La France franchit une nouvelle étape dans la lutte contre le greenwashing. La DGCCRF intensifie depuis ces dernières années ses contrôles sur les allégations environnementales trompeuses : plus de 3 000 inspections ont été menées en 2023-2024, 15 % des entreprises contrôlées ont été sanctionnées et une amende record de 40 M€ a été infligée à Shein. Le phénomène s’est d’abord illustré à l’étranger, notamment dans le secteur aérien : en Allemagne, le tribunal de Cologne a interdit à Lufthansa Group certaines communications fondées sur la neutralité carbone ; aux Pays-Bas, la compagnie KLM a été condamnée pour des messages jugés trompeurs sur ses engagements climatiques1.
Jusqu’à présent, l’encadrement de l’information environnementale se concentrait principalement sur ce qu’il faut dire : transparence sur les impacts, encadrement des allégations de neutralité carbone, affichage environnemental, sur la base notamment du droit de l’environnement et du droit de la durabilité en devenir. Depuis la loi Climat et Résilience de 2021, une dimension complémentaire s’est ajoutée : le contrôle de ce qu’il ne faut pas dire2. En intégrant notamment l’environnement au dispositif des pratiques commerciales trompeuses, le législateur a ouvert la voie à une appréhension de la communication environnementale sous l’angle du droit de la consommation. C’est dans ce contexte que s’inscrit le jugement rendu le 23 octobre 2025 par le tribunal judiciaire de Paris, première décision d’ampleur en France fondée sur ce volet « environnemental » du droit des pratiques commerciales trompeuses, cette fois dans le secteur de l’énergie.
LE CONTEXTE DE L’AFFAIRE
Trois associations de protection de l’environnement reprochaient à un acteur majeur du secteur pétrolier plusieurs communications mettant en avant sa « neutralité carbone en 2050 » et son positionnement comme acteur clé de la transition énergétique. Selon elles, ces messages à l’attention du consommateur étaient des allégations trompeuses donnant une image exagérément positive de la trajectoire climatique du groupe. Ces communications seraient constitutives de pratiques commerciales trompeuses interdites au titre du greenwashing.
Le tribunal ne se prononce pas sur la stratégie climatique de l’entreprise elle-même, mais sur la manière dont celle-ci est présentée au public. La décision ne sanctionne donc pas l’ambition, mais le discours.
À titre subsidiaire, les associations invoquaient la responsabilité pour préjudice écologique et la responsabilité civile délictuelle, estimant que certaines allégations portaient atteinte à l’atmosphère. Le tribunal rejette ces demandes, considérant que le préjudice écologique invoqué n’est pas caractérisé.
LE CADRE JURIDIQUE ET LA MÉTHODOLOGIE DU TRIBUNAL
S’appuyant sur une analyse méthodique, le tribunal applique les articles L.121-2 et suivants du Code de la consommation relatifs aux pratiques commerciales trompeuses tels que complétés par la loi Climat et Résilience du 22 août 2021, à la lumière de la directive 2005/29 relative aux pratiques commerciales déloyales. Il prend également en considération les objectifs de la directive dite « Empowering Consumer » 2024/825 (qui amende la directive 2005/29 pour appréhender les allégations environnementales), dont l’application est prévue à partir de 2026, en s’appuyant sur le principe de coopération loyale pour interpréter le droit interne de manière conforme aux objectifs européens.
La motivation s’articule autour de deux étapes, appliquées aux principales thématiques en cause (neutralité carbone, gaz fossile, biocarburants).
Qualification de pratique commerciale
La première question posée est celle de la qualification de pratique commerciale. Pour chaque communication en cause, le tribunal vérifie s’il s’agit d’une véritable démarche de promotion destinée à influencer le comportement du consommateur, indépendamment du support utilisé. Il n’en fait pas une interprétation extensive et prend soin de faire la différence avec des communications objectives comportant de simples informations. Autrement dit, tout n’est pas promotion.
Les messages strictement informationnels sans relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d’énergies aux consommateurs - notamment ceux relatifs au changement de dénomination sociale ou à des éléments institutionnels, - ne sont pas qualifiés de pratiques commerciales. En revanche, les messages diffusés sur le site commercial du groupe et manifestement destinés à orienter le choix des consommateurs pour leurs produits ou services relèvent du champ des pratiques commerciales.
Au terme de cette analyse, seules trois communications, relatives à la neutralité carbone, au statut d’« acteur majeur de la transition » et à la trajectoire climatique, sont qualifiées de pratiques commerciales. En revanche, les allégations relatives au gaz fossile et aux agrocarburants ne sont pas retenues comme telles, faute de lien direct avec la promotion d’un produit ou service aux consommateurs.
