Le code du travail précise, depuis 2017, le contenu des offres de reclassement faite par l’employeur au salarié dont le licenciement économique est envisagé. Faisant pour la première fois application de ces nouveaux textes, la Cour de cassation juge, dans un arrêt du 23 octobre 20241, que l’absence d’une mention exigée suffit à caractériser un manquement à l'obligation de reclassement et à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse. Cette position très formaliste impose aux entreprises une très grande vigilance dans la rédaction des documents relatifs au reclassement adressés aux salariés.
LE CONTEXTE
Selon l’article L. 1223-4 du code du travail, l’employeur qui envisage de prononcer un licenciement pour motif économique doit chercher à reclasser le salarié dans l'entreprise ou dans les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent la permutation de tout ou partie du personnel.
Pour satisfaire à cette obligation, l’employeur doit rechercher les postes disponibles à cet effet et proposer au salarié des offres de reclassement « écrites et précises ».
Avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, la Cour de cassation imposait à l’employeur de procéder à un examen individuel des possibilités de reclassement pour chaque salarié dont il envisageait le licenciement (Soc., 26 septembre 2006, n° 05-43.841) et de lui soumettre des offres de reclassement écrites, précises et personnalisées portant sur les seuls postes disponibles qu’il était susceptible d’occuper, compte tenu de ses qualifications et expériences, le cas échéant après avoir bénéficié d’une formation d’adaptation. L’employeur ne pouvait pas se contenter d’adresser au salarié la liste de tous les postes disponibles dans l’entreprise et le groupe, en l’invitant à postuler sur le ou les emplois susceptibles de les intéresser (par ex. : Soc., 23 avril 2013, n° 12-15.221).
Ni la loi, ni la jurisprudence n’avaient alors défini les mentions devant figurer dans ces offres pour qu’elles soient regardées comme précises.
L’ordonnance de 2017 est intervenue pour, selon les termes de la loi d’habilitation « préciser les conditions dans lesquelles l’employeur satisfait à son obligation de reclassement » et a complété l’article L. 1233-4 du code du travail qui donne à l’employeur le choix entre deux modalités :
- Soit l’envoi personnalisé à chaque salarié d’offres de reclassement, conformément à la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation,
- Soit par la diffusion à l’ensemble des salariés concernés de la liste des postes disponibles – ces derniers étant alors invités à se porter candidats sur le ou les postes susceptibles de les intéresser dans un certain délai, dans des conditions fixées par décret.
L’article D. 1233-2-1, issu du décret n° 2017-1725 du 21 décembre 2017 pris pour l’application de ce texte, précise ainsi que :
« I.-Pour l'application de l'article L. 1233-4, l'employeur adresse des offres de reclassement de manière personnalisée ou communique la liste des offres disponibles aux salariés, et le cas échéant l'actualisation de celle-ci, par tout moyen permettant de conférer date certaine.
II.-Ces offres écrites précisent :
a) L'intitulé du poste et son descriptif ;
b) Le nom de l'employeur ;
c) La nature du contrat de travail ;
d) La localisation du poste ;
e) Le niveau de rémunération ;
f) La classification du poste ».
La Cour de cassation ne s’était encore jamais prononcée sur la question de la précision des offres de reclassement proposées au salarié, en application de ces nouveaux textes.
LA DÉCISION
Une société, ayant décidé de fermer un magasin au sein duquel était employée une seule vendeuse, a été conduite à envisager son licenciement pour motif économique.
Une offre de reclassement a été présentée à la salariée dans les termes suivants : « nous sommes à ce jour en mesure de vous proposer dans le cadre d’une offre de reclassement conformément à l’article L. 1233-4 du code du travail un poste de magasinière à [Localité] avec reprise de votre ancienneté et au même niveau de rémunération ».
Cette offre ayant été refusée, la rupture du contrat de travail pour un motif économique est intervenue puis a été contestée par la salariée devant la juridiction prud’homale.
Pour faire valoir que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse, la salariée soutenait que l’offre de reclassement qui lui avait été faite ne correspondait pas aux exigences du code du travail puisqu’elle ne précisait ni le nom de l’entreprise d’accueil, ni la nature du contrat, ni la classification du poste.
