Le plan global de lutte contre toutes les fraudes aux finances publiques vient de faire l’objet d’une présentation officielle en détaillant les principales mesures. Celles composant le volet fiscal seront intégrées dans le projet de loi de finances pour 2024.

Début mai 2023, le Ministre chargé des Comptes publics, Gabriel Attal, a présenté le plan global contre toutes les fraudes aux finances publiques, qu’elles soient fiscales, sociales, douanières ou visant à capter indûment les aides publiques.

Le plan s’inscrit dans la continuité de la politique menée et ses deux axes que sont favoriser la régularisation de leur situation par les contribuables de bonne foi et sanctionner lourdement ou judiciairement les cas d’évasion ou de fraude fiscales. Il repose sur les deux constats suivants :

  • les acquis des lois fraude et ESSOC de 2018 doivent être préservés et renforcés (i.e. droit à l’erreur, réponse proportionnée) et
  • la fraude est en perpétuelle mutation et tendrait à prendre dans certains cas une dimension industrielle.

Le plan de lutte proposé s’organise autour de 5 axes : l’adaptation aux enjeux numériques, des sanctions plus adaptées et plus fortes, un dispositif particulier contre les fraudes à l’international, une plus grande efficacité recherchée par la collaboration des différentes administrations et un approfondissement de la relation de confiance pour les usagers de bonne foi.

S’agissant plus spécifiquement de la fiscalité directe, les annonces et mesures les plus impactantes sont les suivantes :

DES OBJECTIFS ANNONCÉS AMBITIEUX

L’exécutif affiche d’ambitieux objectifs d’ici la fin du quinquennat. Les contrôles seront davantage portés sur les particuliers à haut patrimoines (+ 25 % d’ici 2027) et les grandes entreprises. Le recours à l’analyse de données de masse (datamining) pour la programmation des contrôles fiscaux sera porté à 50 % pour les particuliers (comme c’est déjà le cas pour les entreprises). La priorité sera donnée à la régularisation des erreurs à faible enjeu (i.e. 100 000 dossiers de personnes physiques traités d’ici 2027) et au renforcement de l’accompagnement fiscal des entreprises (8 500 PME accompagnées en région et 160 partenariats fiscal avec les grandes entreprises d’ici 2027 – soit plus du double du nombre de partenariats signés aujourd’hui avec actuellement 74 partenariats signés).

Par ailleurs, la France devrait prendre la tête d’une initiative internationale en faveur de la transparence fiscale afin de permettre aux Etats de disposer d’une vision fiable des patrimoines détenus par leurs résidents (promotion d’outils de lutte contre l’opacité de la détention patrimoniale, travaux du forum of tax administration de l’OCDE).

DE NOUVEAUX MOYENS POUR LUTTER CONTRE LES FRAUDES FISCALES LES PLUS COMPLEXES

Afin de lutter contre la fraude fiscale, une unité de renseignement fiscal dédiée à la recherche et la prévention des fraudes fiscales les plus complexes et les plus graves (i.e. dissimulation d’avoir dans des paradis fiscaux ou des entités opaques ; optimisation fiscale abusive) va être créée.

La fraude à la résidence fiscale sera également plus particulièrement ciblée. Des agents habilités de la DGFiP pourraient obtenir les données de voyage de contribuables auprès de l’agence nationale des données de voyage (ANDV).

A noter, le dossier de presse illustre cette mesure avec la détermination du siège de direction effective d’une entité basée à Hong-Kong dont l’associé et dirigeant est une personne physique domiciliée en France. Les données de voyages permettront de savoir si le dirigeant s’est rendu fréquemment à Hong-Kong et, le cas échéant, entrer dans le faisceau d’indices permettant d’établir que la siège de direction effective de l’entité est en France.

Enfin, deux mesures auraient vocation à renforcer la capacité de l’Administration à contrôler les prix de transfert des multinationales.

D’une part, le seuil de déclenchement de l’obligation de tenir en permanence à disposition de l’Administration une documentation complète de la politique de prix de transfert, actuellement fixé à 400 M€ de CA (LPF, art. L 13 AA), pourrait être abaissé à 150 M€ de CA et cette documentation ferait peser la charge de la preuve sur les entreprises lorsque la politique décrite ne serait pas suivie. En outre, le défaut de réponse ou la réponse partielle à la demande de communication de la documentation prix de transfert serait sanctionné plus durement en rehaussant le montant plancher, actuellement fixé à 10 000 €.

