La feuille de route du gouvernement dans la lutte contre toutes les fraudes aux finances publiques prévoit notamment l’inscription dans le PLF 2024 de plusieurs mesures en matière de prix de transfert. Elles se veulent équilibrées, entre responsabilisation et sécurisation des contribuables. Pour la sécurité, « un renforcement substantiel des équipes de la DGFIP [réduirait] les délais de traitement des demandes d’accords préalables en matière de prix de transfert des entreprises pour simplifier leur gestion ». 

UNE DOCUMENTATION DES PRIX DE TRANSFERT PLUS CONTRAIGNANTE

Pour « [r]enforcer la position de l'administration fiscale vis-à-vis des multinationales en matière de contrôle des prix de transfert », un plus grand nombre de contribuables serait tenu de présenter une documentation en raison de l’abaissement à 150 millions d’euros du seuil de chiffre d’affaires ou d’actifs bruts (actuellement fixé à 400 millions d’euros) de déclenchement de l’obligation [nota : ce seuil s’apprécie au niveau de la société française ou d’autres sociétés du groupe]. En outre, une attention accrue devrait être portée à la documentation des prix de transfert : des sanctions plus importantes seraient infligées en cas d’insuffisance de documentation et, dans le cas où la politique de prix de transfert mise en œuvre ne serait pas en ligne avec la documentation, la charge de la preuve serait inversée. Il reviendrait alors au contribuable de prouver la pertinence de sa position. Il s’agirait d’une évolution non négligeable car l’étude de la jurisprudence montre que la preuve demeure difficile à rapporter en matière de prix de transfert.

DÉLAI DE REPRISE ÉTENDU POUR CERTAINS INCORPORELS

Une autre mesure, qui ne devrait pas se limiter aux entreprises entrant dans le champ de la documentation des prix de transfert, présentée comme la mise en œuvre des actions BEPS de l’OCDE, consisterait à étendre la durée de prescription en cas de cession des actifs incorporels les plus difficilement valorisables. Il existe en effet des actifs incorporels difficiles à valoriser au moment de leur cession. La mesure a pour but de permettre un contrôle de la valeur arrêtée pour la transmission sur la base de données postérieures à la transaction (approche ex post). L’extension de la période de prescription permettrait à l’administration de tenir compte plus facilement des flux financiers réels après la transaction.

La réforme ne pourra pas se limiter à cette position défavorable aux contribuables : pour se conformer à la règle qui innerve les prix de transfert, selon laquelle des entreprises liées doivent se comporter de façon similaire à des entreprises indépendantes, les Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert rappellent aussi que les éléments ex post ne doivent être utilisés que s’ils pouvaient être raisonnablement pris en compte par les entreprises associées au moment de la conclusion de la transaction (2. de l’Annexe II au chapitre VI.). Une pure analyse ex post, dont on voit bien l’intérêt pour l’administration, n’est pas conforme à la réalité économique : il faut prendre « en considération la probabilité, à la date de la transaction, que [l]es revenus ou ces flux de trésorerie se concrétisent » (6. de l’Annexe II au chapitre VI.). Cette approche n’a d’ailleurs pas vocation à s’appliquer, selon l’OCDE, si « [l]e contribuable fournit […] les informations détaillées des prévisions ex ante utilisées au moment du transfert pour déterminer les accords de prix » (Principes OCDE 6.193).

Dans un souci de sécurisation des contribuables, l’OCDE prend également soin de préciser que « [l]es administrations fiscales doivent s’employer à repérer et à traiter les transactions portant sur des AIDV le plus rapidement possible. » (10. de l’Annexe II au chapitre VI.).

Le PLF pour 2024 devra nécessairement tenir compte de ses précisions sous peine de créer une situation inéquitable ne reflétant pas la situation qui prévaudrait entre entreprises indépendantes.

CONCLUSION

Si l’objectif de lutter contre la fraude fiscale n’est pas discutable, le gouvernement devra proposer des mesures véritablement équilibrées, conformément aux recommandations de l’OCDE. Ces mesures imposeront une préparation plus importante, de façon contemporaine aux transactions, pour tous les groupes multinationaux.