurs contre lesquels le demandeur a formulé des allégations ont été interrogés par les enquêteurs, et le demandeur n’a pas eu l’occasion de répondre aux versions des faits des superviseurs. Le demandeur a ensuite été informé par l’employeur, à trois reprises distinctes entre août et novembre 2022, que l’enquête était terminée. Toutefois, contrairement aux politiques de l’employeur en matière d’enquête en milieu de travail, on ne lui a pas fourni une copie des conclusions préliminaires de l’enquête et on ne lui a pas donné l’occasion de répondre avant que le rapport final ne soit produit.

En fin de compte, l’enquête a permis de déterminer qu’aucun des sept incidents allégués n’était du harcèlement en milieu de travail et qu’aucune autre mesure ne serait prise pour donner suite aux allégations. L’avis d’incident du demandeur a été fermé.

Le demandeur a contesté l’équité procédurale de l’enquête devant la Cour fédérale en déposant un avis de demande de contrôle judiciaire. Plus précisément, il a allégué qu’on lui avait refusé la possibilité de répondre aux éléments de preuve des superviseurs et au rapport préliminaire.

La Cour a accepté en grande partie le raisonnement du demandeur, déclarant que les enquêtes sur le harcèlement en milieu de travail exigent un haut niveau d’équité procédurale. Elle a conclu que le demandeur aurait dû avoir une « possibilité raisonnable » de répondre aux éléments de preuve et au rapport préliminaire, d’autant plus que les politiques de l’employeur le prévoyaient explicitement.

La Cour a finalement ordonné une nouvelle enquête faisant intervenir un enquêteur différent.

Points à retenir

Cette affaire démontre l’importance de l’équité procédurale dans le cadre des enquêtes sur le harcèlement et la violence en milieu de travail, y compris la capacité du demandeur à répondre aux éléments de preuve contradictoires.

Il réitère également qu’un employeur doit veiller à respecter ses propres politiques internes en matière d’enquête. Les employeurs ne devraient donc inclure des procédures allant au-delà de ce que la loi exige que s’ils sont prêts à s’assurer que ces procédures sont respectées.

Nous remercions tout particulièrement Erin Clark pour sa contribution à cet article.

La Cour de l’Alberta conclut qu’un court épisode de grippe ne constitue pas un motif interdit en vertu des lois sur les droits de la personne

Dans l’affaire Smith c. Alberta (Alberta Human Rights Commission), 2024 ABKB 187 (CanLII), la Cour a confirmé que les problèmes de santé courants, comme la grippe, n’entrent pas dans la définition de « handicap » en vertu de la Alberta Human Rights Act (la « Loi ») et ne constituent donc pas un motif interdit de discrimination.

Faits

Le demandeur n’a pas pu se présenter au travail en raison de la grippe. Toutefois, il a été absent pendant plus de trois jours sans en aviser son employeur conformément à sa politique relative à la gestion des présences. Il a été congédié pour ce motif.

Le demandeur a soutenu (entre autres motifs) que la grippe était un handicap et que son congédiement était donc discriminatoire en vertu de la Loi. Il a cité plusieurs causes qui portaient sur le fait que les handicaps en vertu de la Loi n’exigent pas un caractère permanent ou un certain niveau de gravité. Sur cette base, selon le demandeur, l’employeur était tenu de prendre des mesures pour tenir compte de sa maladie plutôt que des mesures disciplinaires en vertu de ses politiques.

La Cour a rejeté l’argument selon lequel la grippe relève de la définition de handicap. Bien qu’un handicap ne doive pas nécessairement être permanent, la Cour a soutenu que le terme n’est pas censé englober les maladies courantes qui ne durent que quelques jours. En l’espèce, le demandeur était malade depuis moins d’une semaine, de sorte qu’il n’y avait pas de handicap en cause.

