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Le Bulletin Officiel des Finances Publiques (« BOFiP »), dans sa partie relative au contrôle des prix de transfert1, a été modifié notamment pour mieux intégrer la dernière édition des principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales (« Principes OCDE ») ainsi que la loi de finances pour 2024.

Ces ajouts qui ambitionnent d’offrir une meilleure garantie aux contribuables quant à la prévisibilité de la législation fiscale plaident plutôt pour une vigilance accrue des entreprises dans l'établissement de leur politique prix de transfert et sa documentation.

LES ACTIFS INCORPORELS DIFFICILES À ÉVALUER (« HARD TO VALUE INTANGIBLES »)

En sa nouvelle version, le BOFiP intègre le contrôle de la valeur de transfert des Actifs incorporels difficiles à évaluer, désormais codifié à l’article 238 bis-0 I ter du Code Général des Impôts (« CGI »), suite à l’adoption de la loi de Finances pour 2024. L'Administration peut rectifier ex post la valeur de ces actifs, sur la base de résultats réels qui divergeraient de la valeur résultant des flux de trésorerie attendus au moment du transfert de l'actif.

S’il s’agit d’une reconnaissance implicite de l’applicabilité de la méthode des cash flows actualisés qui se fonde sur des prévisions au moment de l’évaluation, l’allongement de la durée de prescription à 6 ans permettra à l’administration fiscale une approche largement emprunte de rétroactivité pour présumer d'une sous/surévaluation de l’actif et questionner les hypothèses utilisées lors de la détermination de la valeur de transfert. Des exceptions sont cependant prévues, par exemple si le contribuable fournit une justification détaillée des prévisions utilisées et des incertitudes qui leur sont liées.

Cette nouvelle règlementation et la « présomption » inscrite dans le BOFiP sont en ligne avec les Principes OCDE à jour de janvier 20222 mais soulèvent plusieurs questions théoriques et pratiques importantes3 alors que le BOFiP aurait pu apporter des clarifications : par exemple, le BOFiP pose-t-il une inversion de la charge de la preuve allant au-delà de la loi fiscale lorsque l’administration fiscale écrit que « le contribuable peut toutefois réfuter cette présomption […] en démontrant la fiabilité des informations utilisées » ? Ce débat qui peut paraitre sémantique pourrait malgré tout avoir des conséquences pratiques dans les débats devant les tribunaux à qui il reviendra de décider si les informations sur les prévisions utilisées sont suffisamment détaillées.

DÉLIMITATION DES TRANSACTIONS FINANCIÈRES

Une nouvelle partie concernant spécifiquement les transactions financières fait son apparition et discute succinctement des : (i) Prêts intragroupes, lesquels – conformément à la pratique - doivent être évalués selon la nature et les caractéristiques des risques supportés par le prêteur et l'emprunteur ; (ii) Accords de gestion centralisée de la trésorerie devant tenir compte des « faits et circonstances propres aux soldes transférés » et du contexte des accords.

De façon plus surprenante, une section propre aux Garanties financières a été ajoutée. Le BOFiP délimite les différentes méthodes acceptées mais sans entrer dans leur détail. En se bornant à ne faire que citer les méthodes de l’OCDE sans donner de consigne sur leurs utilisations et leurs applications, l’apport du BOFiP reste pour le moins limité. Les principes OCDE et la jurisprudence demeurent donc les seules sources pour la définition d’une politique de prix de transfert propre aux garanties intragroupe alors que les services vérificateurs semblent s’intéresser de plus en plus à cette problématique. Ce nouveau BOFiP aurait pu être l’occasion de revenir sur une jurisprudence ancienne4 ou sur des décisions plus récentes mais contradictoires. Le dernier arrêt en date du 15 décembre 20235 met en exergue des positions diamétralement opposées entre la Cour et le Tribunal Administratif en première instance.

UTILISATION DE LA MÉDIANE DANS LES ANALYSES ÉCONOMIQUES ?

Le BOFiP prévoit dorénavant que « tout point situé dans l’intervalle de pleine concurrence » est acceptable si l’étude le justifiant se « caractérise par un degré de fiabilité élevé ». Cet ajout est utile en ce qu’il permet un alignement sur les Principes OCDE et sur la réalité du marché qui, par essence, génère des prix variés dans la même situation.

Cette position semble toutefois fragile puisque le BOFiP prend aussi soin d’ajouter qu’en « l'absence d'éléments permettant de sélectionner un point particulier comme étant le plus approprié, il est d’usage de considérer la médiane comme étant la rémunération de pleine concurrence ». En l’absence de précision quant à ce qui est un comparable fiable, le nouveau BOFiP n’est pas de nature à accroître la sécurité juridique, fortiori si on considère la proposition de Directive de l’Union Européenne du 12 septembre 2023 qui énonce de son côté que « le prix de pleine concurrence est déterminé en utilisant l’intervalle interquartile »6 ou la jurisprudence française7 récente qui ouvre la voie à une sacralisation de la médiane en attendant une position du Conseil d’Etat sur le sujet.

BENEFIT TEST SUR LES MANAGEMENT FEES

Enfin, le BOFiP intègre désormais une partie concernant la justification des services rendus entre sociétés appartenant au même groupe, et plus particulièrement les services centraux ou management fees, fournis le plus souvent par la maison mère aux filiales étrangères. Il est acté que l’existence d’un service intragroupe doit s’évaluer à l’aune de l’intérêt économique ou commercial que représente la prestation. Cette question demeure un point d’achoppement fréquent entre le contribuable et l’Administration, qui ici met en évidence son intérêt pour la question et matérialise indirectement le fait qu’il s’agit d’une question relevant de l’article 57 du CGI plutôt que des règles internes de déductibilité à la différence d’autres Etats. Ceci étant, faute de précision supplémentaire quant au cadre de l’analyse, cette partie du BOFiP ne peut être considérée comme un véritable apport.

Les questions de prix de transfert restent au cœur de l’actualité fiscale avec une volonté de simplification, et donc de sécurisation des entreprises multinationales, comme le démontre la récente proposition de la Commission européenne sur l’initiative BEFIT (« Entreprises en Europe : Cadre pour l’Imposition des Revenus ») ou encore les travaux de l’OCDE sur la mise en œuvre du Montant B de son Pilier 1. Faute de précisions suffisantes, force est de constater que ce nouveau BOFiP n’atteint pas cet objectif.


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INDEX

1 BOI-BIC-BASE-80-10-10 du 22 novembre 2023

2 Principes OCDE de janvier 2022, 6 du 1 de l'annexe II du chapitre VI

3 PLF 2024 : des mesures en matière de contrôle des prix de transfert déjà annoncées

4 Conseil d’Etat, 9/7 SSR, 17 février 1992, arrêt Carrefour

5 CAA Paris, 9ème chambre, Sté CIC

6 Proposal for a Council Directive on transfer pricing, COM(2023) 529 final , 12 septembre 2023, article 12

7 CAA Paris, 22 novembre 2023, n°21PA06233, SASU Menarini Diagnostics France : la CAA de Paris ne fait aucune référence aux circonstances de l’espèce pour valider l’ajustement à la médiane


AUTEURS

Julien Le Sciellour
KPMG Avocats

EXPERTISE CONCERNÉE