La Cour d’appel a accueilli ce moyen et condamné l’employeur à verser à la salariée des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
A l’appui de son pourvoi, l’employeur soutenait notamment que l’absence d’une mention exigée par le texte dans l’offre de reclassement ne suffisait pas à elle-seule à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse et qu’il convenait d’examiner si, nonobstant l’absence de ces mentions, l’offre adressée à la salariée restait suffisamment précise pour lui permettre d’avoir connaissance des principales caractéristiques de l’emploi proposée et de se positionner.
La Cour de cassation rejette le pourvoi et juge que :
- « A défaut de l'une de[s] mentions exigées par l’article D. 1233-2-1 du code du travail, l'offre est imprécise, ce qui caractérise un manquement de l'employeur à son obligation de reclassement et prive le licenciement de cause réelle et sérieuse ».
- « De ces constatations […] dont il ressortait que l'offre de reclassement adressée à la salariée ne comportait ni le nom de l'employeur ni la classification du poste ni la nature du contrat de travail, [la cour d’appel] a pu déduire […] que l'employeur n'avait pas accompli avec la loyauté nécessaire son obligation de reclassement, se contentant d'une offre de reclassement imprécise et formelle, ce dont il résultait que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse ».
La Cour de cassation considère donc que toute omission par rapport aux exigences du code du travail caractérise une méconnaissance par l’employeur de son obligation de reclassement qui suffit à rendre le licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans qu’il y ait lieu de rechercher si la ou les mentions manquantes ont pu avoir un impact réel sur la possibilité du salarié de se positionner sur l’offre de reclassement qui lui a été faite.
De manière incidente, la Cour de cassation indique que l’exigence de précision de l’offre de reclassement ne va pas jusqu’à permettre d’exiger des indications autres que celles de la liste de l’article D. 1233-2-1. L’employeur reprochait en effet à la cour d’appel de s’être également fondée sur l’absence d’indication de l’activité et de l’adresse de l’entreprise dans laquelle le reclassement était envisagé, alors que ces indications ne sont pas exigées par le code du travail. La Cour de cassation prend le soin de préciser que ces motifs de l’arrêt d’appel étaient erronés mais qu’ils n’étaient pas de nature à entraîner la cassation dès lors que l’absence par ailleurs de mentions exigées par les textes suffisaient à justifier la solution. L’offre de reclassement doit donc comporter toutes les mentions exigées par le code du travail, mais rien que ces mentions.
UNE EXIGENCE DE VIGILANCE PARTICULIÈRE SUR LE CONTENU DES DOCUMENTS RELATIFS AU RECLASSEMENT EN CAS DE LICENCIEMENT POUR MOTIF ÉCONOMIQUE
Si l’ordonnance et le décret de 2017 avaient entendu sécuriser les employeurs en définissant les modalités d’exécution de l’obligation de reclassement, l’interprétation extrêmement formaliste de ces dispositions par la Cour de cassation impose aux entreprises de les respecter scrupuleusement et de prêter la plus grande attention à la rédaction des offres de reclassement qu’il s’agisse :
- des offres adressées de manière personnalisée au salarié ;
- des offres figurant dans le liste des postes disponibles qui peut désormais être adressée par l’employeur à l’ensemble des salariés concernés pour respecter son obligation de reclassement.
Les entreprises doivent impérativement s’assurer que ces offres comportent bien l’intégralité des mentions exigées par le code du travail.
On doit néanmoins espérer que cette solution ne soit pas le prélude d’un nouveau contentieux relatif au degré de précision de chacune des mentions exigées par le texte qui pourrait générer une très grande insécurité juridique pour les entreprises. On pense notamment ici aux mentions relatives au descriptif du poste et à sa classification2.
A notre sens, les exigences de précision ne sauraient aller trop loin sans méconnaître la finalité de l’offre de reclassement qui est simplement de permettre au salarié de connaître les caractéristiques principales pour identifier si l’emploi est susceptible de lui convenir au regard de sa qualification professionnelles et de ses aspirations afin, le cas échéant, de candidater. Les modalités contractuelles du reclassement ont vocation à être déterminées dans un second temps lorsque le salarié a manifesté son intérêt pour le reclassement proposé.
INDEX
1 Soc. 23 oct. 2024, n°23-19.629, FS-B ;
2 L’offre peut-elle, sur ce point, se contenter de se référer à une catégorie professionnelle – employé, ETAM, cadre – ou doit-elle indiquer une classification précise au regard de la convention collective applicable au sein de l’entreprise d’accueil ?