Avant de me joindre à KPMG, j’ai étudié et travaillé dans le domaine de l’océanographie, où j’ai appris comment les plus grands animaux vivant sur la planète interagissent avec certains des plus petits microorganismes, et à quel point toute la faune est étroitement interconnectée et source de vie, tant dans l’eau que sur la terre ferme. L’hiver dernier, lors du sommet de KPMG sur l’intelligence artificielle à Vancouver, j’ai été invité à donner une conférence et l’un des principaux messages que je souhaitais transmettre est que si l’on se tient sur la berge d’un océan, il est impossible d’avoir une vue d’ensemble de tous les systèmes complexes qui interagissent sous la surface. Il est absolument essentiel de comprendre comment suivre et analyser l’information recueillie pour la transformer en mesures concrètes de conservation des océans.
La même analogie peut s’appliquer au monde des affaires. Les organisations qui cherchent à élaborer une stratégie environnementale, sociale et de gouvernance (ESG) doivent regarder au-delà de leurs propres activités et évaluer les enjeux ESG de tous les secteurs et domaines, ainsi que sur toute la chaîne de valeur, de la fabrication à la consommation, en passant par le transport. Elles doivent également comprendre les interdépendances qui existent dans l’éventail des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance. Tout comme c’est le cas lorsqu’on étudie les profondeurs de l’océan, il est souvent difficile de percevoir ces interdépendances dans une mer de données.
C’est là que l’IA se montre de plus en plus prometteuse. Il ne s’agit plus que d’automatisation de tâches, de robots de clavardage, de magasinage personnalisé et de véhicules autonomes. L’IA est aussi utilisée pour faire face à de nombreux défis liés aux enjeux ESG.
Approche basée sur les données
Selon le Forum économique mondial (FEM), les changements climatiques perturberont sérieusement les affaires dans les décennies à venir. « Pour s’adapter à cette nouvelle réalité, il faut générer des renseignements climatiques beaucoup plus détaillés pour permettre aux intervenants d’adopter une approche axée sur les données », indique le FEM.
Ce dernier recommande l’utilisation de l’IA pour relever divers défis liés à l’interprétation et à l’analyse des données ESG. L’IA peut notamment servir à :
- la modélisation prédictive d’événements météorologiques extrêmes
- le développement de systèmes d’alerte précoce, qui pourraient même contribuer au déploiement préventif de l’aide humanitaire
- accroître la résilience climatique, comme la détermination des vulnérabilités possibles dans la chaîne de valeur
- assurer l’éthique dans les chaînes d’approvisionnement et protéger les droits de la personne et la valeur sociale.
La notion de « valeur » se transforme à mesure que les marchés financiers s’intéressent à la façon dont les entreprises réalisent des profits, et si cela se fait au détriment de populations racialisées, marginalisées ou vulnérables. Grâce à l’aspect multidimensionnel de l’IA, les questions sociales et de gouvernance pourraient être résolues de façon positive.
Capacités émergentes
Les animaux et les écosystèmes ont mis des millions d’années à trouver les moyens les plus efficaces de survivre et de progresser ensemble dans la nature. L’IA le fait également, mais bien plus rapidement.
Celle-ci peut effectuer des analyses détaillées d’énormes quantités de données, tandis que les outils d’apprentissage-machine cernent les tendances dans les ensembles de données et optimisent le déroulement des opérations… sans même être programmés pour le faire. L’apprentissage profond, une sous-catégorie de l’apprentissage-machine, imite les réseaux neuronaux du cerveau humain afin d’établir des prévisions très précises.
Bon nombre de dirigeants d’entreprise se tournent vers l’IA pour atténuer les effets des changements climatiques, exploitant sa puissance pour réaliser des tâches complexes, comme la mesure et la réduction des émissions de carbone ou l’optimisation de l’énergie en équilibrant les pics et les creux dans le réseau électrique. L’IA peut cependant servir à plus grande échelle, pour acquérir des connaissances et prendre des décisions éclairées.
Par exemple, les données sur la température qui remontent aux années 1850 nous aident à constater qu’il y a eu un réchauffement au fil du temps. Mais la compréhension des changements climatiques – pour atténuer ses effets et s’y adapter – va bien au-delà de statistiques compilées sur une période déterminée. Grâce à l’IA, il est possible d’ajouter d’autres facteurs pour élargir cette compréhension et y inclure les risques sociaux et géopolitiques connexes.