Points à retenir

Cette affaire permet de clarifier que des maladies plus courantes et passagères ne déclencheront pas nécessairement une protection en vertu des lois sur les droits de la personne. En retour, elle corrobore la capacité d’un employeur à appliquer ses politiques relatives à la gestion des présences lorsque des maladies mineures sont en cause, sans enfreindre les lois sur les droits de la personne. Toutefois, compte tenu de la protection étendue des employés par ces lois, les mesures disciplinaires dans le contexte de problèmes médicaux doivent être traitées avec vigilance et en tenant compte des circonstances propres à chaque cas.

Nous remercions tout particulièrement Erin Clark pour sa contribution à cet article.

La Cour d’appel statue qu’une preuve médicale n’est pas toujours nécessaire pour établir l’incapacité physique à atténuer ou à réfuter les dommages

Dans l’affaire Krmpotic c. Thunder Bay Electronics Limited, la Cour d’appel de l’Ontario a examiné la question de savoir si une preuve médicale était nécessaire pour établir l’incapacité physique à atténuer les dommages. La Cour s’est également penchée sur les exigences relatives à l’octroi de dommages-intérêts majorés et sur la question de savoir s’ils peuvent être accordés dans les cas où l’employeur a agi de mauvaise foi.

Faits

L’employé était un ouvrier au service du même employeur pendant 30 ans avant qu’il ne soit congédié sans motif valable ni préavis. Ce congédiement s’est produit quelques heures après le retour au travail de l’employé qui était en congé de maladie et qui se rétablissait encore physiquement d’une intervention au dos.

L’employé a intenté une poursuite contre son employeur pour congédiement injustifié. Il a demandé une indemnité de préavis, ainsi que des dommages-intérêts pour souffrance morale et des dommages-intérêts majorés ou moraux.

Lors du procès, l’employeur a demandé une réduction de l’indemnité de préavis en raison de ce qu’il considérait comme l’incapacité de l’employé à atténuer ses dommages en occupant un nouvel emploi. La Cour a rejeté cet argument, statuant que l’employé n’était pas en mesure d’effectuer un travail physique important au cours de la période de préavis en raison de sa blessure au dos et de son rétablissement. Toutefois, aucune preuve médicale n’a été fournie par l’employé à cet égard.

L’employeur a interjeté appel devant la Cour d’appel, alléguant encore une fois l’incapacité à atténuer les dommages. Il a soutenu que le juge de première instance aurait dû examiner la preuve médicale pour déterminer si l’employé était en mesure de continuer à travailler pendant le délai de préavis raisonnable. Au lieu de cela, le tribunal de première instance a simplement accepté le propre témoignage de l’employé.

La Cour d’appel a rejeté l’argument de l’employeur, affirmant que l’incapacité physique est une question de fait et qu’il n’existe pas de principe général exigeant qu’elle soit établie uniquement par des preuves médicales.

La Cour a également rejeté l’argument de l’appelant selon lequel des preuves de souffrance morale étaient absolument nécessaires pour justifier les dommages-intérêts majorés, précisant que l’argument « reflète une vision trop étroite de l’obligation d’agir de bonne foi de l’employeur au cours du processus de congédiement ». La Cour a insisté sur le fait que les appelants avaient manqué à cette obligation de bonne foi de plusieurs façons, comme l’a énoncé le juge de première instance. À ce titre, la Cour a conclu que l’employé avait droit à des dommages-intérêts majorés.

Nous remercions tout particulièrement Erin Clark pour sa contribution à cet article.

La plus haute Cour statue que les enseignants de l’Ontario ont des droits garantis par la Charte contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives

Dans l’affaire Conseil scolaire du district de la région de York c. Fédération des enseignants et des enseignantes de l’élémentaire de l’Ontario,1 la Cour suprême du Canada (la « Cour ») a statué que les enseignants sont protégés par l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives au motif que les conseils scolaires publics de l’Ontario font partie du gouvernement de par leur nature aux fins de l’article 32 de la Charte.

Il s’agit d’une décision importante qui a une incidence sur les conseils scolaires publics et leurs employés partout en Ontario.

Contexte

Deux enseignantes du Conseil scolaire du district de la région de York (le « Conseil ») tenaient un journal en utilisant un compte de courriel personnel pour discuter de leurs sentiments négatifs à l’égard d’un autre enseignant.

