UN NOUVEAU REVIREMENT DE JURISPRUDENCE POUR METTRE LE DROIT FRANÇAIS EN CONFORMITÉ AVEC LE DROIT DE L’UE
L’affaire concernait une médecin du travail qui, à la suite de son départ à la retraite, avait contesté le montant de l’indemnité de congés payés versée par l’employeur devant le conseil de prud’hommes et fait valoir que devaient être déduits du décompte des jours de congés qu’elle avait pris des jours d’arrêt maladie qui lui avaient été prescrits au cours des période de congés.
Les juges du fond ayant accueilli la demande, l’employeur a formé un pourvoi en cassation en se fondant sur la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation selon laquelle « si le salarié tombe malade au cours de ses congés payés, il ne peut exiger de prendre ultérieurement les jours de congés dont il n’a pu bénéficier du fait de son arrêt de travail, l’employeur s’étant acquitté de son obligation à son égard »1.
On savait cependant que cette solution était sur la sellette dans la mesure où la CJUE avait jugé que la directive de 2003 instaurant un droit à congé annuel d’une durée minimale de 4 semaines s’oppose « à des dispositions nationales prévoyant qu’un travailleur, en incapacité de travail survenue durant la période de congé annuel payé, n’a pas le droit de bénéficier ultérieurement dudit congé annuel coïncidant avec la période d’incapacité de travail ». Cette position se justifie par le fait que le droit à congé doit permettre au travailleur « de se reposer et de disposer d’une période de détente et de loisir » et aurait donc un objet différent de l’arrêt maladie qui est de permettre au salarié de se rétablir. La commission européenne avait annoncé une enquête en manquement contre la France sur le sujet.
Pour se conformer immédiatement au droit européen, la Cour de cassation rejette le pourvoi de l’employeur en procédant à un revirement sans nuance de sa jurisprudence et pose désormais le principe suivant :
« il convient de juger désormais qu'il résulte de l'article L. 3141-3 du code du travail, interprété à la lumière de l'article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, que le salarié en situation d'arrêt de travail pour cause de maladie survenue durant la période de congé annuel payé a le droit de bénéficier ultérieurement des jours de congé payé coïncidant avec la période d'arrêt de travail pour maladie.
Il en résulte que c'est par une exacte application de la loi que la cour d'appel a retenu que la salariée, qui avait fait l'objet, durant ses périodes de congés payés, d'arrêts de travail pour cause de maladie notifiés à l'employeur, pouvait prétendre au report des jours de congé correspondants, qui ne pouvaient pas être imputés sur son solde de congés payés. »2.
Le principe est donc que tout arrêt de travail prescrit au cours d’une période de congés payés et notifié à l’employeur doit être déduit de la durée des congés pris et donne droit à un report de congés payés.
Alors même que le droit européen prescrit simplement un congé annuel de 4 semaines minimales et qu’elle aurait pu limiter le principe du report à l’hypothèse dans laquelle les arrêts de travail ont empêché le salarié de bénéficier pleinement d’une telle durée de congé, la Cour de cassation pose le principe que tout arrêt de travail donne droit à un report de congés payés, quelle que soit la durée de congé dont a bénéficié le salarié3.
La seule condition pour que les jours de congés affectés par l’arrêt de travail soient reportés est qu’ils aient donné lieu à un arrêt de travail régulièrement délivré par un médecin et notifié à l’employeur.
Le revirement ne devrait pas avoir un impact considérable pour la période passée. Compte tenu de l’état du droit antérieur, il est relativement rare que des salariés tombés malades pendant leur période de congés se soient vus délivrer des arrêts de travail et les aient notifiés à leur employeur.
Pour l’avenir, la portée pratique va dépendre de la manière dont les salariés et les médecins vont s’approprier cette nouvelle solution : les médecins vont-ils fréquemment délivrer des arrêts de travail – qui supposent la constatation d’une incapacité totale de travailler – lorsqu’ils savent que leur patient est en congé ? Les salariés qui se voient prescrire un arrêt de travail alors qu’ils sont en congés vont-ils le notifier systématiquement à leur employeur ?
