Une récente affaire de la Cour fédérale visait à déterminer la possibilité d’examiner les recommandations faites par un ombudsman indépendant concernant le salaire vital payé par un détaillant canadien s’approvisionnant au Bangladesh. La Cour a confirmé qu’elle ne pouvait pas examiner ces recommandations. Cette affaire met en lumière une tendance croissante visant à s’assurer que les entreprises canadiennes assument une plus grande part de responsabilité à l’égard des conditions de travail et des salaires dans leurs chaînes d’approvisionnement mondiales.

Sommaire

Dans sa récente décision, dans l’affaire United Steel, Paper and Forestry, Rubber, Manufacturing, Energy, Allied Industrial and Service Workers International Union (United Steelworkers) v. Mark’s Work Wearhouse Ltd.1, la Cour fédérale du Canada a rejeté la demande du Syndicat des Métallos et du Congrès du travail du Canada, qui contestaient le rapport final de l’ombudsman du Canada de la responsabilité des entreprises (« OCRE ») sur l’examen et la formulation de recommandations relativement aux pratiques concernant le salaire vital d’une société canadienne de détail et de sa société mère, au Bangladesh (les intimés). La décision de la Cour s’explique par le fait que le rapport final (défini ci-après) n’était qu’un avis consultatif et qu’il n’avait aucune incidence sur les droits légaux, n’imposait pas d’obligations ou ne causait pas d’effets préjudiciables.

Cette décision est importante parce qu’elle clarifie les limites du contrôle judiciaire sur des organismes consultatifs comme l’OCRE. Bien que les plaignants puissent demander un contrôle judiciaire des violations présumées des droits de la personne, à moins que la décision administrative n’ait une incidence juridique directe, les tribunaux n’interviendront généralement pas.

Même si ces rapports d’organismes consultatifs ne modifient pas directement les droits légaux et n’imposent pas de conséquences exécutoires, ils suscitent souvent des attentes au sein des parties prenantes, influencent le risque d’atteinte à la réputation en façonnant la façon dont les organisations sont perçues par le public et en influant sur la confiance des parties prenantes, et ils peuvent jouer le rôle de catalyseurs pour des améliorations volontaires des politiques et des pratiques d’entreprise.

Chez KPMG cabinet juridique, nous soutenons les organisations en les aidant à interpréter les normes internationales, à élaborer et à mettre à jour leurs politiques, à se préparer aux changements réglementaires et nous fournissons des conseils afin qu’elles puissent donner suite aux recommandations consultatives et adopter des pratiques exemplaires en matière de conduite responsable des entreprises.

Contexte

Position des demandeurs : les décisions ayant des répercussions importantes sur le public exigent une intervention judiciaire

Créé en avril 2019 par décret (C.P. 2019-1323), l’OCRE est chargé d’examiner les allégations d’atteinte aux droits de la personne par des entreprises canadiennes exerçant des activités à l’étranger, particulièrement dans le secteur du vêtement et les secteurs minier, pétrolier et gazier. Les procédures opérationnelles de l’OCRE sont déclenchées lorsqu’une plainte est déposée, qu’un examen est lancé ou qu’une médiation informelle est demandée.Le décret de 2019 interdit à l’OCRE d’établir de nouvelles normes sur la conduite responsable des entreprises et, par conséquent, son pouvoir se limite à formuler des recommandations plutôt qu’à imposer des résultats contraignants.

Le 21 novembre 2022, les demandeurs ont déposé une plainte alléguant que les intimés ont eu recours à des fournisseurs au Bangladesh qui ne versaient pas aux travailleurs (principalement des femmes) un salaire vital. Les demandeurs ont demandé à l’OCRE d’enquêter sur ce défaut allégué et de déterminer si ces fournisseurs commettaient des violations des droits de la personne. Ils ont demandé à l’OCRE de faire des recommandations aux intimés, notamment qu’un salaire vital soit versé à tous les employés de leurs chaînes d’approvisionnement, que les politiques soient modifiées et que des excuses officielles soient présentées.

