Dans une décision du 7 février 2024 (n° 22PA02007), la Cour administrative d’appel de Paris a jugé que l’interposition d’une société holding à l’IS détenue par le manager fait obstacle à la requalification en traitements et salaires des gains réalisés lors de la cession par cette société des actions qui y avaient été logées par ledit bénéficiaire.

Pour mémoire, par plusieurs décisions rendues en formation plénière, le Conseil d’Etat a, en 2021, établi une grille d'analyse à suivre afin de déterminer dans quelle catégorie de revenus doivent être imposés les gains issus de dispositifs de management package (ayant la forme de bons de souscription d’actions ou options d’achat d’actions).

Dans ce contexte, se pose la question de la nécessité pour l’Administration de remettre en cause l’interposition d’une société constituée par le manager afin d’être en mesure de requalifier le gain de cession réalisé par la société lors du débouclage de l’opération en complément de salaires.

Dans la droite ligne de la jurisprudence du Conseil d’Etat antérieure aux décisions de 2021 (Conseil d’Etat, 27 juin 2019, n° 420262), la Cour administrative d’appel de Paris confirme la décision rendue en première instance par le Tribunal administratif de Paris : lorsque l’Administration n’a pas mis en œuvre la procédure d’abus de droit, elle est tenue de reconnaître le plein effet juridique de l’interposition de la société cédante. La requalification du gain de cession en salaires n’est pas possible.

Dans le cas d’espèce, certains cadres clés du groupe P ont été invités à investir aux côtés de l’investisseur financier au travers d’actions ordinaires d’une société T, qui a elle-même souscrit des actions ordinaires et des actions de préférence de la holding de rachat. Trois ans plus tard, le 25 juin 2012, le contribuable apporte les titres de la société T qu’il détient à une société civile ayant opté pour l’impôt sur les sociétés (créée avec son épouse), la société S. Deux jours après la réalisation de l’apport, la totalité des actions détenues par la société S des époux est cédée dans le cadre de la sortie du LBO. 

Dans le cadre d’un examen contradictoire de la situation fiscale des époux, l’administration fiscale a estimé que l’opération de LBO initiée en 2009 s’était accompagnée d’un mécanisme d’intéressement consistant à rétrocéder à certains cadres dirigeants associés à l’opération, une partie du gain de la revente du groupe. L’Administration a alors requalifié la plus-value de cession réalisée par la société S lors de la sortie du débouclage de l’opération en traitements et salaires directement entre les mains des époux actionnaires de la société S, en l’absence de distribution intégrale du prix de cession – les deux tiers ayant été réinvestis par cette société dans un LBO secondaire.

La Cour confirme la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus ordonnée par le tribunal administratif au motif que :

  • L’Administration n’ayant pas mis en œuvre la procédure d’abus de droit, elle est tenue de reconnaître le plein effet juridique de l’interposition de la société holding des époux. Cette dernière ne pouvant, par nature, avoir la qualité de salariée d’une quelconque société du groupe, le gain qu’elle réalise lors de la cession ne peut pas avoir une nature salariale.
  • Pour les mêmes raisons, la plus-value d’échange née de l’apport des titres de la société T à la société S et placée en sursis d’imposition ne peut pas être requalifiée en traitement et salaires. La cession des titres reçus en rémunération de l’apport devrait alors être imposée selon le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières des particuliers.

Ainsi, sauf à ce que l’interposition de la société holding puisse être remise en cause sur le terrain de l’abus de droit, le gain réalisé lors de la cession des titres qu’elle détient ne pourra être considéré comme un salaire en l’absence de tout lien de nature salariale entre la société cédante et le groupe.


AUTEURS

Alain Loehr
KPMG Avocats

Marion Irlinger
KPMG Avocats

Sofia Frayssinet-Rodrigues
KPMG Avocats