La Cour de cassation vient de décider que les bénéfices distribués à une société de participations financières de profession libérale par une société d’exercice libéral sont des revenus professionnels soumis à cotisations sociales même lorsqu’ils ne sont pas redistribués au professionnel ou à ses proches. Elle se fonde sur l’article L. 131-6 du Code de la sécurité sociale qui, depuis 2009, soumet à cotisations une partie des bénéfices distribués aux professionnels libéraux et à leurs proches1 pour éviter une fuite devant les prélèvements obligatoires sur les revenus d’activité. Plus précisément, elle juge que les « bénéfices » réalisés par une société d’exercice libéral « doivent entrer dans l’assiette des cotisations sociales dont [le professionnel] est redevable, y compris lorsque ces bénéfices sont distribués à la société de participations financières de profession libérale qui détient le capital de la société d’exercice libéral », au motif qu’en l’espèce il était « le seul associé en exercice et le seul à générer des revenus permettant de constituer les dividendes distribués à la société de participations financières, dans laquelle lui et son conjoint sont les seuls détenteurs des parts sociales ».
Avouons-le d’emblée, cette décision, qui nous semble reposer sur une présomption implicite de fraude dans l’esprit de la Cour, nous paraît non seulement contestable juridiquement, mais regrettable économiquement.
Elle est contestable juridiquement parce qu’en visant les bénéfices réalisés par la société d’exercice et non les dividendes distribués par celle-ci, elle commet une confusion de principe surprenante, et parce qu’elle ne tient pas compte du fait que les bénéfices peuvent recevoir bien d’autres affectations que leur distribution aux associés, en particulier être mis en réserves pour financer des investissements. Elle fait d’ailleurs fi du texte – tout en le citant... – qui ne soumet à cotisations que les bénéfices « perçus » par le professionnel et sa famille, ce qui n’était pas le cas en l’espèce puisqu’ils étaient restés dans la société holding. Enfin, la Cour ne donne pas le fondement juridique de sa décision, ce qui est éminemment regrettable. Il se pourrait qu’elle ait vu dans la situation jugée une interposition de personnes, outil déjà utilisé par elle en matière de cotisations sociales, mais elle ne le dit pas et n’en motive pas l’application au regard des faits de l’espèce.
Cette décision est regrettable économiquement parce qu’elle prive les sociétés de participations financières de professions libérales de ce pourquoi elles ont été créées en 20012 : faciliter la concentration de moyens financiers et le développement des cabinets, que ce soit pour investir dans des capacités humaines et matérielles mises au service de tous, pour créer des groupes de cabinets structurés et compétitifs et pour financer des activités complémentaires autorisées. Il s’agissait de faciliter le développement des structures d’exercice des professions libérales réglementées en France, objectif d’intérêt général. Cette décision nous semble refléter une conception dépassée des activités libérales, implicitement perçues comme hors du champ économique et de la concurrence, qui risque d’avoir un effet malthusien sur leur développement en France alors qu’elles sont de plus en plus confrontées à une compétition internationale et en particulier européenne par l’ouverture des frontières réglementaires qui les protégeaient jadis. En retenant implicitement une présomption de fraude générale, cette décision fragilise les modèles de structuration intentionnellement permis par la loi, et crée une insécurité qui place de nombreux professionnels face à un double inconvénient, ne rien faire ou risquer un redressement.
On peut espérer que la Cour de cassation aura l’occasion de se ressaisir de la question et de procéder à un réexamen complet de celle-ci en tenant compte de son impact sur le développement et le financement de l’activité des professionnels libéraux. Peut-être peut-on suggérer que, même si l’article L. 131-6 du Code de la sécurité sociale qui sert de fondement textuel à l’arrêt a été déclaré conforme à la Constitution3, son interprétation par la Cour de cassation pourrait constituer une circonstance nouvelle susceptible de permettre un contrôle de constitutionnalité par une nouvelle QPC.