Le défi consiste à améliorer la qualité des données afin d’obtenir des rapports plus précis, de faire progresser les objectifs relatifs à l’IA, de répondre aux exigences croissantes de conformité et, en fin de compte, de disposer de meilleurs renseignements. Ainsi, dans le secteur de l’expédition, KPMG travaille avec une entreprise de solutions maritimes pour incorporer l’IA dans ses initiatives de durabilité, notamment la gestion du carburant et de l’énergie. En créant un modèle pour comprendre la corrélation entre des ensembles de données, il est possible de mieux évaluer l’impact de l’expédition et du trafic maritime à travers la chaîne de valeur. Par exemple, la réduction du nombre de soupapes d’un navire permet dépenser moins d’énergie lors de la navigation, ce qui réduit son empreinte carbone.
Une compréhension approfondie
Beaucoup de dirigeants d’entreprise considèrent les enjeux ESG d’un point de vue unidimensionnel : leur répercussion sur la valeur de l’entreprise. Toutefois, l’IA transforme ces enjeux grâce à sa capacité de gérer plusieurs ensembles de données provenant de sources multiples, dans différents formats et de qualité variable, ce qui est impossible avec les technologies d’aujourd’hui qui ne font pas appel à l’IA.
L’IA offre un point de vue tridimensionnel, ce qui aide les dirigeants à comprendre les liens et les interdépendances entre leurs activités et leur stratégie ESG :
- Une vue unidimensionnelle montre comment les facteurs ESG touchent une entreprise donnée (matérialité simple)
- Une vue bidimensionnelle examine l’effet de ces facteurs sur la valeur de l’entreprise dans la société et à travers la chaîne de valeur (matérialité double)
- Une vue tridimensionnelle intègre des la notion de dynamisme, comme l’évolution dans le temps et l’étendue (matérialité dynamique).
Du côté des résultats, l’IA peut contribuer à réaliser des gains d’efficience pour réduire les émissions de CO2 et aider les organisations à atteindre des cibles établies, en plus de favoriser leur intégration dans l’écosystème et la chaîne de valeur pour réduire les émissions de portée 3.
En modélisant la résilience climatique à l’aide de jumeaux numériques, entre autres, il est possible de tester différents scénarios, de prévoir les dangers et d’assurer l’avenir des activités, contribuant ultimement à la protection des personnes et des communautés. Les entreprises peuvent même se servir de jumeaux numériques pour tester des modèles d’économie circulaire en procédant à des simulations visant à les valider avant de les mettre en œuvre.
L’IA peut aussi être employée dans le suivi et le compte-rendu des initiatives ESG. Par exemple, elle pourrait présenter avec précision la réussite d’un programme de recyclage à l’aide de la vision par ordinateur en déterminant le nombre de bouteilles recyclées par type dans une région en particulier, comparativement à la quantité vendue dans cette région. Cette capacité de suivi gagnera en importance à mesure que les entreprises feront l’objet d’une surveillance de plus en plus intense pour éviter l’écoblanchiment.
En passant d’une vue unidimensionnelle à une vue tridimensionnelle, les dirigeants d’entreprise auront une meilleure compréhension des effets de la décarbonation sur la main-d’œuvre et la société. Ils pourront ainsi tenir les tiers fournisseurs responsables des enjeux concernant les droits de la personne, ou atténuer les conséquences négatives sur les travailleurs, les communautés locales, les peuples autochtones et l’environnement.
Faire le saut
Pour se lancer dans la gestion des enjeux ESG par l’IA, il faut d’abord comprendre le rôle qu’elle pourrait tenir dans la transformation d’une entreprise, et dans quelles circonstances. De plus, les humains et l’IA devront travailler en collaboration. « Ces systèmes nécessitent toujours la créativité et le jugement humains », affirme Aya Ladki, directrice au centre Ignition de KPMG à Vancouver, également conférencière au sommet sur l’IA. « C’est une contribution équitable des humains et de la technologie qui assurera le bon équilibre et la bonne approche. »
Il faut également noter que différents intervenants doivent être inclus dans ces conversations, et non seulement l’équipe des TI. Lorsque tous les intervenants s’entendent sur un cadre de travail durable pour l’IA, ils peuvent commencer à se concentrer sur la complexité sous-jacente et relever certains de leurs plus grands défis ESG.
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