« Il arrive un moment où vous devez mettre votre stratégie en oeuvre. » L’intégration de la durabilité dans une organisation est probablement l’étape la plus complexe. Les KPI et l’engagement en garantissent le succès. Et tant les activités principales que les services d’appui jouent un rôle crucial, à cet égard.
« D’après la dernière édition de notre enquête KPMG CEO Outlook, 92 % des CEO sont convaincus que l’intégration de la durabilité dans leur modèle d’entreprise est essentielle pour le succès futur de l’organisation. L’édition d’il y a trois ans ne comportait rien à ce sujet. Cela montre à quel point ce thème est arrivé en tête des priorités. »
Daniel Pairon, Global Lead Asset Management chez KPMG, affirme que l’intégration des objectifs ESG est probablement l’élément clé pour prospérer durablement. « Il est évidemment essentiel d’imaginer la bonne stratégie, mais il arrive un moment où il faut la mettre en oeuvre. De nombreux Senior Business Leaders ont des difficultés à cet égard. Aujourd’hui, il est essentiel d’intégrer la durabilité au coeur de l’organisation. Une condition sine qua non pour que les ESG contribuent à la création de valeur à long terme, » déclare-t-il.
Selon Daniel Pairon, une stratégie de durabilité est un outil important : « Ce document jette le pont entre votre objectif et votre stratégie commerciale. Il fixe les règles du jeu et veille à la parfaite adéquation des deux aspects. Résultat : la durabilité s’inscrit dans les gènes de l’organisation et n’est pas considérée comme une charge. »
« Plus vous rapprochez la durabilité du coeur de votre activité, plus vous avez d’impact. » Chez UCB, la mise en oeuvre de la durabilité conduit à se concentrer sur l’essentiel.
« Depuis quand la durabilité est-elle cruciale pour UCB ? Depuis le premier jour. L’entreprise est née en 1928 avec un double objectif : lier le succès financier à l’impact pour la Belgique. » Véronique Toully, Global Head of Sustainability auprès du laboratoire pharmaceutique, ne laisse planer aucun doute à cet égard.
À partir des années 2010, UCB a placé les patients souffrant de maladies sévères au coeur de sa stratégie avant d’envisager en 2019 son impact sociétal de manière plus holistique. Cet exercice a débouché sur un plan articulé autour de trois piliers fondamentaux : l’innovation pour la santé et l’accès aux médicaments, une équipe saine et inclusive de collaborateurs et une réduction de l’impact environnemental. « Mais n’appelez pas cela une stratégie de développement durable », nuance Véronique Toully. « Voyez-y plutôt une stratégie UCB, dans laquelle nous avons intégré la durabilité. »
Complexité nécessaire
La mise en oeuvre du plan bat actuellement son plein. « Le plus grand défi est de changer l’état d’esprit des collaborateurs », affirme Véronique Toully. « Comme tout grand groupe international, nous sommes habitués à considérer la performance de manière financière et donc à mettre en avant la primauté des actionnaires, chère à Milton Friedman. Nous y ajoutons désormais une complexité supplémentaire, mais nécessaire ». « Outre le fait de motiver l’équipe, il est maintenant question de définir des indicateurs clés de performance sociétale et de mesurer les progrès », ajoute Anne-Laure Demarcy, Environmental Sustainability Program Manager. UCB a d’ailleurs lié une partie de la rémunération variable des cadres supérieurs à ce dernier point.
Selon la Global Head of Sustainability, un seul élément régit le succès de leurs efforts : « Nous avons commencé par une approche globale de la durabilité avant de l’ancrer dans chacun de nos médicaments. Aujourd’hui, nous sommes vraiment au coeur de notre métier. Plus on s’en rapproche, plus le business et la durabilité vont de pair. »
Passez vos fournisseurs au crible
Deux éléments sont essentiels à une bonne intégration. Les KPI, tout d’abord. Quels indicateurs de performance utilisez-vous pour évaluer la réalisation de vos objectifs ? Vous utiliserez évidemment beaucoup ces indicateurs lorsqu’il s’agira de votre activité principale. Comment rendre la production durable ? Qu’en est-il de l’approvisionnement et de la chaîne d’approvisionnement ?
« Ces questions ont un impact considérable dans de nombreux secteurs », déclare Jos Joos, Head of Procurement & Supply Chain chez KPMG. « Vous êtes, en effet, au niveau de votre produit. Comment assurez-vous la circularité des produits ? Comment utilisez-vous les matériaux recyclés ? Et comment mesurez-vous vos progrès ? » Une bonne analyse des fournisseurs est essentielle à cet égard. « Si vous devez les passer au crible dès le début de la collaboration, vous avez également tout intérêt à les évaluer régulièrement. Les exigences et les possibilités durables évoluent rapidement. »
La flotte de véhicules représente parfois 90 % des émissions de CO2
Les KPI ne concernent toutefois pas seulement le coeur de votre activité. Vos services support jouent aussi un rôle. Vous pouvez, dans certains cas, en mesurer l’avancée. Pensez au nombre de voyages en avion que font vos collaborateurs. Ou au nombre de formations qu’ils suivent. La mobilité des travailleurs est probablement le paramètre le plus important.
