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La crise du Covid-19 a conduit à un développement exponentiel du télétravail comme mode d’organisation du travail et fait émerger de nouvelles problématiques notamment en matière d’égalité de traitement. C’est dans ce contexte que, le 8 octobre dernier, la Cour de cassation a rendu deux arrêts dans lesquels elle considère que l'employeur ne peut refuser l'octroi de titres-restaurant à des salariés au seul motif qu'ils exercent leur activité en télétravail.

LES DÉCISIONS : LE TÉLÉTRAVAIL NE PEUT JUSTIFIER À LUI SEUL LA SUPPRESSION DES TICKETS RESTAURANT

Si les décisions, rendues sur le fondement de L. 1222-9 du code du travail qui prévoit que le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise, font droit aux demandes de tickets-restaurants au bénéfice des télétravailleurs, elles ne sont pas motivées de la même manière.

Dans la première affaire1, un employeur, qui attribuait jusqu’alors des titres-restaurants à ses salariés, avait cessé cette attribution pendant les périodes de confinement consécutives à la pandémie de Covid 19, entre mars 2020 et mars 2022, au motif que les salariés étaient en télétravail.  

Saisi par un salarié d’une demande de rappel de salaire, le conseil de prud’hommes a accueilli cette prétention. La Cour de cassation approuve cette décision au visa de l’article L.1222-9 précité, mais également des articles L.3262-1 et R.3262-7 du code du travail. Ces articles autorisent l’employeur à octroyer des titres restaurants à ses salariés en posant pour seule condition qu’un repas soit compris dans leur horaire journalier.

Au regard de cette seule condition d’attribution, le fait que le salarié accomplisse son horaire de travail dans son entreprise ou à son domicile est indifférent. La Cour conclut donc que l’employeur ne peut refuser l’octroi de tickets-restaurant à des salariés au seul motif qu’ils exercent leur activité en télétravail.

La seconde décision2 concernait un employeur qui participait au financement des frais de repas de ses salariés selon deux modalités distinctes. Les salariés qui travaillaient au siège social avaient accès à un restaurant d’entreprise subventionné et ceux qui travaillaient en dehors de ce siège social bénéficiaient de titres-restaurants. Lors du premier confinement le restaurant d’entreprise a été fermé et la société a suspendu l’attribution de titres-restaurants du 17 mars au 10 mai 2020. Cette suspension a été contestée par des syndicats devant le tribunal judiciaire.

Les juges du fond ont, pour faire droit à l’action des syndicats, relevé que les tickets restaurants étaient jusqu’alors attribués en vertu d’un usage d’entreprise à tous les salariés qui ne pouvaient bénéficier du restaurant d’entreprise sans qu’il soit opéré de distinction selon leur lieu d’accomplissement du travail.

La Cour de cassation approuve cette solution en considérant que « si des mesures peuvent être réservées à certains salariés, c'est à la condition que tous ceux placés dans une situation identique, au regard de l'avantage en cause, aient la possibilité d'en bénéficier, à moins que la différence de traitement soit justifiée par des raisons objectives et pertinentes et que les règles déterminant les conditions d'éligibilité à la mesure soient préalablement définies et contrôlables ».

LEUR PORTÉE : LA NÉCESSITÉ POUR LES ENTREPRISES DE DÉFINIR, DE MANIÈRE OBJECTIVE ET PRÉALABLE, LES CONDITIONS D’OCTROI D’AVANTAGES EN MATIÈRE DE RESTAURATION

La position, qui avait déjà été préconisée par le ministère du travail et les Urssaf durant le Covid, n’est pas surprenante. Dès lors, d’une part, que le principe est celui d’une égalité de traitement entre les télétravailleurs et salariés exerçant dans les locaux de l’entreprise et, d’autre part, que l’employeur est légalement autorisé à attribuer des tickets-restaurant dès que le salarié prend son repas pendant son horaire de travail, la suppression de l’avantage au seul motif du recours au télétravail n’est pas justifiée.

Cependant, les décisions de la Cour de cassation ne confèrent pas pour autant aux télétravailleurs un droit systématique aux avantages en matière de restauration en vigueur dans l’entreprise.

On observera que les deux arrêts concernent des décisions ponctuelles de retrait des titres-restaurants au moment du confinement, dans le cadre d’un télétravail contraint pour les salariés. Elles ne concernent pas des entreprises qui avaient une politique clairement définie en matière d’indemnisation des frais de repas pour leurs salariés et plus particulièrement pour les télétravailleurs.

On observera, par ailleurs, que l’octroi de titres-restaurant à ses salariés est une pure faculté pour l’employeur. De ce fait, il peut donc en définir librement les conditions d’attribution et instaurer des différences de traitement fondées sur des critères objectifs préalablement définis et contrôlables.

A cet égard, le télétravail repose en principe sur le volontariat des salariés qui sont toujours libres d’accepter ou non ce type d’organisation et peuvent, très souvent, toujours décider de revenir travailler dans l’entreprise quand ils le souhaitent. Le télétravailleur choisit également librement son lieu de télétravail et peut ainsi travailler depuis son domicile, et ne subit donc pas les mêmes contraintes qu’un salarié devant travailler dans les locaux de l’entreprise ou à un endroit qui lui a été imposé par son employeur.

Cette différence de situation peut justifier une différence de traitement pour l’octroi d’un avantage dont l’objet est destiné à compenser les contraintes subies en termes de prise de repas.

La Cour de cassation, dans un arrêt du 24 avril 20243, a jugé qu'une indemnité de « cantine fermée » ayant pour objet de compenser la perte du service de restauration d'entreprise offert aux salariés présents sur les sites de l'entreprise, les salariés en télétravail, qui n’étaient pas présents dans l’entreprise et subissaient donc pas cette perte, ne se trouvaient pas dans la même situation que ceux qui, tenus de travailler sur site, ont été privés de ce service.

Une cour d’appel a également pu juger que la décision d’un employeur de ne pas accorder de tickets restaurants à des salariés vivant à moins de 10 minutes de leur lieu de travail et pouvant prendre leur repas à leur domicile reposait bien sur une justification objective et pertinente4.

Il ne paraît donc pas certain qu’une entreprise disposant d’une politique bien définie en termes d’octroi d’avantages en matière de restauration – notamment l’attribution de tickets-restaurants – et justifiant objectivement l’octroi de tels avantages par des contraintes particulières puisse être contrainte de faire bénéficier les télétravailleurs de ces avantages lorsque ces derniers ne subissent pas ces contraintes.

Les décisions du 8 octobre doivent avant tout inciter les entreprises à bien définir à l’avance et à rationaliser leurs pratiques s’agissant de l’octroi d’avantages particuliers et, plus particulièrement, à bien organiser l’ensemble des conditions de recours au télétravail dans un accord collectif ou une charte.


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INDEX

  1. Soc. 8 octobre 2025 n° 24-12.373
  2. Soc. 8 octobre 2025 n° 24-10.566
  3. Cass. Soc. 24 avril 2024 n° 22-18.031
  4. Cour d'appel de Nîmes, Chambre sociale, 27 mars 2012, n° 10/04144

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