LES RÈGLES APPLICABLES ET LEUR FINALITÉ
La participation aux résultats de l’entreprise est un dispositif légal dont la mise en place est obligatoire pour les entreprises d’au moins 50 salariés et dont l’objectif est d’associer ces derniers aux résultats de leur entreprise, en permettant la redistribution à leur profit d’une partie des bénéfices qu’ils ont contribué, par leur travail, à réaliser. Cette participation est réalisée par la constitution d’une réserve spéciale de participation calculée en fonction du bénéfice de l’entreprise, réserve dont le montant est réparti entre les salariés de l’entreprise et versé de manière différée.
Selon les dispositions du code du travail, le bénéfice servant de base de calcul à la réserve est le bénéfice net fiscal retenu pour le calcul de l’impôt sur les sociétés ou le revenu (L. 3324-1 C. trav.). Cette donnée est tout à la fois facilement accessible, en ce qu’il suffit de se reporter au résultat figurant sur les déclarations fiscales, et contrôlée dans la mesure où le bénéfice est vérifié par l’administration fiscale et, le cas échéant, par juge de l’impôt.
Pour s’assurer que le montant de la réserve spéciale de participation a bien été déterminé au regard du bénéfice net fiscal, l’article L. 3326-1 du code du travail prévoit que ce bénéfice peut faire l’objet d’une attestation du commissaire aux comptes.
Il est, par ailleurs, prévu que le montant du bénéfice net fiscal, ainsi attesté, ne peut être remis en cause à l’occasion des contentieux judiciaires relatifs à la participation. Le juge judiciaire ne peut donc pas accorder un rappel de participation en se déterminant sur un résultat autre que le résultat fiscal (v. not. Soc. 28 mars 2018, n°16-24.566 ; déjà, Soc. 24 nov. 1982, n° 81-13.195).
Cette interdiction est une conséquence du caractère d’ordre public absolu des règles relatives au calcul de la réserve spéciale de participation, notamment celle adossant ce calcul sur le bénéfice net fiscal qui prohibe toute détermination sur un autre montant que celui déclaré à l’administration fiscale. Elle est en réalité fondée sur des considérations de préservation de la liberté d’entreprendre et de sécurité juridique en ce qu’elle tend à éviter que les litiges relatifs à la participation puissent être l’occasion de remettre en cause les actes de gestion accomplis par l’entreprise dans l’ordre économique et leur régime juridique comptable et fiscal.
Cela ne signifie pas que le montant de la réserve spéciale de participation ne puisse pas être modifié lorsque le bénéfice réalisé par l’entreprise a été artificiellement minoré : le bénéfice net déclaré a vocation à être vérifié par l’administration fiscale et le juge de l’impôt qui sont, dans une telle hypothèse, en mesure de procéder à un redressement. La rectification du bénéfice par l’administration fiscale ou le juge de l’impôt donne lieu à une attestation rectificative et à un nouveau calcul de la réserve spéciale de participation (C. trav. art. L. 3326-1-1, anciennement, D. 3324-1).
LA CONFORMITÉ DE CES DISPOSITIONS À LA CONSTITUTION
Dans l’affaire soumise au Conseil constitutionnel, les CSE des filiales françaises du groupe Procter & Gamble ont saisi le juge judiciaire d’une demande de condamnation de ces sociétés à verser des rappels de participation. Au soutien de cette demande, ils prétendaient que les « prix de transfert » pratiqués au sein groupe conduisaient à transférer une partie du profit réalisé par les sociétés françaises à une société étrangère.
On précisera que les prix de transferts des multinationales sont soumis à un contrôle étroit de la part de l’administration fiscale qui s’assure, lors de l’exercice de son pouvoir de vérification, que les pratiques intragroupes ne conduisent pas à un transfert de bénéfices des sociétés françaises vers des pays dont la fiscalité leur serait plus favorable dans la perspective d’une minoration artificielle de leur imposition. Or, les bénéfices fiscaux des filiales françaises du groupe Procter & Gamble n’avaient pas donné lieu à une quelconque rectification de la part de l’administration fiscale.
Les juges du fond avaient donc débouté les CSE de leurs demandes de rappel de participation, dès lors qu’elles étaient fondées sur un résultat différent du résultat fiscal.
À l’occasion de leur pourvoi, les CSE ont posé une question prioritaire, renvoyée au Conseil constitutionnel par la Cour de cassation, relative à la constitutionnalité de l’article L. 3326-1 du code du travail. Ils soutenaient que l’interdiction de remettre en cause le montant du bénéfice fiscal, certifié par le commissaire aux comptes, dans un contentieux relatif à la participation constituerait une violation du droit à un recours effectif garanti par l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Dans sa décision du 24 janvier 20241, le Conseil constitutionnel écarte ce moyen et déclare le texte conforme à la Constitution.
Il constate, d’abord, que l’interdiction de se prévaloir devant le juge de la participation d’un bénéfice autre que le bénéfice fiscal repose sur un objectif d’intérêt général de préservation de la sécurité juridique : les montants déclarés par l’entreprise et vérifiés par l’administration fiscale, sous le contrôle du juge de l’impôt, ne doivent pas pouvoir être remis en cause par un tiers à l’occasion d’un autre contentieux.
Le juge constitutionnel constate ensuite que l’atteinte au droit au recours reste proportionnée et ne conduit pas à permettre aux entreprises de minorer artificiellement leur bénéfice et de priver ains les salariés de leurs droits à participation. Il relève ainsi que « l’administration fiscale, qui contrôle les déclarations effectuées pour l’établissement des impôts, peut, le cas échéant sur la base de renseignements portés à sa connaissance par un tiers, contester et faire rectifier les montants déclarés par l’entreprise au titre du bénéfice net ou des capitaux propres, notamment en cas de fraude ou d’abus de droit liés à des actes de gestion. Dans ce cas, une attestation rectificative est établie aux fins de procéder à un nouveau calcul du montant de la réserve spéciale de participation ».
Ainsi, s’ils ne peuvent pas contester ce montant directement devant le juge de la participation, les salariés ou leurs représentants, qui estiment que le bénéfice fiscal de l’entreprise aurait été artificiellement minoré, peuvent saisir l’administration fiscale pour qu’elle procède à des vérifications. Cette dernière, si elle l’estime opportun, sera tout à fait en mesure de contrôler l’existence d’un éventuel transfert indirect de bénéfices vers l’étranger ou de tout autre type d’abus ou de fraude commis par l’entreprise en vue de minorer son bénéfice2.
La solution est tout à fait sécurisante pour les entreprises – qui sont d’ores et déjà soumises à des contrôles réguliers de la part de l’administration fiscale – et permet d’éviter que la détermination du montant de la participation puisse être l’occasion d’une remise en cause systématique de leurs choix de gestion économique.
INDEX
1 Décision n° 2023-1077 QPC n°2023-1077 QPC du 24 janvier 2024, CSE Procter & Gamble Amiens et autres
2 En dehors de la problématique des prix de transfert, l’administration fiscale peut ainsi réintégrer dans le bénéfice fiscal les charges correspondant à des opérations constitutives d’un abus de droit (les actes fictifs ou ayant pour seul objet d’éluder le paiement de l’impôt) ou d’un acte anormal de gestion (ie les actes étrangers à une gestion commerciale normale).