L’OCRE a jugé la plainte recevable et a procédé à une enquête indépendante. Le 2 octobre 2024, il a publié le rapport final, qui i) décrivait en détail les activités de recherche des faits de l’OCRE, ii) traitait des questions soulevées dans le rapport d’évaluation initial de l’OCRE et iii) formulait sept recommandations à l’intention du ministre du Commerce extérieur et des sociétés canadiennes s’approvisionnant à l’étranger (le « rapport final »). L’OCRE n’a pas fait de déclarations définitives sur le droit à un salaire vital, ce qui signifie qu’elle n’a pas dégagé de conclusions définitives ou faisant autorité sur l’existence ou la portée d’un tel droit. En particulier, l’OCRE a reconnu que l’Organisation internationale du Travail (« OIT ») était l’autorité appropriée pour établir des normes internationales du travail, et l’établissement de critères propres à l’OCRE ou la formulation de conclusions définitives reproduirait le travail de l’OIT. Cela irait également à l’encontre du mandat de l’OCRE, qui interdit l’établissement de nouvelles normes en matière de conduite responsable des entreprises.

Les demandeurs ont demandé un contrôle judiciaire du rapport final en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales.2 Dans leur demande, les demandeurs ont fait valoir qu’ils avaient la qualité d’agir dans l’intérêt public3 et que le rapport final faisait l’objet d’un contrôle judiciaire au motif qu’il relevait de l’autorité du tribunal d’examiner et de rendre une décision à ce sujet. Ils ont également soutenu que la nature publique du rapport final de l’OCRE devrait le rendre susceptible de contrôle judiciaire, ce qui laisse entendre que des décisions ayant répercussions publiques considérables peuvent nécessiter un contrôle judiciaire rigoureux.4 Ils ont soutenu que l’OCRE avait interprété de façon étroite son mandat, s’était appuyé sur des informations non pertinentes concernant le mandat de l’OIT et n’avait pas fourni de raisons suffisantes pour justifier ses conclusions.

Les intimés ont soutenu que le rapport final n’était pas une décision soumise à un contrôle judiciaire. Par ailleurs, ils ont soutenu que la décision administrative de l’OCRE était raisonnable et que le redressement demandé par les demandeurs dépassait la portée du contrôle judiciaire.

Conclusion de la Cour : le rapport final de l’OCRE est consultatif et ne donne pas lieu à un contrôle judiciaire

La question centrale était de savoir si le rapport final de l’OCRE constituait une décision pouvant être soumise à un contrôle judiciaire. La Cour a réitéré le principe selon lequel toutes les mesures administratives ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire et que le contrôle judiciaire n’est possible que pour les décisions qui ont une incidence directe sur les droits légaux, imposent des obligations juridiques ou causent des effets préjudiciables. La Cour a déclaré que la question clé n’était pas la nature publique du rapport final, mais plutôt la question de savoir si le rapport entraînait des conséquences juridiques.

Étant donné que la plainte des demandeurs a été reçue et examinée, et que le mandat de l’OCRE se limite aux recommandations sans le pouvoir de contraindre à agir ou d’établir de nouvelles normes, le rapport final n’était pas admissible à un contrôle judiciaire. Plus particulièrement, la Cour a conclu que le rapport final n’avait pas d’effets ou de conséquences juridiques, car il n’avait aucune incidence sur les droits légaux, n’imposait pas d’obligations juridiques ou ne causait pas d’effets préjudiciables.

Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire a été rejetée, et des dépens ont été accordés aux intimés.


1. United Steel, Paper and Forestry, Rubber, Manufacturing, Energy, Allied Industrial and Service Workers International Union (United Steelworkers) v. Mark’s Work Wearhouse Ltd., 2025 FC 1647 (CanLII)

2. Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7

3. Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, [2012] 2 RCS 524

4. Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses (Judicial Committee) c. Wall, [2018] 1 RCS 750.

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