« Dans certaines entreprises, la flotte automobile représente plus de 90 % des émissions de CO2 », indique Olivier Vanneste, Partner People Services chez KPMG. « Le passage aux voitures électriques permet de diminuer considérablement l’empreinte écologique. Mais cette transition comporte de nombreux aspects : faut-il installer des bornes de recharge dans les locaux de l’entreprise ou au domicile des travailleurs ? Une autre option consiste à choisir un budget de mobilité et à encourager la mobilité alternative. Le leasing de vélos, par exemple, est en plein essor. »
Le volet humain est le deuxième élément clé d’une intégration réussie. L’engagement de vos travailleurs est la clé de voûte de l’édifice. Ce sont eux qui vont concrétiser votre stratégie. En ce sens, certaines entreprises choisissent de faire dépendre en partie la rémunération variable des collaborateurs (ou au moins des cadres supérieurs) de la réalisation des objectifs de durabilité. Cette approche souligne le rôle important du département RH.
La durabilité va de pair avec la fiscalité
La durabilité impacte également le département financier, en matière de fiscalité surtout. « L’électricité solaire et éolienne produite pour sa propre consommation est, sous certaines conditions, soumise à une exonération des droits d’accise », explique Kris Eeckhout, Executive Director Indirect Tax chez KPMG. « Mais il y a aussi plusieurs avantages, en phase de développement ou d’investissement, sur le plan de l’impôt des sociétés. Vous bénéficiez notamment d’une exonération du précompte professionnel, d’une déduction supplémentaire pour investissement ou de la déduction pour revenus d’innovation », ajoute Andres Delanoy, Partner Corporate Tax chez KPMG. « Les revenus tirés des logiciels innovants, par exemple, ne sont que partiellement imposés. » Dans la mesure où les incitants s’accompagnent souvent de formalités, il est capital d’avoir une bonne connaissance des possibilités et d’en faire la demande dans les temps.
La durabilité pour obtenir du financement
Qui plus est, l’aspect financier joue aussi un rôle pour les entrepreneurs qui ont besoin d’un financement. « La transition vers une économie durable requiert des centaines de milliards d’euros par an », déclare Walter Jacob, Senior Counsel chez KPMG Law. « L’Europe est consciente que le secteur public ne peut pas assumer cette tâche seul et se tourne également vers les investisseurs institutionnels et privés. Tout est fait pour orienter les fonds vers des investissements durables. » En d’autres mots, les institutions financières sont encouragées à se concentrer principalement sur les investissements durables. Quant aux entreprises, elles ont tout à gagner à rendre leurs activités plus durables. Vos performances en matière de durabilité deviennent ainsi décisives pour votre financement. Walter Jacob : « On s’attend à ce que toutes les entreprises, même les PME, redoublent d’efforts en termes de durabilité afin de bénéficier facilement de financements à long terme. »
L’aspect financier a-t-il de l’importance dans le cadre d’une approche durable ? S’il vous reste des doutes, penchez-vous sur le cas d’EcoWerf. Cet acteur public a décidé de constituer EcoWerf Energie nv pour ériger une installation de méthanisation. Cette démarche a facilité le financement par les banques.
L’intercommunale de gestion des déchets EcoWerf (active dans l’est du Brabant flamand) applique depuis longtemps déjà une gestion durable des déchets. « Nous voulons boucler les circuits et en exclure les déchets les plus polluants », explique Jonathan De Witte, directeur général. « Pour ce faire, nous misons sur la prévention, la collecte sélective et le recyclage. Notre but est de réduire au strict minimum la part résiduelle. »
Un financement facilité
Ce dernier point a donné une idée à EcoWerf : la méthanisation des déchets biodégradables et la transformation du biogaz en électricité et en chaleur. « Un quart servira à combler nos propres besoins », précise Jonathan De Witte. « Le reste sera injecté sur le réseau.
Un sérieux coup de pouce pour la transition énergétique ! » En ce qui concerne le financement, EcoWerf a opté pour la création d’une nouvelle société. « EcoWerf a, en effet, fait le choix de limiter les capitaux propres. La société anonyme nous permet d’organiser le financement via les banques. Les administrations locales se portent garantes. Elles sont propriétaires à 100 % de la société anonyme. Ce système laisse, en outre, la porte ouverte aux partenaires privés. Nous pourrions, par exemple, permettre l’entrée d’un producteur d’énergie au capital. »
Le choix d’une société a nécessité de prêter attention aux paramètres fiscaux lors de l’élaboration du plan financier, car le contexte fiscal est différent de celui au sein duquel évolue une intercommunale.
Traiter les ensembles de données ESG
L’IT est un dernier service support essentiel à l’intégration et au suivi de la durabilité. La numérisation est, en effet, indispensable au suivi des bons KPI, à la compréhension des actions potentielles, au soutien des processus… Le traitement des données mérite une attention particulière.
« Tout n’est pas une question d’IT », tempère Nicolas Dubois, Director chez KPMG Lighthouse. « Le business joue également un rôle important. Toute l’organisation doit traiter des ensembles de données qu’elle ne considérait autrefois pas comme cruciales. La complexité réside dans la saisie et l’intégration des données », insiste Jan Verdickt, Senior Manager chez KPMG Lighthouse. « Les émissions de CO2, les voyages en avion… On se retrouve vite avec des données un peu plus exotiques qu’il est difficile de retrouver au sein de l’organisation. Vous devez prendre le temps de vous y attarder. Les données sont extrêmement importantes pour le reporting et la certification, qui sont les prochaines étapes du parcours de durabilité. »