Le directeur d’école est entré dans la salle de classe de l’une des enseignantes et a vu que l’ordinateur portable fourni à l’enseignante par le conseil était ouvert. Le directeur a ensuite touché le tapis de souris, a trouvé les journaux ouverts à l’écran et a fait défiler le document – tout en prenant des photos de ces journaux à l’aide de son téléphone cellulaire.

Le Conseil a réprimandé les enseignantes pour ces journaux, puis le syndicat des enseignants a déposé un grief affirmant que la fouille violait le droit de l’enseignante à la vie privée. Un arbitre en droit du travail a rejeté le grief et a conclu qu’il n’y avait pas eu atteinte à l’attente raisonnable des enseignantes en matière de respect de la vie privée lorsqu’il a mis en balance cette attente et le droit du Conseil à gérer le milieu de travail. Dans sa décision, l’arbitre ne s’est pas demandé si l’article 8 de la Charte avait été enfreint, mais il a utilisé des principes tirés de la jurisprudence de l’article 8.

Analyse

Quelle est la norme de contrôle appropriée?

Le juge Rowe, au nom de la majorité, a déterminé que la norme de contrôle de la décision correcte doit s’appliquer pour déterminer :

  1. Si les conseils scolaires sont assujettis à la Charte, et
  2. S’appliquer à la décision de l’arbitre, car il s’agit fondamentalement de deux questions constitutionnelles qui exigent une réponse décisive et définitive des cours de justice.2

La Charte s’applique-t-elle aux conseils scolaires publics?

Après avoir examiné la Loi sur l’éducation de l’Ontario, la Cour a déterminé que les conseils scolaires publics de l’Ontario font partie du gouvernement de par leur nature même et, en outre, que l’enseignement public est une mission gouvernementale de par sa nature même qui présente un caractère constitutionnel unique.3 La Cour a conclu que, dans les faits, les conseils scolaires publics de l’Ontario sont des branches du gouvernement du fait qu’ils exercent des pouvoirs et des fonctions confiés par les législatures provinciales.4

Application de l’article 8 et erreur dans les motifs de l’arbitre

La Cour dans sa majorité a statué que l’arbitre n’avait pas tenu compte de la dimension constitutionnelle des fouilles effectuées par le directeur d’école et qu’il aurait dû appliquer la Charte. Le juge Rowe a ajouté que le droit constitutionnel à une attente raisonnable en matière de vie privée et le droit à la vie privée au sens arbitral sont complètement différents. Compte tenu de ce qui précède, la Cour a conclu que les motifs de l’arbitre révélaient une erreur fondamentale, car elle avait une mauvaise compréhension du type de vie privée en jeu. Lorsqu’elles examinent la décision d’une instance administrative, les cours n’ont tout simplement pas la capacité d’accepter un substitut aux droits garantis par la Charte alors que ceux-ci auraient dû être appliqués. Les cours ne peuvent pas non plus interpréter les motifs d’une instance administrative comme si elles appliquaient un droit garanti par la Charte alors qu’ils ne l’ont pas fait.5

Ainsi, la Cour dans sa majorité a conclu que l’article 8 de la Charte protégeait les enseignants des écoles publiques contre les fouilles et les saisies abusives dans leur lieu de travail.

En conclusion

À la lumière de l’affaire YRDSB, les conseils scolaires publics de l’Ontario doivent tenir compte du droit à la vie privée et procéder avec prudence lorsqu’ils effectuent des fouilles dans les biens et/ou les appareils du conseil. Les employeurs des conseils d’écoles publiques devraient mettre en garde les superviseurs et les personnes qui exercent des fonctions de direction lors des fouilles des salles de classe, des ordinateurs portatifs ou d’autres éléments technologiques, y compris ceux qui sont en fait la propriété de l’école ou du conseil scolaire. Comme la Cour l’a déclaré, ce droit est inscrit dans la Constitution et va au-delà d’une exception raisonnable à la vie privée, et le droit du conseil scolaire de gérer le lieu de travail pourrait surtout s’avérer non pertinent.

