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Après avoir recueilli l’avis du Conseil d’Etat1, le gouvernement a présenté un texte de loi destiné à tirer les conséquences des arrêts de la Cour de cassation du 13 septembre 2023 ayant jugé que les dispositions du code du travail, qui faisaient obstacle à l’acquisition de congés payés en cas de suspension de contrat de travail liée à l’état de santé du travailleur, n’étaient pas applicables car contraires au droit de l’Union européenne.

Le texte prend la forme d’un amendement à un projet de loi portant diverses d’adaptation au droit de l’Union européenne, en cours de discussion. Il a immédiatement été adopté par l’Assemblée Nationale et devrait être définitivement voté, au terme d’un examen en commission mixte paritaire, pour entrer en vigueur au cours du mois d’avril2.

Dans une première partie, l’amendement met les dispositions du code du travail en conformité avec le droit de l’Union européenne.

Dans une seconde partie, l’amendement comporte des dispositions concernant la période antérieure à l’entrée en vigueur de loi et qui sont destinées à permettre de se conformer strictement au droit de l’Union européenne, « tout en limitant l’ampleur du rattrapage des droits à congés qui, nés lors d’arrêts de maladie, n’auraient pas été reconnus dans le passé »3.

L’AVENIR : MISE EN CONFORMITÉ DU CODE DU TRAVAIL

Sur ce point, le projet de loi modifie les dispositions du code du travail existantes pour permettre l’acquisition de droit à congés au cours des périodes d’arrêt de travail et instaure de nouveaux textes relatifs au report de congés qui n’ont pas pu être pris en cas d’arrêt de travail.

Acquisition de congés payés pendant les périodes d’arrêt maladie (C. trav. art. L. 3141-5 et L. 3141-5-1)

Une acquisition limitée en cas d’arrêt de travail d’origine non professionnelle

L’amendement modifie l’article L. 3141-5 du code du travail, qui fixe la liste des hypothèses de suspension du contrat de travail assimilée à du temps de travail effectif pour l’acquisition de congés pour prévoir cette hypothèse. L’arrêt de travail lié à un accident ou une maladie n’ayant pas un caractère professionnel permet désormais d’acquérir des congés payés.

Cependant, cette acquisition est limitée puisqu’un nouvel article L. 3141-5-1 du code du travail prévoit que, dans une telle hypothèse, la durée du congé auquel le salarié a droit est de deux jours ouvrables par mois, dans la limite de 24 jours ouvrables – soit quatre semaines - par an.

Une acquisition intégrale en cas d’arrêt de travail consécutif à un accident du travail ou une maladie professionnelle

La disposition qui faisait obstacle à l’acquisition de congés payés au-delà d’un an dans une telle hypothèse est supprimée.

Les arrêts de travail d’origine professionnelle devraient donc donner lieu à une acquisition intégrale de congés payés.

De nouvelles règles relatives au report des congés (C. trav. art. L. 3141-19-1 à L. 3141-19-3)

Le principe

Le nouvel article L. 3141-19-1 prévoit que les congés acquis avant et/ou pendant un arrêt de travail et qui n’ont pas pu être pris au cours de la période annuelle de congé sont reportés pour pouvoir être pris à l’issue de la période de suspension du contrat de travail.

La période de report est de 15 mois et court à compter de la délivrance par l’employeur de l’information mise à sa charge au moment de la reprise du travail (v. infra).

L’exception en cas d’arrêt de travail de longue durée

Le projet d’article L. 3141-19-2 du code du travail prévoit, dans l’hypothèse d’un arrêt de travail supérieur à un an, que la période de report de 15 mois débute, non pas au moment de la reprise du travail, mais à la date d’expiration de la période de référence au titre de laquelle les congés ont été acquis.

Ce dispositif dérogatoire permet une extinction partielle des droits à congés acquis par le salarié, alors que celui-ci est encore absent, et évite une accumulation illimitée de congés qui ne serait pas conforme aux finalités du droit à congés payés.

Une obligation d’information à la charge de l’employeur au moment de la reprise du travail

 L’article L. 3141-19-3 du code du travail prévoit qu’à l’issue d’un arrêt maladie, l’employeur doit dans les 10 jours de la reprise du travail informer le salarié du nombre de jours de congés dont il dispose et de la date jusqu’à laquelle ils peuvent être pris.

Le texte actuel vise tous les arrêts de travail. On peut néanmoins s’interroger, au regard de la finalité de cette information, sur sa nécessité en cas d’arrêt de travail de courte durée n’ayant pas donné lieu à l’acquisition de congé ou même lorsque l’arrêt de travail n’a pas pour effet d’empêcher le salarié de prendre ses congés au cours de la période annuelle de congé.

