• Jillian Frank, Author |
8 minutes de lecture

Les deux prochaines parties de ma série sur l’innovation en matière de talent portent sur les considérations juridiques et opérationnelles liées à l’utilisation de mesures pour suivre les initiatives d’inclusion, de diversité et d’équité (IDE). (Lisez la première partie de la série ici, et la deuxième ici.)

Je reconnais d’emblée que la collecte de données sur l’IDE n’est pas un concept si « innovant ». Depuis des années, voire des décennies, les entreprises utilisent les données pour se tenir responsables des initiatives de diversité, comme le dit l’adage « ce qui peut être mesuré peut être fait ».

Mais beaucoup de choses ont changé ces dernières années. Les entreprises peuvent plus facilement recueillir des données sur l’IDE et y accéder grâce au logiciel de gestion des ressources humaines et à d’autres outils numériques. Les employés exigent de plus en plus une expérience personnalisée. Et les lois relatives à l’équité et aux droits de la personne resserrent les exigences réglementaires quant aux mesures d’IDE, comme la législation sur la transparence salariale en Colombie-Britannique, la consultation de Statistique Canada sur la terminologie et les catégories appropriées pour remplacer la mention « minorités visibles » par une identification appropriée de populations ethniques, autochtones et racisées, et la consultation du gouvernement de la Colombie-Britannique sur les lois relatives aux données sur la lutte contre le racisme.

Compte tenu de tous ces changements et de la pression exercée pour recueillir et utiliser des données sur l’IDE, il est important que les sociétés procèdent avec prudence. J’ai divisé ce sujet en deux parce qu’il y a beaucoup à aborder, y compris les concepts juridiques de base relatifs à la confidentialité des données et à l’établissement de liens de confiance avec les membres du personnel.

Qu’entend-on par « mesures d’IDE »?
De façon générale, ces mesures peuvent comprendre les suivantes :

  • Données démographiques agrégées utilisées pour déterminer si les processus visant à encourager l’embauche et la promotion de personnes diversifiées sont efficaces. En comparant les données démographiques à l’intérieur des fourchettes de rémunération ou par rôle, les dirigeants peuvent déterminer où prioriser l’inclusion et la diversité et élaborer des programmes ciblés.
  • Des mesures personnalisées d’auto-identification utilisées pour l’embauche ou la promotion ciblée de personnes au sein d’un groupe particulier afin d’accroître la diversité au sein de la haute direction ou d’une équipe particulière.

Les outils de rapport et d’analyse de la gestion du capital humain permettent aux équipes des RH de recueillir ces données. Mais même avec ces outils, recueillir et utiliser des données de l’IDE n’est pas un exercice simple. Les équipes des RH hésitent souvent à recueillir ces informations en raison de problèmes potentiels de responsabilité et de conformité. De plus, en se fondant sur les expériences passées de pratiques d’embauche discriminatoires, les membres du personnel et les postulant·e·s hésitent souvent à divulguer ces renseignements par crainte de la façon dont ils seront utilisés.

À quoi peuvent servir les données sur l’IDE?
Les données sur l’IDE permettent aux entreprises de mesurer les progrès et le succès (ou l’absence de progrès), qui peuvent ensuite être utilisés pour établir des priorités, élaborer des programmes et améliorer les processus RH. Les données permettent de cerner et de vérifier les perceptions au sujet du traitement équitable et des possibilités d’avancement, des écarts de rémunération, des obstacles au recrutement, de l’accessibilité et de la diversité au sein de la direction.

Ne sommes-nous pas censés ne pas poser de questions sur ce genre de choses?
Il est vrai que de nombreuses équipes des RH ont reçu une formation pour ne pas poser de questions sur les motifs illicites de discrimination. Cette pratique est conforme aux recommandations du tribunal des droits de la personne selon lesquelles les employeurs « veillent à ce que les entrevues ne servent qu’à obtenir de l’information sur les qualifications et les exigences professionnelles nécessaires à la décision d’embauche ». Les postulant·e·s et les employé·e·s sont protégé·e·s contre la discrimination en vertu des lois sur les droits de la personne.

Cependant, les lois canadiennes sur les droits de la personne comprennent une exception pour les programmes visant à améliorer l’expérience d’embauche et d’emploi des groupes en quête d’équité. Autrement dit, les mesures d’IDE ne peuvent pas être utilisées à des fins de discrimination envers un·e employé·e en vertu d’un motif interdit, mais elles peuvent l’être pour améliorer l’accès aux possibilités en milieu de travail.

Mais tout cela ne s’agit-il pas de discrimination à rebours?
La « discrimination à rebours » n’est pas une revendication juridique reconnue au Canada. Les lois canadiennes sur les droits de la personne protègent expressément les programmes visant à lutter contre la discrimination systémique.