Bien que la Cour ait expressément souligné le fait que cette décision ne s’appliquait qu’aux conseils scolaires publics de l’Ontario, la décision YRDSB pourrait créer un précédent utile pour les enseignants d’autres provinces qui sont des employés des conseils scolaires publics.

Nous remercions tout particulièrement Erin Clark pour sa contribution à cet article.


  1. Affaire Conseil scolaire du district de la région de York contre Fédération des enseignants et des enseignantes de l’élémentaire de l’Ontario, 2024 SCC 22. [YRDSB]
  2. YRDSB, paragraphes 62 et 63.
  3. YRDSB, paragraphes 79 et 81.
  4. YRDSB, paragraphe 79.
  5. YRDSB, paragraphe 68.

Archives des affaires

Le 12 février 2024, la Cour d’appel de l’Ontario (« CAO ») a statué que le projet de loi 124 visant à limiter les salaires dans le secteur public du gouvernement de l’Ontario était inconstitutionnel dans son application aux travailleurs syndiqués, car il contrevenait à leurs droits en matière de négociation collective. Cependant, le même projet de loi a été jugé constitutionnel dans son application aux travailleurs non syndiqués, pour qui la négociation collective n’est pas un droit. À la suite de cette décision, le gouvernement de l’Ontario a abrogé l’intégralité du projet de loi 124, mais il a annoncé qu’il prévoyait de publier un nouveau projet de règlement dans l’avenir.

La décision

Le projet de loi 124 devait plafonner les augmentations de salaire du secteur public à 1 % par année pendant une période de trois ans, pour la plupart des employés dans divers milieux du secteur public. Le tribunal inférieur a rejeté le projet de loi en 2022, jugeant qu’il contrevenait à la liberté d’association des travailleurs en vertu de l’alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »). Il a également été constaté que cette violation ne pouvait pas être « protégée » par l’article 1 de la Charte, qui permet au gouvernement de limiter les droits conférés par la Charte dans certaines circonstances, si la limite est raisonnable et qu’elle répond à un objectif pressant.

Le gouvernement de l’Ontario a interjeté appel de cette décision auprès de la CAO, qui a restreint la décision du tribunal inférieur.La CAO a conclu que le projet de loi contrevenait à l’alinéa 2d) de la Charte dans la mesure où il s’appliquait aux travailleurs syndiqués. Cela s’expliquait notamment par le fait que le projet de loi 124 définissait de façon générale la « rémunération » de sorte qu’il réduisait considérablement la portée des éléments pouvant être négociés dans le cadre d’une négociation collective. Il était également incompatible avec les récentes conventions collectives du secteur public qui ne sont pas assujetties au projet de loi 124, et qui permettaient des augmentations de salaire plus élevées.

La CAO a également statué que cette violation de l’alinéa 2d) ne pouvait être protégée par l’article 1 de la Charte.Cependant, contrairement au tribunal inférieur, la CAO a conclu que la gestion des finances publiques et les considérations budgétaires étaient un objectif pressant qui pourrait entraîner l’application de l’article 1. Cela dit, la CAO a également conclu que le projet de loi 124 n’offrait pas de moyens raisonnables ou proportionnels d’atteindre cet objectif. Cela s’explique notamment par le fait que le gouvernement n’a pas réussi à démontrer en quoi les limites salariales n’auraient pas pu être mises en place par des moyens moins ostentatoires, y compris au moyen du processus de négociation collective.

À l’inverse, la CAO a conclu que le projet de loi ne contrevenait pas à l’alinéa 2d) de la Charte dans la mesure où il s’appliquait aux travailleurs syndiqués. Cela s’explique par le fait que l’alinéa 2d) de la Charte ne s’applique pas aux travailleurs qui ne sont pas représentés par un syndicat et ne négocient donc pas collectivement.

Abrogation du projet de loi 124

Le 23 février 2024, le gouvernement de l’Ontario a abrogé le projet de loi 124 dans son intégralité. Le gouvernement avait déjà annoncé qu’il n’interjetterait pas appel de la décision de la CAO et qu’il instaurerait d’urgence de nouveaux règlements. Au moment de la rédaction du présent document, aucun règlement n’avait été adopté.