LE PASSÉ : LA LIMITATION DE L'AMPLEUR DU RATTRAPAGE DES DROITS À CONGÉS

Ainsi que l’a expliqué le Conseil d’Etat dans son avis, les salariés disposent, en vertu de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, d’un droit direct à l’acquisition de congés au cours des périodes d’arrêt de travail depuis le 1er décembre 2009. Le législateur ne peut donc pas, sans méconnaître le droit de l’Union européenne, remettre en cause le principe même de cette acquisition entre cette date et l’entrée en vigueur de la loi. Le législateur peut, en revanche, prévoir que cette acquisition est strictement limitée à ce qui est nécessaire pour permettre le respect du droit de l’Union européenne. C’est le sens du texte présenté par le gouvernement.

Pas de congé complémentaire au-delà de 24 jours ouvrables annuels

Le droit de l’Union européenne prévoit uniquement que le travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines (soit 24 jours ouvrables). Dans ces conditions, l’absence d’acquisition de congés au cours de périodes d’arrêt de travail n’est contraire au droit de l’Union européenne que dans l’hypothèse où elle a effectivement empêché le salarié de quatre semaines de congé annuel.

Le texte prévoit donc qu’un salarié ne sera fondé à solliciter des droits complémentaires au titre de la période antérieure à l’entrée en vigueur de la loi :

  • que pour les périodes de référence où il n’a pas d’ores et déjà pu bénéficier de 24 jours ouvrables de congés ;
  • dans une telle hypothèse, que dans la limite de 24 jours ouvrables, après déduction des jours déjà acquis.

Cette première limitation devrait réduire assez considérablement l’ampleur des rappels de congés susceptibles d’être dus par les entreprises à la suite du revirement de jurisprudence du 13 septembre 2023.

L’application des nouvelles règles de report à la période antérieure à l’entrée en vigueur de la loi

L’amendement prévoit que les nouvelles règles relatives à l’acquisition de droits à congés payés au cours des arrêts de travail d’origine non professionnelle et au report des congés payés sont, sous réserve des décisions passées en force de chose jugée ou de stipulations conventionnelles plus favorables, applicables pour la période courant du 1er décembre 2009 à la date d’entrée en vigueur de la loi.

Ainsi, la période maximale de report de quinze mois courant à compter de l’expiration de la période d’acquisition des congés, en cas d’arrêt de travail de longue durée, est applicable. L’application de ce mécanisme devrait permettre de plafonner le nombre de jours acquis au titre des périodes d’arrêt de travail les plus longues.

L’instauration d’un délai de forclusion des demandes de rattrapage

Deux ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi

Le législateur souhaite que les incertitudes pour les entreprises liées à l’acquisition de congés payés par les salariés, en vertu du revirement de jurisprudence de la Cour de cassation du 13 septembre 2023, ne durent pas éternellement.

Il est donc prévu que toute action relative à l’acquisition de congés payés au cours des périodes d’arrêt de travail entre le 1er décembre 2009 et l’entrée en vigueur de la nouvelle loi devra, à peine de forclusion, être introduite dans les deux ans à compter de cette entrée en vigueur.

Les entreprises doivent donc s’attendre à être saisies de demandes de rattrapage. Dans la mesure où seule la saisine du conseil de prud’hommes est de nature à interrompre le délai de forclusion, il est recommandé de ne pas procéder à des régularisations spontanées mais d’attendre d’être saisies de demandes précises de la part de salariés ou d’anciens salariés, qui devront être examinées au cas par cas au regard des limitations qui viennent d’être exposées.

Des incertitudes persistantes en matière de prescription

La question reste alors celle de la prescription applicable. Sur ce point, c’est sans doute la Chambre sociale de la Cour de cassation qui aura le dernier mot.

On peut néanmoins, pour l’heure, se référer, sur ce point, à la position du Conseil d’Etat qui considère que les salariés ayant quitté l’entreprise et qui ne peuvent donc solliciter qu’une indemnité compensatrice de congés payés sont soumis à la prescription triennale de l’article L. 3245-1 du code du travail4. En vertu de ce texte, les anciens salariés ne seraient pas recevables à demander un rappel d’indemnité s’ils ont quitté l’entreprise depuis plus de trois ans avant la saisine du conseil de prud’hommes. S’ils ont quitté l’entreprise depuis moins de trois ans, leurs demandes ne peuvent porter que sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat de travail.

La situation est, en revanche, différente pour les salariés qui sont encore dans l’entreprise et qui peuvent demander un rattrapage des jours de congés. Selon l’amendement, le nouveau texte, qui prévoit que le délai de report de quinze mois des congés non pris en raison d’un arrêt maladie ne court qu’à compter de l’information délivrée par l’employeur au moment de la reprise du travail, est applicable à la période courant du 1er décembre 2009 à l’entrée en vigueur de la loi. En l’absence de délivrance d’une telle information, il subsiste une incertitude quant à la possibilité pour l’employeur d’opposer une quelconque prescription.



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