À cet égard, le Canada est très différent, disons, des États-Unis. Je pourrais écrire un article entier sur ce sujet (et je suis sûre que d’autres l’ont fait!), mais voici la raison abrégée. Nos protections constitutionnelles en matière d’égalité, qui sont énoncées dans la Charte canadienne des droits et libertés, sont entrées en vigueur en 1982, à la suite d’une décision de la Cour suprême des États-Unis qui a renversé un programme d’action positive visant à permettre aux postulant·e·s désavantagé·e·s sur le plan économique ou éducationnel et appartenant à des minorités de demander l’admission à un programme particulier d’enseignement postsecondaire. Comme la Cour d’appel de l’Ontario l’a noté plus tard, les protections des programmes d’amélioration, telles qu’elles sont énoncées au paragraphe 15 (2) de la Charte, « ont sans aucun doute été incluses […] pour étouffer ce débat au Canada et pour éviter » des litiges semblables.

La Cour suprême du Canada a toujours déclaré qu’un traitement identique peut perpétuer un désavantage et que l’atteinte de l’égalité peut parfois nécessiter un traitement différent.

Augmentons-nous nos risques juridiques en recueillant ces informations?
Les entreprises qui commencent à recueillir des données sur l’IDE font face à beaucoup d’inconnues. Que se passe-t-il si une personne divulgue de l’information? Et si les données révélaient des pratiques discriminatoires? Cela ouvrira-t-il la porte à des actions collectives et à des enquêtes sur les droits de la personne?

D’abord, pour remédier à ces inconnues, il est important d’obtenir des conseils sur les risques juridiques. Voici quelques considérations à souligner :

  • Les entreprises doivent protéger l’intégrité et la confidentialité des données sur l’IDE, tout comme elles protègent d’autres données sensibles sur les entreprises et les employés. L’information sur l’IDE est très confidentielle. Même des données regroupées pourraient identifier les caractéristiques personnelles de vos employé·e·s.
  • Si les données révèlent des pratiques discriminatoires, l’entreprise devra prendre des mesures d’atténuation pour éviter un litige ou des mesures réglementaires.
  • À moins que l’information ne soit privilégiée (p. ex., l’information recueillie dans le cadre d’un litige ou en vue d’obtenir un avis juridique), elle pourrait être divulguée dans le cadre d’un litige ou d’une procédure réglementaire.

Donc, oui, la collecte de données comporte son lot de risques juridiques. Mais ces risques peuvent et doivent être évalués par rapport aux risques de ne pas suivre les progrès et encourager la transparence sur les initiatives de l’IDE.

Ne devrions-nous pas simplement nous efforcer de trouver les personnes les plus qualifiées?
L’utilisation de mesures d’IDE suscite souvent des critiques selon lesquelles l’embauche ou la promotion devrait être fondée sur le « mérite », et non sur des caractéristiques individuelles (cet article en est un exemple – en anglais).

Cette question ne devrait pas être évitée ou ignorée. En donnant une réponse claire, on protège les membres du personnel actuels et potentiels : personne ne devrait avoir à prouver qu’il ou elle mérite sa nomination à un poste. Mais oui, bien sûr, il est dans l’intérêt de l’organisation d’embaucher des personnes qualifiées. L’objectif n’est pas de pourvoir des postes avec un groupe de personnes diversifiées. Il devrait être évident que rien n’est accompli quand on embauche une personne qui n’est pas qualifiée.

Toutefois, les questions relatives aux « personnes qualifiées » et au « mérite » supposent que les processus d’embauche de l’entreprise sont équitables, inclusifs et accessibles. Elles laissent entendre que seul le groupe majoritaire est qualifié pour exécuter le travail, sans jamais prendre de mesures pour s’assurer que c’est effectivement le cas. Pour concevoir un programme plus équitable, il faut examiner de près le processus d’embauche et de promotion. Voici quelques façons d’y penser :

  • Évaluez-vous les compétences de façon objective ou vous basez-vous sur de vagues références à la compatibilité ou à la culture de votre entreprise? Que signifie « qualifié »? Comment les compétences sont-elles évaluées? Y a-t-il un consensus sur les compétences requises pour réussir dans le poste?
  • Prenez-vous des mesures actives pour assurer la diversité du bassin de candidat·e·s? Vous adressez-vous, par exemple, à des organismes communautaires ou à des agences de recrutement qui se consacrent à l’embauche de femmes, d’employé·e·s racisé·e·s ou de personnes 2SLGBTQIA+, neurodiverses ou ayant une limitation?
  • Votre entreprise démontre-t-elle dans ses actions quotidiennes, ses décisions opérationnelles et ses messages qu’elle est un milieu de travail inclusif, équitable et accessible?

En recueillant des données sur l’IDE, l’entreprise est mieux placée pour mesurer l’efficacité de ses programmes et déterminer où plus de travail est nécessaire pour attirer et retenir diverses personnes.

Récapitulation : Collecte et utilisation de mesures d’IDE
Voici un résumé des sujets abordés dans cet article :

Déterminez votre objectif. Établissez un plan. Demandez des conseils juridiques.

La collecte de données sur l’IDE est essentielle pour aller de l’avant et progresser, mais vous devez faire attention à la gestion des talents et des risques juridiques liés à la collecte de renseignements.

Dans mon prochain billet, je parlerai des lois sur la protection des renseignements personnels et de la protection des données, ainsi que de la façon de réagir lorsque les membres du personnel refusent de fournir ces données.

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