Principaux points à retenir pour les employeurs

Certains arbitres du travail ont déjà accordé des augmentations de salaire supplémentaires à certains travailleurs du secteur public touchés par le projet de loi 124, en grande partie dans les cas où la convention collective applicable comprend une « clause de réouverture » (c.-à-d. une clause négociée qui permet aux parties de renégocier les modalités d’une convention collective en vigueur avant son échéance). Les employeurs du secteur public qui ont été touchés par le projet de loi 124 voudront examiner leurs conventions collectives pour comprendre si une telle « réouverture » est possible.

En outre, et même en l’absence d’une clause de réouverture contractuelle, les employeurs du secteur public, en particulier dans le domaine syndical, voudront évaluer l’incidence que pourrait avoir l’abrogation des limites salariales sur les négociations futures, y compris en ce qui concerne les attentes salariales des syndicats.

Nous remercions tout particulièrement Madison Frehlick pour sa contribution à cet article.

Dans l’affaire Dufault c. The Corporation of the Township of Ignace, la Cour supérieure de l’Ontario (la « Cour ») s’est encore opposée au libellé des clauses contractuelles de licenciement, trouvant de nouvelles raisons de rendre inexécutoire le libellé relatif au licenciement, tant avec motif valable que sans motif valable.

En examinant d’abord le libellé relatif au licenciement sans motif valable du contrat de travail, la Cour s’est opposée aux énoncés selon lesquels l’employeur pouvait mettre fin à l’emploi à « sa seule discrétion » et « à tout moment ». Elle a conclu que ce libellé permettait à l’employeur de contrevenir à la Loi de 2000 sur les normes d’emploi (la « Loi »). Dans la plupart des cas, la Loi interdit à un employeur de mettre fin à l’emploi d’un employé qui est en congé en vertu de la Loi. La Loi interdit également le licenciement comme moyen de représailles contre un employé qui exerce ses droits en vertu de la Loi. Par conséquent, la Cour a invoqué le fait qu’un employeur ne peut mettre fin à l’emploi « à tout moment » ou à « sa seule discrétion », comme le contrat le prévoyait car, dans certaines circonstances, cela serait contraire à ses obligations en vertu de la Loi.

La Cour s’est également opposée au libellé utilisé dans les dispositions relatives au licenciement avec motif valable du contrat. À cet égard, le contrat stipulait que l’employé pourrait être congédié « pour motif valable » et « sans le préavis et l’indemnité de cessation d’emploi prévus par la loi ». Bien que la common law s’appuie sur une norme « pour motif valable » pour permettre le licenciement sans préavis raisonnable en vertu de la common law, la Loi se fonde sur une norme différente et plus élevée; c’est-à-dire que les employés doivent être « coupables d’un acte d’inconduite délibérée, d’indiscipline ou de négligence volontaire dans l’exercice de leurs fonctions qui n’est pas frivole et que l’employeur n’a pas toléré » pour permettre le licenciement sans préavis minimal.

Il y aura donc des cas où les motifs de licenciement satisfont à la norme de la common law en matière de licenciement pour « motif valable » (de sorte que le préavis raisonnable en vertu de la common law n’est pas exigible), mais ils ne satisfont pas à la norme plus élevée de la Loi en ce qui a trait à « un acte d’inconduite délibérée, d’indiscipline ou de négligence volontaire dans l’exercice de leurs fonctions » (et, par conséquent, le préavis minimal et l’indemnité de cessation d’emploi prévus par la Loi sont toujours exigibles). Par conséquent, la Cour a soutenu qu’un employeur ne peut prétendre mettre fin à l’emploi « pour motif valable » et sans le préavis minimal ou/et l’indemnité de cessation d’emploi prévus par la Loi, puisque, dans certains cas, cela irait à l’encontre de ses obligations en vertu de la Loi.

En définitive, la Cour a estimé que les clauses de licenciement en cause étaient inexécutoires. L’employé n’était donc pas limité aux restrictions du préavis de cessation d’emploi prévues par la clause, mais pouvait plutôt se prévaloir de la période de préavis plus longue prévue par la common law.