Appréciation du caractère trompeur
Le tribunal examine ensuite, pour chacune des pratiques retenues, si les allégations sont de nature à induire en erreur le consommateur. Une allégation environnementale doit en effet être exacte, non équivoque et étayée par des éléments vérifiables. L’affichage d’un objectif ne suffit pas : l’entreprise doit en démontrer la crédibilité. Le raisonnement repose notamment sur la véracité des messages, la transparence de l’information, la cohérence entre les allégations et la stratégie réelle de l’entreprise, ainsi que l’impact possible sur le comportement du consommateur moyen qui intègre de plus en plus les qualités environnementales du produit ou du service dans son choix.
Le tribunal commence par qualifier la « neutralité carbone » de « notion scientifique tirée de l’Accord de Paris de 2015 et des rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ». Il relève que c’est à cette notion scientifique planétaire que se réfère le groupe dans ses communications, quand bien même la notion de neutralité carbone peut être utilisée en dehors de ce cadre, à l’échelle de l’entreprise par exemple.
Il fait ensuite état des différents travaux qui indiquent que ce concept suppose une diminution de la consommation mondiale des énergies fossiles. Le groupe a fait valoir qu’il n’y avait pas de trajectoire imposée permettant à une entreprise d'atteindre la neutralité carbone à horizon 2050 et présenté différents scénarios.
Or, pour le tribunal, les communications affirmaient que le groupe vise la neutralité carbone d’ici 2050 et entend devenir un acteur majeur de la transition énergétique sans préciser qu’elles reposaient sur un scénario interne propre à l’entreprise (dont le tribunal souligne qu’il ne lui appartient pas d’évaluer la véracité). Celui-ci consistait notamment à rendre compatible avec son ambition de neutralité carbone, la poursuite de ses investissements dans le pétrole et le gaz, distinct des trajectoires issues des travaux scientifiques alignés sur l’Accord de Paris.
Ce faisant, le tribunal considère que ces messages sont « de nature à induire le consommateur, en lui laissant croire qu’en achetant ses produits ou ses services, il participait à l’émergence d’une économie à faible intensité carbone, en suivant les recommandations de la communauté scientifique, fondées sur l’Accord de Paris ».
Les trois communications retenues sont donc qualifiées de pratiques commerciales trompeuses.
LES SANCTIONS PRONONCÉES
Le tribunal ordonne la cessation de la diffusion de la communication encore en ligne, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard pendant 180 jours à compter de la signification du jugement.
Il enjoint également aux sociétés de publier le dispositif du jugement sous la forme d’un encadré visible en haut de la page d’accueil de leur site, pendant 180 jours, sous la même astreinte.
TotalEnergies et sa filiale sont condamnées à verser à chaque association requérante 8 000 euros au titre du préjudice moral, ainsi qu’une somme globale de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile3.
Notons que les sociétés en cause ont décidé de ne pas faire appel.
UNE DÉCISION À PORTÉE STRUCTURANTE POUR LES ENTREPRISES
Ce jugement illustre l’application du droit de la consommation aux allégations environnementales et fait de la communication environnementale un enjeu juridique majeur. Il ouvre un terrain de responsabilité nouveau pour les entreprises qui communiquent sur leurs engagements environnementaux.
Or, les enseignements sont clairs car le tribunal fait preuve de pédagogie. Toute communication environnementale doit :
- reposer sur des données actuelles, vérifiables et accessibles,
- exposer de manière loyale, lorsque nécessaire, limites, hypothèses et incertitudes,
- être cohérente avec la stratégie et les actes de l’entreprise.
Cette décision s’inscrit dans un mouvement plus large de renforcement du cadre applicable aux allégations environnementales. La directive européenne « Empowering Consumers » (directive 2024/825), qui doit entrer en application en septembre 2026 et à laquelle s’est référé le tribunal, introduira de nouvelles pratiques réputées trompeuses, des pratiques déloyales en toutes circonstances et un encadrement renforcé des labels environnementaux.
La communication environnementale devient ainsi un enjeu de conformité à part entière. Les entreprises doivent intégrer ce contrôle renforcé dans leur gouvernance, leurs processus de validation des messages et leur stratégie RSE.
INDEX
- À la suite d’un signalement coordonné du Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) dénonçant des pratiques de greenwashing dans le secteur aérien en 2023, et d’un dialogue avec la Commission européenne, vingt compagnies européennes se sont engagées en novembre 2025 à modifier leurs pratiques en matière d'allégations environnementales. En particulier, elles se sont engagées à cesser d'affirmer que les émissions de CO₂ d'un vol donné pouvaient être neutralisées, compensées ou directement réduites par des contributions financières des consommateurs à des projets de protection du climat ou à l'utilisation de carburants d'aviation de substitution.
- Dans le code de l’environnement, cela s’est traduit par un encadrement strict des allégations environnementales sur la neutralité carbone.
- Pour rappel, en parallèle, l’article L.132-2 du Code de la consommation prévoit des sanctions pénales pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende en cas de pratiques commerciales trompeuses.