L’affaire Högkullen s’inscrit dans le cadre des problématiques liées à la notion de prix en matière de TVA, en posant les questions de la détermination de la valeur normale dans les relations intragroupe et de l'articulation entre tarification interne et base d’imposition. 

CONTEXTE

Dans cette affaire, la société suédoise Högkullen AB, société mère d’un groupe de gestion immobilière, fournissait à ses filiales diverses prestations internes soumises à la TVA (services de gestion d’entreprise, services financiers, gestion immobilière, etc.), dont les prix avaient été déterminés selon la méthode dite « du prix de revient majoré », intégrant les coûts d’acquisition et d’exécution des prestations, assortis d’une marge bénéficiaire.

La Suède a transposé l’article 80 de la directive TVA, qui impose la détermination d’une « valeur normale » pour les transactions intragroupe dans certaines situations. Notons d’emblée que la France n’a pas fait usage de cette faculté mais que cette affaire permet à la CJUE d’éclairer la notion de prix et de valeur normale s’agissant des services de management facturés dans les groupes.

Pour déterminer la rémunération des prestations fournies à ses filiales, la société appliquait aux services une clé de répartition consistant à affecter un pourcentage de certains frais généraux (notamment les coûts liés à la direction, aux locaux, à la téléphonie, etc.), tout en excluant certaines dépenses considérées comme relevant de sa fonction d’actionnaire (e. g. frais d’établissement des comptes annuels, de commissariat aux comptes).

En 2016, bien que seule la moitié des coûts supportés ait ouvert droit à déduction de TVA, la société a exercé une déduction intégrale de la TVA facturée en amont, y compris sur les dépenses exclues du calcul de la contrepartie.

Estimant que le montant facturé aux filiales était nettement inférieur à la valeur normale des services rendus, et qu’aucun service comparable ne pouvait être identifié sur le marché, l’administration fiscale suédoise a reconstitué la base d’imposition en retenant l’intégralité des coûts engagés par la société comme assiette taxable.

QUESTIONS PRÉJUDICIELLES

Ce raisonnement a conduit la juridiction suprême administrative suédoise, saisie du litige, à interroger la CJUE sur la conformité d’une telle approche avec les articles 72 et 80 de la directive TVA, en posant deux questions préjudicielles :

  • Ces dispositions s’opposent-elles à ce que les services fournis par une société mère à ses filiales dans le cadre de la gestion active de celles-ci soient, dans tous les cas, considérés par l’administration fiscale comme constituant une prestation unique excluant que leur valeur normale puisse être déterminée au moyen de la méthode de comparaison ?
  • La seconde question, qui n’a pas été examinée par la Cour, portait sur la possibilité d’inclure l’ensemble des coûts, y compris de mobilisation de capitaux et d’actionnaire, dans la valeur normale des services aux filiales, lorsque la société mère exerce uniquement une activité de gestion et a déduit toute la TVA en amont.

RÉPONSE DE LA COUR ET PORTÉE DE L'ARRÊT

La CJUE refuse une présomption automatique de prestation unique excluant que la valeur normale de ces services puisse être déterminée selon la méthode de comparaison prévue à l’article 72 de la directive.

La Cour rappelle d’abord que :

  • selon l’article 73 de la directive TVA, la base d’imposition est constituée par la contrepartie réellement obtenue. Le recours à la valeur normale, prévu à l’article 80, ne peut intervenir que dans des circonstances spécifiques visant à prévenir la fraude ou l’évasion fiscales, notamment lorsque les opérations sont réalisées entre entités liées et que le preneur ne peut pas déduire entièrement la TVA.
  • la notion de valeur normale est définie à l’article 72 comme le prix que paierait un tiers indépendant dans des conditions de pleine concurrence. Ce n’est que lorsqu’aucune prestation comparable ne peut être identifiée que l’on peut recourir à la méthode subsidiaire fondée sur les coûts.

Si l’administration suédoise considérait que les prestations de gestion intragroupe formaient, par nature, une prestation unique et cohérente insusceptible de comparaison avec des opérations réalisées entre entités indépendantes, justifiant ainsi un recours automatique à une valorisation fondée sur les coûts, la Cour rejette fermement cette approche, au nom de l’exigence d’une appréciation concrète et individualisée des prestations.

Suivant l’analyse de l’avocate générale, la Cour relève que les services fournis par Högkullen sont économiquement distincts et identifiables. Ainsi, des services fournis par une société mère à ses filiales dans le cadre de la gestion active de celles-ci ne sauraient être systématiquement qualifiés de prestation unique excluant toute comparaison.

Ayant écarté ce postulat, la Cour juge inutile de répondre à la seconde question.

En synthèse, pour l’appréciation de la normalité des prix des transactions intragroupe au sens de l’article 80 de la directive, la Cour retient que chaque prestation doit être analysée distinctement et que les management fees ne constituent pas, en masse, une prestation unique.

Reste à la Cour à régler à l’avenir le sort de la déduction de la TVA sur les dépenses grevant les frais d’actionnaire, si chaque coût d’amont doit être affecté précisément à l’une des prestations de management en aval.

NOTION DE PRIX ET LIEN AVEC LES AJUSTEMENTS DE PRIX DE TRANSFERT

Bien que l’affaire Högkullen ne concerne pas directement un ajustement de prix de transfert, la solution dégagée par la Cour est utile à l’analyse de cette problématique, dès lors qu’elle encadre strictement le recours à la valeur normale dans les relations intragroupe. Elle illustre également l’intérêt porté par les administrations à la notion de prix en matière de TVA.

Cette décision renforce selon nous l’idée qu’un ajustement de prix de transfert ne saurait justifier, par principe, une rectification de la base d’imposition sur le seul fondement d’un écart avec la valeur normale. Il doit, au contraire, être analysé au regard de la réalité économique de chaque prestation et de l’existence d’une véritable contrepartie, sans présumer d’un désalignement systématique entre le prix convenu et la valeur de marché.

Cette approche rejoint la position exprimée par le VAT Expert Group, qui recommande d’examiner au cas par cas, pour chaque ajustement, s’il existe un lien direct avec une prestation individualisée identifiable, en tenant compte du principe de neutralité, du lien juridique et de l'existence d’une contrepartie.

Toutefois, cette exigence d’analyse individualisée augmente les contraintes opérationnelles des groupes multinationaux, en complexifiant considérablement les obligations déclaratives et les contrôles internes, notamment dans les structures impliquant de nombreux flux intragroupe.

L’affaire Arcomet Towercranes (C-726/23), qui concerne la répartition des profits au sein d’un groupe, devrait permettre d’apporter une première réponse à une problématique encore juridiquement incertaine, dans l’attente d’une décision pleinement centrée sur les ajustements de prix de transfert à l’occasion de l’affaire Stellantis Portugal (C-603/24), également pendante devant la Cour.



AUTEURS

EXPERTISE CONCERNÉE