On ne sait toujours pas si cette décision fera l’objet d’un appel. Son plein effet est donc inconnu. Toutefois, l’affaire constitue un rappel clair que les tribunaux de l’Ontario continuent d’éroder la capacité d’un employeur d’appliquer des restrictions contractuelles au préavis de licenciement (avec ou sans motif valable). Étant donné que le libellé permis par les tribunaux a toujours posé un problème, les employeurs sont encouragés à revoir régulièrement leurs contrats afin de s’assurer que ce libellé est à jour.

Nous remercions tout particulièrement Madison Frehlick pour sa contribution à cet article.

Alors que l’échéance de septembre 2024 approche pour de nombreux employeurs sous réglementation fédérale qui devront mettre en œuvre un plan d’équité salariale en vertu de la Loi sur l’équité salariale (la « Loi »), les décisions rendues par la commissaire à l’équité salariale du Canada (la « commissaire ») demeurent étroitement surveillées. Parmi ces causes, une décision récemment rendue par la commissaire fournit de plus amples renseignements aux employeurs qui envisagent d’élaborer plusieurs plans d’équité salariale, plutôt que le plan unique présumé.

La Loi suppose que les employeurs auront un seul plan d’équité salariale unique pour tous les employés, peu importe la diversité de nombreuses organisations. Toutefois, cette présomption peut, dans des circonstances limitées, être réfutée. La commissaire peut permettre à un employeur d’établir plusieurs plans d’équité salariale si chaque plan comporte « suffisamment » de catégories d’emploi principalement « masculines » pour permettre la comparaison avec les catégories d’emploi « féminines » (c.-à-d. suffisamment de catégories d’emploi masculines tant en quantité qu’en qualité), et si la commissaire est convaincue qu’établir plusieurs plans est « approprié dans les circonstances ».

Vu la jurisprudence limitée à ce jour, il s’est avéré difficile d’apprécier le caractère approprié d’établir plusieurs plans. Toutefois, dans une décision récemment rendue par la commissaire, la demande de l’employeur d’établir plusieurs plans a été acceptée en partie. Dans cette affaire, l’employeur demandait l’établissement de trois plans d’équité salariale distincts : un pour le personnel non syndiqué occupant un poste de cadre, un pour les employés occupant un poste technique particulier (« PTP ») et un pour tous les autres employés (y compris les employés syndiqués et non syndiqués).

La commissaire a jugé qu’il était approprié d’avoir un plan d’équité salariale distinct pour les PTP, compte tenu de la complexité de l’évaluation de leurs emplois et de leurs structures salariales. Ces structures – et en particulier l’outil d’évaluation des emplois utilisé pour les évaluer – étaient hautement techniques, spécialisées et propres au travail du PTP. Ils présenteraient donc une complexité injustifiée pour l’analyse de l’équité salariale des employés qui ne sont pas des PTP, de sorte qu’un plan d’équité salariale distinct pour les PTP était approprié.

Toutefois, la commissaire a refusé de permettre l’établissement de plans distincts pour chacun des groupes de personnel cadre et non cadre. Afin de justifier l’établissement de ces plans distincts, l’employeur a expliqué les défis liés à la conception d’un outil d’évaluation des emplois qui pourrait évaluer et comparer les responsabilités distinctes du personnel cadre, avec les compétences et les responsabilités fondamentalement différentes de son personnel non cadre. L’employeur a également expliqué que lorsque de nombreux emplois différents sont inclus dans le même outil d’évaluation des emplois, une petite différence entre les emplois peut devenir impossible à distinguer de façon appropriée et, par conséquent, les écarts entre les sexes peuvent être involontairement obscurcis. Ultimement, la commissaire ne s’est pas montrée sensible aux défis soulevés par l’employeur. Citant une décision antérieure sur la même question, la commissaire a fait remarquer ce qui suit :

Les législateurs étaient sans aucun doute conscients des défis que représente la création d’un plan d’équité salariale dans les grandes organisations. Pourtant, c’est ce qu’exige la législation. Toute exception à cette exigence [p. ex. l’exception relative au recours à plusieurs plans] doit être soigneusement appliquée.

