La Cour de justice juge incompatible avec la liberté d’établissement l’ancien mécanisme de neutralisation de la quote-part de frais et charges de 5 % afférente aux dividendes intra-groupe fiscal intégré, dont l’application était refusée aux dividendes de filiales européennes perçus par une société mère ayant choisi de ne pas former un tel groupe avec ses filiales françaises. La solution devrait également impacter le régime en vigueur.

Pour les exercices ouverts avant le 1er janvier 2016, était neutralisée, pour la détermination du résultat d'ensemble d'un groupe d'intégration fiscale, la quote-part de frais et charges de 5 % réintégrée dans les résultats individuels des sociétés du groupe en vertu du régime mère-fille, à raison des produits de participation perçus d'une société membre du groupe (CGI, art. 223 B, al. 2 ancien). Cette neutralisation de la quote-part de frais et charges des dividendes intra-groupe ne pouvait donc bénéficier aux produits de participations perçus de filiales non-résidentes par définition non « intégrables ».

Par un arrêt Steria de 2015, la CJUE a jugé ce mécanisme de neutralisation incompatible avec la liberté d'établissement dès lors qu'il ne s'appliquait pas aux produits de participation reçus de filiales établies dans d'autres États membres de l'UE qui, si elles avaient été résidentes, auraient été objectivement éligibles, sur option, au régime de l'intégration fiscale (CJUE, 2 septembre 2015, aff. C-386/14, Groupe Steria SCA). Une société mère intégrante devait bénéficier de ce mécanisme d’exonération totale, à raison des dividendes qui lui étaient distribués par ses filiales établies dans un autre État membre, sous réserve que celles-ci aient été objectivement éligibles au régime d'intégration fiscale, sur option, si elles avaient été résidentes.

A noter, afin de mettre en conformité ce mécanisme avec la jurisprudence de la CJUE, le législateur a supprimé la neutralisation dans l’intégration fiscale de la réintégration de la quote-part de frais et charge. Il l’a remplacé par l’application d’un taux réduit de 1 % aux produits de participation versés, au cours des exercices ouverts depuis le 1er janvier 2016, entre sociétés du même groupe fiscal ainsi que celles réparties par des filiales européennes de sociétés membres d’un groupe d’intégration fiscale (LFR 2015, art. 40 ; CGI, art. 216). Puis, une seconde modification législative a permis pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2019, l’application du taux de 1 % aux dividendes versés à une société non membre d'un groupe fiscal par une filiale soumise à un impôt équivalent à l'IS dans un Etat membre de l’UE ou partie à l’EEE conventionné, sous réserve que ces deux sociétés eussent satisfait les conditions pour appartenir à un groupe fiscalement intégré si la société établie à l'étranger avait été établie en France. Toutefois, dans cette hypothèse, ce taux réduit ne s'applique pas si la non-appartenance de la société française à un groupe fiscal est uniquement due au choix fait de ne pas formuler les options et les accords à formuler pour le régime de l'intégration fiscale (CGI, art. 216, I, 3°).

Restait toutefois en suspens la question de savoir s’il était possible de refuser à une société mère le bénéfice d'une telle neutralisation pour les dividendes reçus de ses filiales européennes au motif pris qu'elle a choisi de ne pas former de groupe intégré avec ses filiales françaises, alors que cette possibilité lui était ouverte ?

Saisie par le Conseil d’Etat d’une question préjudicielle, la Cour de justice vient de répondre par la négative et sanctionne à nouveau le mécanisme français :

  • Existence d'une restriction à la liberté d'établissement pour les sociétés mères détenant une filiale dans un autre Etat membre, sans faire partie d’un groupe fiscal intégré

La Cour relève à ce titre que « tandis qu’une société mère résidente détenant des filiales situées en France a toujours la possibilité de bénéficier [du mécanisme de neutralisation] en [optant pour le régime d’intégration fiscale] dans un périmètre librement choisi par celle-ci, une société mère résidente détenant des filiales situées dans d’autres États membres n’a pas la possibilité d’en bénéficier, excepté si elle faisait préalablement partie d’un groupe fiscal intégré en France avec des sociétés résidentes (§34) ».

  • S’agissant d’une exonération fiscale des dividendes perçus, la situation des sociétés appartenant à un groupe fiscal intégré est objectivement comparable à celle des sociétés n’appartenant pas à un tel groupe

Il est intéressant de relever que pour juger cette différence de traitement comme concernant des situations objectivement comparables, la Cour a notamment considéré que la situation des sociétés membres d’un groupe fiscal intégré était comparable à celle des sociétés n’en faisant pas partie « à l’égard d’une réglementation prévoyant non pas l’intégration fiscale mais l’exonération fiscale totale des dividendes perçus, par l’effet de l’avantage fiscal en cause (§43) ». La question relève de la jurisprudence relative au régime mère-fille et non pas celle des régimes de groupe.

  • La différence de traitement en cause n’était pas justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général

QUELLE PORTÉE DONNER À CET ARRÊT ?

Le Conseil d’Etat devrait prochainement tirer les conséquences de cette décision et étendre la neutralisation de la quote-part de frais et charges afférente aux dividendes perçus pré-2016 de ses filiales européennes par une société mère qui a choisi de ne pas être membre d’un groupe fiscal intégré. Les contentieux en cours devraient ainsi être réglés.

Au-delà, des conséquences sur le régime actuel du taux réduit de quote-part de frais et charges afférentes aux dividendes intra-groupe sont à attendre. Il convient ainsi aux entreprises concernées d'examiner l'opportunité de sauvegarder dès à présent leurs droits et de déposer des réclamations à raison des années non-prescrites (cas des sociétés mères intégrables non intégrées, pour leurs dividendes reçus de filiales européennes, cas de discrimination à rebours).

Nos experts de KPMG Avocats ont listé dans un article publié à la RDF les différents cas de figure sur lesquels la décision de la CJUE pourrait avoir un impact.



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