Mes amis Jason et Nadia forment un couple charmant. Ils possèdent une maison et une hypothèque, ainsi qu’une voiture et des placements.Leurs deux filles sont âgées de cinq ans et de trois mois. Bref, ils forment une famille comme bien d’autres au Québec. Lors d’un après-midi d’automne, Jonah, mon fils de cinq ans, se divertissait en faisant une activité qu’il affectionne tout particulièrement : me déranger si profondément que mon âme s’évanouit dans le monde des ténèbres et qu’un questionnement métaphysique se soulève en moi, à savoir si je suis réellement fait pour avoir des enfants.(Je soupçonne que parmi vous, lecteurs et lectrices, il y a des parents d’enfants de ce groupe d’âge qui peuvent me comprendre.) J’ai décidé de traiter ce comportement en emmenant mon garçon au parc afin qu’il puisse se dégourdir, comme le dit si bien ma belle-mère.
J’ai invité Jason, dont la fille aînée Lyla est une amie de Jonah, à se joindre à nous. Pendant que les enfants s’amusaient, Jason et moi parlions de trucs de papas. Par cela, j’entends que nous comparions nos polices d’assurance automobile, nous nous plaignions de la fragilité du plâtre de nos maisons, et nous pesions le pour et le contre de l’achat d’une laveuse à chargement frontal. (Elles sont certainement plus économes en énergie et en eau, mais bon sang que les cycles de lavage sont lents!) À un certain point, nous avons commencé à parler de testaments… que Jason et Nadia n’ont pas. Qui a besoin de cette dépense? Quand un membre du couple mourra, l’autre prendra tous ses biens et continuera à vivre sa vie. Pas de testament, pas de problème. C’est la solution simple, n’est-ce pas? Un instant…Je viens tout juste de recevoir une notification du centre de contrôle, et oh, voyez-vous cela… En fait, c’est tout le contraire!
En tant que professionnel avec une certaine expérience en planification successorale, il m’arrive parfois d’oublier que les gens ignorent complètement certaines choses que je tiens pour acquises. Croyez-moi quand je vous dis que lorsque Jason m’a annoncé ne pas avoir de testament, et de ne pas prévoir d’en faire rédiger un non plus, j’étais horrifié. Atterré! (En désarroi?) Il m’a fallu toute l’autodiscipline que je pouvais rassembler pour m’empêcher d’agripper mon ami par les épaules et de lui lancer avec ferveur tous les risques que cela représente pour lui et sa famille. Après avoir pris une ou deux minutes pour me ressaisir, j’ai compris que ce qui peut être évident pour moi, qui travaille dans ce domaine du droit, ne l’est pas pour tout le monde. C’est ainsi qu’ont commencé mes efforts calmes et prudents visant à expliquer à Jason et Nadia pourquoi ils doivent se procurer un testament, et à les convaincre de passer à l’action.
Ceci est un excellent point de départ. (Je ne suis certainement pas en train de vous dire que le soi-disant « début » de ce texte se trouve en fait au troisième paragraphe.) Pourquoi a-t-on besoin d’un testament? La réponse, en termes simples, est que NOUS ALLONS TOUS MOURIR! Alarmiste? Un peu! Faux? À moins que quelqu’un ait découvert la fontaine de Jouvence, je ne crois pas.Éventuellement, chacun et chacune d’entre nous quitteront notre enveloppe mortelle, et ce que nous laisserons derrière devra être géré.Il s’agit d’un élément important à comprendre. Mis à part une exception importante (j’en dirai plus à ce sujet dans un prochain billet), un testament traite des choses d’une personne. Ses biens, ses objets, son argent. C’est vraiment ce sur quoi il repose, en fait. Par l’entremise de son testament, la personne décédée peut dicter à ceux et celles qui restent parmi les vivants ce qui arrivera à tous ses actifs dans le monde des mortels.
Bon, je peux presque entendre les questions se former dans votre cortex préfrontal. Que va-t-il se passer si je n’ai pas de testament, Zach? Honnêtement, c’est une bonne question. Que vous ayez un testament ou non, vos biens devront être traités. Heureusement, le Code civil du Québec est là pour répondre à nos questions à ce sujet, et de manière assez exhaustive, qui plus est. Un chapitre entier du Code est dédié à l’« ordre de dévolution » relatif à une personne décédée ab intestat (expression latine signifiant « sans testament », parce qu’apparemment nous parlons encore en latin parfois). Pour paraphraser ce chapitre, vos biens reviendront aux membres de votre famille, mais peut-être pas de la manière dont vous l’imaginiez.
Revenons à Jason et Nadia. Ils forment un couple marié avec deux enfants. Si l’un d’entre eux devait tragiquement perdre la vie, lors d’une bataille de ballons d’eau qui tourne au vinaigre, par exemple, le conjoint survivant hériterait de tous ses biens. Pas vrai? En fait, c’est faux!Ce conjoint ne recevrait qu’un tiers des biens,et les deux tiers restants seraient divisés entre les enfants, qui sont – et je ne peux pas assez insister sur ce point – littéralement des bébés. Imaginez : le conjoint survivant deviendrait copropriétaire de sa maison avec ses tout-petits. On pourrait même dire que les enfants seraient les propriétaires du conjoint, puisqu’ils posséderaient une plus grande part de ce bien immobilier! En outre, ces enfants sont mineurs, et la loi du Québec est stricte en ce qui concerne ce que le tuteur légal (en d’autres termes, le parent survivant) peut faire de leurs biens.
Tout cela est très restrictif.
Nadia, la conjointe survivante, souhaite vendre la maison? Elle devra se procurer une ordonnance du tribunal lui permettant de procéder à la vente, mais il n’est pas garanti qu’elle pourra en obtenir une. (Et souvenez-vous : une fois la maison vendue, les deux tiers des revenus iront aux enfants!) Imaginez donc Nadia, qui passe ainsi d’une famille à deux revenus à un parent célibataire qui a perdu l’accès aux deux tiers des biens de la famille. De plus, je n’ai même pas encore mentionné les complications logistiques liées à la sélection d’un liquidateur (la personne qui administre la succession) lorsqu’il n’y a pas de testament. Habituellement, lorsqu’il n’y a pas de testament, ce sont les héritiers qui choisissent le liquidateur. Toutefois, lorsque deux héritiers sur trois sont mineurs, il arrive souvent que le tuteur légal ait besoin d’une ordonnance du tribunal pour sélectionner un liquidateur en leur nom. Cela pourrait retarder la liquidation de la succession de plusieurs semaines, et pendant ce temps, tous les actifs de Jason seraient inaccessibles pour Nadia, qui, je le répète, a deux enfants à sa charge. Il ne serait pas exagéré de dire que cette situation représente un cauchemar. Un cauchemar terriblement irréversible et manifestement évitable découlant de la décision de Jason de ne pas faire de testament.
Alors maintenant que j’ai expliqué pourquoi vous avez vraiment besoin d’un testament et que – je l’espère! – j’ai réussi à vous convaincre, une question se forme peut-être sur vos lèvres : « Zach, que dois-je faire maintenant? » C’est une excellente question, et j’y répondrai avec plaisir! Malheureusement, mon éditeur m’a fait part du concept de « limite de mots ». Vous devrez donc attendre la deuxième partie de ce billet pour obtenir la réponse. Pour ma part, j’ai très hâte! D’ici là, je travaillerai sur une évaluation de l’impact environnemental des laveuses à chargement frontal.
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