La décision réitère donc que les difficultés organisationnelles et administratives « typiques » liées à l’établissement d’un seul plan d’équité salariale ne justifieront probablement pas le recours à plusieurs plans. Toutefois, l’affaire laisse entendre qu’il existe néanmoins certains scénarios suffisamment complexes et uniques pour que l’établissement de plusieurs plans d’équité salariale devienne approprié.

Nous remercions tout particulièrement Madison Frehlick pour sa contribution à cet article.

Dans l’affaire Shalagin c. Mercer Celgar Limited Partnership 2023 BCCA 373, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (la « BCCA ») a confirmé que l’enregistrement secret et répété de conversations entre collègues par un employé peut constituer un motif de congédiement, et ce, en dépit du fait que l’employé a affirmé que les enregistrements étaient destinés à illustrer la discrimination en milieu de travail.

Faits

L’employé, un comptable, a d’abord été congédié de son emploi sans motif valable, ce qui l’a amené à intenter des poursuites contre l’employeur à la fois pour congédiement injustifié et violation alléguée de la législation sur les droits de la personne. Au fur et à mesure que ces réclamations progressaient, il est apparu évident que, sur une période de 10 ans alors qu’il était employé, l’employé avait enregistré subrepticement plus de 130 conversations avec des collègues de travail alors qu’il était toujours employé. Les enregistrements étaient essentiellement confidentiels, personnels et/ou sensibles.

Afin d’expliquer les enregistrements secrets, l’employé a prétendu les avoir effectués pour corroborer sa croyance qu’il était victime de discrimination au travail. Toutefois, l’employeur a allégué que les enregistrements étaient inappropriés et qu’ils avaient eu pour conséquence de fournir un motif « acquis ultérieurement » de congédier l’employé (même si, au départ, il avait été congédié sans motif valable).

L’employé a contesté la position de l’employeur d’acquisition ultérieure d’un motif valable devant les tribunaux. Il a perdu devant le tribunal de première instance et en appel auprès de la BCCA, alors que la position fondée sur l’acquisition ultérieure d’un motif valable a été confirmée.

La BCCA a corroboré les conclusions du tribunal inférieur. Elle a conclu que les facteurs justifiant le congédiement pour motif valable comprenaient le fait que l’employé savait que les enregistrements étaient contraires à ses obligations professionnelles en tant que comptable, à ses obligations de confidentialité envers son employeur et à des préoccupations générales quant au respect de la vie privée. Les informations enregistrées étaient également sensibles et comprenaient souvent des renseignements personnels au sujet de collègues. Par conséquent, les enregistrements auraient raisonnablement mis les collègues mal à l’aise. Le tribunal a également été interpellé par le grand nombre d’enregistrements. Enfin, il a été reconnu que le fait de ne pas censurer le comportement de l’employé pourrait inciter d’autres employés qui considéraient n’être pas bien traités au travail à commencer à enregistrer les autres d’une manière inappropriée.

La BCCA a reconnu que l’employé avait peut-être au départ un motif d’enregistrer les conversations en raison de ses craintes de discrimination. Toutefois, elle a ajouté que le fait que l’employé ait continué d’enregistrer des conversations, en outre sur une période de 10 ans, allait bien au-delà de ce motif.

Points à retenir

Cette décision démontre l’importance croissante que les tribunaux de la Colombie-Britannique accordent aux droits à la vie privée des particuliers, même en contexte d’emploi. Selon l’ampleur et la gravité de l’inconduite, la violation de la vie privée des collègues de travail peut suffisamment miner la confiance et constituer un motif valable de congédiement.

La décision souligne également l’importance, pour l’employeur, d’intégrer explicitement les obligations de respect de la vie privée et de confidentialité des employés dans chaque contrat d’emploi. Cela permet à la fois de réitérer les attentes en milieu de travail et de justifier toute mesure disciplinaire connexe, y compris le congédiement pour motif valable.

Nous remercions tout particulièrement Madison Frehlick pour sa contribution à cet article.

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