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Dans le prolongement de l’arrêt Högkullen du 3 juillet 2025 (V. TVA et service intragroupe : la CJUE précise les règles), la décision que vient de rendre la CJUE dans l’affaire Arcomet apporte de nouveaux enseignements sur les problématiques liées à la notion de prix de transfert en matière de TVA.

CONTEXTE

Dans cette affaire, la filiale roumaine d’un groupe spécialisé dans la location de grues bénéficiait du soutien commercial de la société mère belge qui négociait des conditions contractuelles avec les fournisseurs pour le compte des filiales. Un contrat conclu entre les deux entités définissait les prestations réciproques et détaillait en particulier les prestations de nature commerciale rendues par la société mère belge à sa filiale roumaine. Le contrat garantissait à la société roumaine une marge d’exploitation comprise entre - 0,71 % et 2,74 % avec, en cas d’écart de cette fourchette, un mécanisme de régularisation par facturation annuelle fondé sur la méthode transactionnelle de la marge nette prévue par les principes de l’OCDE (méthode dite « MTMN » ou « TNMM » en anglais). Cette méthode consiste à déterminer, à partir de données appropriées (charges, chiffre d’affaires, valeur des actifs…), la marge bénéficiaire nette que réalise une entreprise dans le cadre de transactions intragroupe, que l’administration peut comparer à celle qu’une entreprise indépendante réaliserait pour des transactions comparables.

Au titre des trois années en litige, la filiale a enregistré une marge d’exploitation excédant la fourchette et la société mère a émis trois factures, hors TVA. La filiale a déclaré les deux premières factures au titre d’acquisitions intracommunautaires de services pour lesquels elle a autoliquidé la TVA mais elle a considéré que la troisième facture avait été émise dans le cadre d’opérations ne relevant pas du champ d’application de la TVA.

L’administration roumaine a refusé la déduction de la TVA des deux premières factures au motif que la société n’avait pas justifié la réalité des prestations de services facturées et leur nécessité pour les besoins de ses opérations imposables. Ainsi, le juge européen avait à trancher le sort de la TVA grevant des factures de régularisation de fin d’année pour atteindre la marge fixée dans la politique de prix de transfert.

Les années en litige concernaient des ajustements positifs en faveur de la société mère à raison de la part de marge de la filiale excédant 2,74 %, ce flux mettant en œuvre le mode de rémunération des services mentionnés dans le contrat.

RÉPONSE DE LA CJUE ET PORTÉE DE L’ARRÊT

Suivant l’avocat général, la Cour juge que la rémunération de services intragroupe, fournis par une société mère à sa filiale et détaillés contractuellement, qui est calculée conformément à une méthode recommandée par les principes applicables en matière de prix de transfert adoptés par l’OCDE et correspond à la partie de la marge d’exploitation supérieure à 2,74 % réalisée par la filiale, constitue la contrepartie d’une prestation de services effectuée à titre onéreux soumise à la TVA. En dépit du caractère conditionnel de ce mécanisme, la Cour considère ainsi que la rémunération payée à la société mère n'était ni gracieuse, ni aléatoire, ni difficilement quantifiable ou incertaine, dès lors que les modalités de celle-ci étaient fixées par avance au contrat. Un lien direct et immédiat est donc bien caractérisé entre le service rendu et la rémunération perçue.

Par ailleurs, l’hypothèse dans laquelle une rémunération serait due par la société mère à la filiale (en cas de marge d’exploitation inférieure à - 0,71 %) n’est, selon la Cour, pas de nature à rompre ce lien direct dès lors que le contexte factuel de l’affaire porte sur l’hypothèse inverse. Ce point reste donc sans réponse à ce stade, le Cour ne se prononçant pas sur l’hypothèse de régularisations négatives.

S’agissant du droit à déduction, la Cour juge que l’administration fiscale peut exiger la présentation d’autres documents que la facture pour prouver l’existence des services et leur utilisation pour les besoins des opérations taxées, pour autant que la production de ces preuves soit nécessaire et proportionnée à ces fins.

Cette décision valide l’existence d’une rémunération soumise à TVA même dans l’hypothèse où la marge serait nulle voire négative sur certaines périodes. Mais sa portée reste limitée dans la mesure où elle se contente de mettre œuvre les principes bien connus du « lien direct et immédiat ».

C’est surtout la décision à venir dans l’affaire Stellantis Portugal (C-603/24), pleinement centrée sur les ajustements de prix de transfert en tant que tels, qui devrait apporter les éclaircissements attendus avec impatience par les professionnels.

Les aspects TVA sont souvent négligés lors de l’élaboration des politiques de prix de transfert. Il est cependant essentiel d’anticiper ces questions, de vérifier les accords intragroupe pour identifier les implications TVA, et de s’assurer que la facturation respecte bien les obligations, notamment dans les projets de facturation électronique où les transactions intragroupe sont fréquemment sous-estimées.