Dans sa décision du 8 février 20241, le Conseil constitutionnel a  considéré que les dispositions du code du travail faisant obstacle à l’acquisition de congés payés au cours de périodes d’arrêt maladie étaient conformes à la Constitution. Cependant, cette conformité ne remet pas en cause leur contrariété au droit de l’Union européenne et ne change donc rien à la situation des entreprises. Ces dernières restent confrontées aux incertitudes relatives aux conséquences des arrêts de la Cour de cassation du 13 septembre 2023, dans l’attente du dépôt d’un projet de loi par le gouvernement.

LES ARRÊTS DE LA COUR DE CASSATION ET LEURS CONSÉQUENCES

Pour rappel, dans deux décisions retentissantes du 13 septembre 2023, la Chambre sociale a procédé à un revirement de jurisprudence en énonçant que :

  • d’une part, ne sont pas conformes au droit de l’Union européenne l’article L. 3141-3 du code du travail, en ce qu’il subordonne l’acquisition de congés payés à l’accomplissement d’un travail effectif, et l’article L. 3141-5, en ce qu’il prévoit qu’au-delà d’une durée d’un an les arrêts de travail consécutif à un AT/MP ne donnent pas droit à l’acquisition de congés,
  • d’autre part, que l’application de ces textes doit être écartée et que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés.

En application de cette jurisprudence, tous les arrêts de travail en raison de l’état de santé, quelle qu’en soit l’origine ou la durée, donnent désormais droit à l’acquisition de congés payés.

S’agissant d’un revirement dont la Cour de cassation n’a pas entendu aménager les effets dans le temps, cette nouvelle solution a pour les entreprises :

  • des conséquences immédiates pour les périodes en cours et à venir puisqu’elles doivent modifier leurs pratiques en matière de gestion du personnel pour tenir compte de cette nouvelle acquisition de droit à congés payés,
  • des conséquences potentielles pour les périodes passées puisqu’elles peuvent devoir faire face à des demandes de rappels de jours de congés ou d’indemnité compensatrice de la part de salariés ou d’anciens salariés.

Cette situation n’est aucunement remise en question par la décision que vient de rendre le Conseil constitutionnel.

LA DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET SA PORTÉE

Saisi par la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel devait statuer sur une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité des articles L. 3141-3 et L. 3141-5 du code du travail aux droits et libertés garantis par la Constitution et, plus particulièrement le droit des travailleurs au repos garanti par l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946 et au principe d’égalité2.

Pour dire que les dispositions légales sont conformes à la Constitution, le Conseil a considéré que, si le principe d’un congé annuel payé est l’une des garanties du droit au repos, le législateur dispose, au regard de la Constitution, d’une liberté quant à la détermination des conditions de mise en œuvre de ce congé et qu’il lui était donc loisible, d’une part, de ne pas prévoir de droit à l’acquisition de congés en cas d’absence pour maladie non professionnelle et, d’autre part, de limiter à un an le droit à une telle acquisition en cas d’arrêt de travail d’origine professionnelle.

Le Conseil constitutionnel a, par ailleurs, jugé que le législateur pouvait, sans méconnaître le principe d’égalité, prévoir un régime différent d’acquisition des congés payés selon que l’arrêt de travail a une origine professionnelle ou non.

Bien que déclarées conformes à la Constitution, les dispositions du code du travail restent néanmoins inapplicables dès lors que :

  • les arrêts de la Cour de cassation, qui font suite à une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne, sont fondés sur la contrariété du droit interne à l’article 31 de Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
  • le Conseil constitutionnel ne contrôle pas la conformité d’un texte au droit de l’Union européenne.

S’agissant de deux normes dont la teneur n’est pas la même, le fait qu’un texte soit conforme à la Constitution n’empêche pas qu’il puisse être contraire au droit de l’Union européenne.

Selon le Conseil constitutionnel, la Constitution ne pose aucune exigence quant aux conditions d’acquisition des congés payés et n’impose pas l’acquisition de congés payés en cas d’arrêt de travail. La Constitution n’interdit pas, pour autant, de prévoir de telles règles.

Le fait que la Constitution n’impose pas l’acquisition de congés payés en période d’arrêt maladie ne fait nullement obstacle à ce que le droit européen pose une telle exigence3.

DES DIFFICULTÉS ET INCERTITUDES PERSISTANTES POUR LES ENTREPRISES

Bien que très  attendue, la décision du Conseil constitutionnel n’a donc aucune incidence sur les solutions dégagées par la Cour de cassation le 13 septembre dernier donnant droit pour les salariés à l’acquisition de congés payés au titre des périodes d’arrêt de travail.

La situation des entreprises reste donc inchangée. Ces dernières demeurent contraintes de procéder à une évaluation du risque financier encouru et à définir la stratégie à adopter face à d’éventuelles demandes de régularisation en émettant des hypothèses :

  • quant aux probabilités d’action en justice des salariés ou anciens salariés concernés,
  • quant à la possibilité d’invoquer ou non une prescription extinctive et, le cas échéant, quant à la durée biennale (art. L. 1471-1 CT) ou triennale (art. L. 3245-1 CT),
  • quant au nombre de semaines de congés concernées,
  • ou encore, quant à la possibilité de s’opposer à un cumul illimité de droits à congés et à invoquer une extinction des droits à congés au-delà d’une durée de quinze mois à compter de la date de leur date d’acquisition4.

Les entreprises doivent donc, à l’heure actuelle, avec l’aide de leurs conseils, se positionner sur ces différents points sur lesquels la décision du Conseil constitutionnel n’apporte aucune réponse.


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INDEX

1 Décision n° 2023-1079 QPC, Mme Leopoldina P.

2 Soc. 15 nov. 2023, n° 23-14.806.

3 Au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la mise à l’écart du droit européen sur le fondement de la Constitution ne peut intervenir qu’en cas de contrariété à un principe inhérent à l’ « identité constitutionnelle de la France » (par ex. la forme démocratique du gouvernement ou encore la séparation des pouvoirs). Le Conseil constitutionnel, qui se réfère dans sa décision à la liberté dont dispose le législateur pour déterminer les conditions d’acquisition des congés payés au regard des disposition de la Constitution, ne fait à aucun moment référence à une telle contrariété. Quoi que l’on puisse penser du bien-fondé des solutions dégagées sur le fondement du droit de l’Union européenne, les conditions d’acquisition des congés payés ne relèvent pas de l’identité constitutionnelle de la France.

4 CJUE, 9 novembre 2023, n° C 271/22, Keolis Agen.


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