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Le droit des sociétés fait lui aussi sa rentrée. Après une période estivale riche de plusieurs nouveautés, l’heure est désormais à la mise en application des règles nouvelles. Au cours des mois de juillet et d’août, ont été publiés pas moins de 8 textes ayant une incidence sur le droit des sociétés et, parmi les différentes décisions rendues par la Cour de cassation, au moins 4 doivent retenir l’attention. Retour sur un été normatif dense.

LES TEXTES

Simplification de la procédure civile

Dans la continuité d’un précédent décret du 3 juillet 2024, le décret n° 2025-619 du 8 juillet 2025 porte de nouvelles mesures de simplification de la procédure civile, conformément aux objectifs fixés lors des Etats généraux de la justice de 2022. L’objectif principal de ce décret est de poursuivre le mouvement de dématérialisation de la procédure et de développer encore davantage la communication électronique. Par ailleurs, le décret apporte une série de mesures de simplification destinées à fluidifier l’accès au juge, à simplifier la notification de certaines décisions et à prendre en compte certaines évolutions jurisprudentielles comme celle relative à la consultation des salariés sur les accords d’entreprise. Enfin, des règles de compétence territoriale sont ajoutées à l’article 145 du Code de procédure civile qui permet d’obtenir des mesures d’instruction avant tout procès civil. Ce texte a pu être présenté comme une alternative à l’expertise de gestion, tout au moins jusqu’à une récente décision de la Cour de cassation qui a certainement remis en cause cette lecture (Cass. com., 11 sept. 2024, n° 22-24.160).

Action de groupe

La loi n° 2025-391 du 30 avril 2025 dite « DDAUE 5 » avait notamment, on s’en souvient, réformé sur des aspects majeurs l’action de groupe en droit français (V. Lettre de la Gouvernance, juillet 2024). L’objet de l’action et la population des titulaires du droit d’agir avaient été, en particulier, étendus et la procédure, simplifiée. Les dispositions nouvelles étaient applicables aux actions introduites depuis le 2 mai 2025. Plusieurs dispositions étaient, toutefois, suspendues à la publication d’un décret. Le décret n° 2025-734 du 30 juillet 2025 apporte, ainsi, les compléments souhaités par le législateur rendant désormais l’action de groupe pleinement opératoire.

Equilibre des sexes au sein des conseils

Dans les sociétés cotées et les sociétés de grande taille (plus de 250 salariés et au moins 50 millions d’euros de chiffre d’affaires ou de bilan), les conseils doivent être composés en recherchant une représentation équilibrée entre les sexes. Le dispositif français datait de 2011 mais une directive européenne du 23 novembre 2022 avait généralisé à l’ensemble des Etats membres des standards harmonisés. Cette directive a été transposée en droit français par une ordonnance n° 2024-934 du 15 octobre 2024 qui avait renforcé sur plusieurs aspects le dispositif français et ajusté certaines règles de calcul  (V. Lettre de la Gouvernance, juillet 2024).

Le décret n° 2025-744 du 30 juillet 2025 était attendu afin d’en permettre l’application. Il entrera en vigueur de façon échelonnée entre le 1er janvier 2026 et le 1er janvier 2027. Parmi les aspects marquants, il prévoit notamment l’inversion de la charge de la preuve en faveur du candidat non sélectionné qui entendrait, dans une société cotée, contester en justice la nomination d’un concurrent du sexe sur-représenté dans le conseil de celle-ci. Ce décret achève ainsi de compléter le dispositif, peu de temps après que la loi n° 2025-391 du 30 avril 2025 dite « DDAUE 5 » a désigné l’AMF comme autorité compétente pour surveiller le respect, par les sociétés cotées, de leurs obligations en matière de parité.

Organismes sans but lucratif

Depuis la loi n° 2024-344 du 15 avril 2024 visant à soutenir l’engagement bénévole et à simplifier la vie associative, les organismes sans but lucratif – dont les critères de qualification sont fixés par le droit fiscal et qui incluent en principe les associations, fondations, fonds de dotation et syndicats professionnels – peuvent consentir (à titre accessoire) des prêts à d’autres organismes sans but lucratif et procéder, avec eux, à des opérations de trésorerie. Les décrets n° 2025-779 et 2025-780 du 7 août 2025 précisent les conditions que doivent remplir ces prêts et opérations de trésorerie. Ils prévoient, notamment, l’application de la procédure de contrôle des conventions réglementées applicable aux personnes morales de droit privé non commerçantes ayant une activité économique ainsi que l’intervention d’un commissaire aux comptes ou, à défaut, d’un expert-comptable. Ils sont entrés en vigueur le 9 août 2025.

Commissaires aux comptes

L’ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées était porteuse d’ajustements majeurs qu’il fallait, pour chacune des professions concernées, rendre applicables par décrets. Après les avocats, les notaires, les commissaires de justice, les greffiers de tribunaux de commerce, les avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, les experts-comptables, les administrateurs et les mandataires judiciaires – d’autres professions étant toujours en attente – les commissaires aux comptes intègrent la liste avec le décret n° 2025-791 du 8 août 2025. Ce dernier prévoit, en particulier, un délai d'un an pour la mise en conformité de l'objet d'une société de participation financière de professions libérales.