A noter, selon le dossier de presse, la mesure imposerait aux entreprises « de se justifier en cas de non-application de leur propre politique, et de démontrer du respect des règles en matière de prix de transfert ». En effet, le non-respect de leur politique prix de transfert par les entreprises complique, selon l’Administration, la démonstration de l’existence d’un transfert fictif de bénéfice.

D’autre part, le délai de reprise dont dispose l’Administration serait étendu pour les transferts d’actifs incorporels les plus difficilement valorisables. Le Gouvernement entendrait ainsi permettre à l’administration fiscale d’utiliser les informations sur la situation postérieure à un transfert d’incorporel difficile à évaluer pour rectifier la valeur qui a été retenue lors du transfert et soumise à imposition. 

A noter, par ailleurs les équipes de la DGFIP seraient renforcées substantiellement, afin de permettre de réduire les délais de traitement des demandes d’accords préalables en matière de prix de transfert des entreprises pour simplifier leur gestion.

NOUVEAUX DISPOSITIFS DE LUTTE CONTRE LES SOCIÉTÉS ÉPHÉMÈRES ET LA CAPTATION FRAUDULEUSE DES AIDES PUBLIQUES

Les opérations de transmission universelle de patrimoine (TUP) et de liquidation amiable des sociétés ont été identifiées comme permettant de faciliter certains schémas frauduleux. Il serait prévu s'agissant des TUP de porter le délai d’opposition à 60 jours pour les créanciers publics et l’information des services de l’État. La liquidation amiable des sociétés serait quant à elle conditionnée à la preuve de l’absence de dettes fiscales ou sociales.

La multiplication des aides publiques en réaction aux crises récentes (sanitaire, énergétique) s’est accompagnée par des phénomènes de fraude auxquels seule une réponse pénale pouvait être apportée. Afin d’y remédier, serait instaurée une sanction administrative ad hoc qui permettrait une action rapide et dissuasive. Applicable en l’absence de dispositif de sanction administrative, elle viserait les bénéficiaires d’aides publiques obtenues indument par la communication d’informations inexactes ou incomplètes. Outre la restitution des aides obtenues indument, la somme à restituer serait assortie d’une majoration de 40 % (manquement délibéré) ou 80 % (manœuvres frauduleuses).

DURCISSEMENT DE LA RÉPONSE PÉNALE CONTRE LES FRAUDES FISCALES LES PLUS GRAVES

L’exécutif s’attaquerait aux intermédiaires qui communiquent et promeuvent des schémas de fraude fiscale, qui ne peuvent pour l’heure être poursuivis qu’au titre de la complicité ou du blanchiment de fraude fiscale. Serait instauré un délit spécifique d’incitation à la fraude fiscale, autonome des délits de fraude fiscale ou de sa complicité. Indépendant de tout contrôle fiscal, il ne serait plus nécessaire de démontrer que l’action de promotion de la fraude fiscale a été suivie d’effet.

A noter, le dossier de presse indique que les professionnels du droit et du chiffre ne seraient pas concernés par la mesure sauf à ce qu’ils conçoivent ou proposent eux-mêmes des montages frauduleux.

Enfin, est envisagé le prononcé d’une peine de travail d’intérêt général (TIG) à l’encontre des personnes reconnues coupables de fraude fiscale ainsi que d’une sanction d’indignité fiscale, qui priverait temporairement les personnes ayant commis des fraudes fiscales graves, du droit de percevoir certaines réductions d’impôt et crédits d’impôt.  

RENFORCEMENT DU DROIT À L'ERREUR

Les régularisations proactives par l’Administration seraient généralisées au sein de la DGFiP, afin d’éviter l’ouverture de contrôles fiscaux lorsque des anomalies sur enjeux financiers limitées et liées à des oublis ou erreurs sont identifiées. 

Inversement, afin que les erreurs soient traitées « équitablement », qu’elles soient commises par des contribuables ou l’Administration, des intérêts moratoires seraient systématiquement appliqués à chaque fois qu’une erreur commise par l’Administration est corrigée en faveur du contribuable, même sans réclamation.

Enfin, la remise gracieuse des pénalités deviendraient automatiques en cas de première erreur du contribuable de bonne foi.

Les mesures fiscales de ce plan (i.e. prix de transfert, indignité fiscale, etc.) devraient être intégrées dans le projet de loi de finances pour 2024 qui sera discuté cet automne.