LES IMPLICATIONS IMMÉDIATES DE LA SOLUTION POUR LES ENTREPRISES, MAIS ÉGALEMENT POUR LES ORGANISMES DE SÉCURITÉ SOCIALE ET LES SALARIÉS
La nouvelle jurisprudence va avoir un impact en matière de paie, dans la mesure où, en cas d’arrêt de travail, le salarié n’a pas vocation à être rémunéré par l’entreprise mais à être indemnisé par la sécurité sociale sous forme d’indemnités journalières. L’entreprise n’est tenue de verser, pour les salariés qui remplissent les conditions d’ancienneté prévues par la loi ou la convention collective, que le différentiel entre le salaire qu’elle aurait dû verser et les indemnités journalières4. Il est possible que l’application de ces nouveaux principes ait un impact pour l’assurance maladie et puisse, pour certains salariés, conduire à une perte financière.
La nouvelle solution va également imposer aux entreprises de gérer les jours congés reportés, d’informer les salariés de leurs droits et de les mettre en mesure de les prendre. L’entreprise qui se sera vu notifier un arrêt de travail par un salarié en congés devra, au retour de ce dernier, l’informer du nombre de jours de congés dont il dispose et de la date jusqu’à laquelle ces jours pourront être pris5. Les jours de congés reportés devront en principe être pris au cours de la période annuelle de congés si celle-ci est toujours en cours. Dans le cas contraire, les congés reportés devront être utilisés au cours d’une période de quinze mois à compter de l’information délivrée par l’employeur au moment de la reprise du travail6.
Il faut, enfin, rappeler que le fait d’être en arrêt de travail – dont l’objet est de lui permettre de se rétablir - plutôt qu’en congés payés est, en principe, contraignant pour le salarié puisque celui-ci ne peut exercer strictement aucune activité qui n’ait pas été expressément autorisée par son médecin7 et doit respecterun certain nombre d’obligations pour permettre à la sécurité sociale8 et à l’employeur9 d’exercer les prérogatives qui leur sont conférées par la loi en matière de contrôle des arrêts de travail.
INDEX
- Soc. 4 déc. 1996, n°93-44.907. Il existait, en revanche, un droit au report lorsque le salarié tombait malade avant la survenance des congés (Soc. 24 février 2009, n°07-44.488).
- Soc. 10 sept. 2025, n°23-22.732.
- De manière plus générale, on peut regretter que, s’agissant de questions complexes, notamment d’articulation de droit du travail et de la sécurité sociale, sur lesquelles il peut exister des spécificités en droit interne, la réflexion de la Cour de cassation se limite à empiler et reproduire les passages d’arrêts de la CJUE.
- En vertu de l’article L. 1226-1 du code du travail, le maintien de salaire concerne les salariés ayant au moins un an d’ancienneté (les conventions collectives peuvent prévoir une ancienneté inférieure).
- Art. L. 3141-19-3 C. trav. issu de la loi n°2024-364 du 22 avril 2024.
- Art. L. 3141-19-1 C. trav.
- Not. Civ. 2ème, 16 mai 2024, n°22-14.402, perte des indemnités journalières en cas d’exercice par l’assuré d’une activité sportive non préalablement autorisée par un médecin
- En vertu de l’art. L. 323-6 CSS, le service des indemnités journalières est subordonné à l’obligation de respecter les prescriptions médicales, de se soumettre aux contrôles organisés par le service du contrôle médical et de s’abstenir de toute activité non autorisée. L’article R. 323-12 du même code permet à la caisse de refuser le service des IJ lorsque le contrôle est rendu impossible (v. par ex. Civ 2ème 5 juin 2025, n°22-22.384, en cas de séjour à l’étranger).
- Le salarié doit ainsi indiquer spontanément à l’employeur, dès la délivrance de l’arrêt de travail, son lieu de repos (si celui-ci est différent de son domicile) et, s’il bénéficie d’un arrêt de travail portant la mention « sortie libre », indiquer les horaires auxquels la contre-visite peut s’effectuer (R. 1226-10 C. trav.). Le salarié perd le droit au maintien de sa rémunération s’il ne met pas l’employeur en mesure de faire procéder à une contre-visite médicale (Civ. 2ème, 16 mars 2016, n°14-16.588).