Liquidité des titres et Directeur général unique

Pris en application de la loi n° 2024-537 du 13 juin 2024 visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France, le décret n° 2025-818 du 13 août 2025 définit les conditions de liquidité des titres d'une société admise aux négociations sur un marché de croissance des petites et moyennes entreprises et fixe à 250 000 € le seuil de capital en dessous duquel les fonctions dévolues au directoire dans les sociétés anonymes dualistes peuvent être exercées par une seule personne (« directeur général unique »).

Confidentialité du domicile des dirigeants

Enfin, le dernier texte de l’été à signaler en matière de droit des sociétés est le décret n° 2025-840 du 22 août 2025 relatif à la protection des informations relatives au domicile de certaines personnes physiques mentionnées au registre du commerce et des sociétés.

Ce décret permet à tout dirigeant et associé indéfiniment responsable de sociétés (ex. associés de sociétés civiles et de SNC) dont l’adresse du domicile personnel est déclarée au RCS de demander, à tout moment, par l’intermédiaire du guichet unique, l’occultation de cette dernière et, ainsi, de la rendre inaccessible aux tiers. La demande doit être traitée par le greffier dans le délai de 5 jours francs suivant sa réception. Le décret établit, cependant, une liste limitative des entités pouvant avoir accès à l’information occultée parmi lesquelles figurent les notaires, huissiers, administrateurs et mandataires judiciaires, certains organismes de sécurité sociale, les autorités judiciaires, la cellule de renseignement financier nationale, les agents de l'administration des douanes ou encore les agents habilités de l'administration des finances publiques. Le décret est entré en vigueur le 25 août 2025.

LA JURISPRUDENCE

En ce qui concerne la jurisprudence, on retiendra 4 décisions, toutes rendues le 9 juillet 2025 et qui apportent, chacune, d’utiles précisions dont il faudra tirer les enseignements.

Acte extra-statutaire et supériorité des statuts

La première (Cass. com., 9 juill. 2025, n° 24-10.428) rappelle que, dans une SAS, ce sont les statuts qui fixent les conditions dans laquelle celle-ci est dirigée mais qu’une décision des associés peut compléter ces derniers sans, toutefois, pouvoir y déroger. La solution avait déjà été fixée en ces termes dans un arrêt remarqué (Cass. com., 12 oct. 2022, n° 21-15.382).

Dans l’arrêt du 9 juillet 2025, la Cour de cassation lève un doute qui avait pu s’installer : la solution vaut y compris lorsque la décision a été adoptée à l’unanimité. La solution rendue en matière de SAS s’éloigne donc de celle qui a plusieurs fois eu les faveurs de la Cour de cassation en matière de SARL.

Acte extra-statutaire et engagement personnel

La deuxième (Cass. com., 9 juill. 2025, n° 23-21.160) vient assez naturellement compléter la première. La Cour de cassation invite, par celle-ci, à ne pas condamner tout acte extra-statutaire qui apparaîtrait comme contradictoire avec les statuts. Plus précisément, celui qui ne renfermerait qu’un engagement personnel des associés signataires (ou décisionnaires ?) contraint ces derniers à l’exécuter sans que sa validité ne puisse être discutée au seul motif qu’il serait incompatible avec les statuts. Il y a donc lieu de distinguer selon que l’acte extra-statutaire entend engager la société en contrariété avec les statuts (non valable) ou à engager les associés en marge des statuts (valable).

Abus de majorité

La troisième (Cass. com., 9 juill. 2025, n° 23-23.484) apporte un élément de compréhension supplémentaire en matière d’action en abus de majorité. Elle précise, en effet, que la recevabilité d'une action en nullité d'une délibération sociale pour abus de majorité n'est pas, en l'absence de demande indemnitaire dirigée contre les associés majoritaires, subordonnée à la mise en cause de ces derniers. Ils n’auront donc à être mis en cause que si une action en réparation de l’abus est dirigée contre eux. Cette solution n’avait rien d’évident et pouvait être discutée dans un sens comme dans l’autre.

ORNANES (obligation remboursable en numéraire et en actions nouvelles et existantes)

La quatrième (Cass. com., 9 juill. 2025, n° 23-15.492) ajoute au faible nombre de décisions rendues en matière d’obligations donnant accès au capital. Parmi les précisions apportées par l’arrêt, on retiendra deux confirmations utiles : d’une part, la méconnaissance d'une position-recommandation de l'AMF ne constitue pas, à elle seule, une faute civile, dans la mesure où celle-ci n’a pas de force obligatoire et, d’autre part, le prix de conversion des obligations en actions échappe au grief de potestativité si sa fixation dépend d’éléments objectifs.


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