Depuis de nombreuses années, la plupart des contentieux en matière de prix de transfert portent sur les taux d’intérêt pratiqués dans le cadre des financements entre sociétés liées.

Pour rappel, la déductibilité des intérêts afférents aux sommes laissées ou mises à disposition de la société par des associés ou des entreprises liées est limitée, notamment, par un taux maximal fixé en fonction de la moyenne annuelle des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit pour des prêts à taux variable aux entreprises, d'une durée initiale supérieure à deux ans. Lorsque le taux pratiqué est supérieur, la société doit démontrer qu'elle aurait pu obtenir un taux équivalent auprès d'établissements ou d'organismes financiers indépendants, dans des conditions analogues (CGI, art. 212, I et 39, 1-3°) . La charge de la preuve est donc inversée et pèse sur les contribuables.

Après une longue période où les décisions des juges du fond majoritairement défavorables aux groupes internationaux se sont succédées, le Conseil d’Etat (« CE »), enfin saisi de ces questions, a entendu clarifier les modes de preuves admissibles en la matière et ainsi permis une amélioration notable de la sécurité juridique. Dans son avis Wheelabrator de 2019, il a tout d’abord confirmé que la société emprunteuse peut apporter la preuve « par tout moyen »1 que le taux retenu est un taux de marché. Elle peut, à cet égard, utiliser les « rendement d’emprunts obligataires émanant d'entreprises se trouvant dans des conditions économiques comparables, lorsque ces emprunts constituent, dans l'hypothèse considérée, une alternative réaliste à un prêt intragroupe »2. Puis, il a retenu dans l’affaire BSA3 la combinaison des éléments fournis par le contribuable comme permettant de justifier les marges de crédit appliquées. L’un de ces éléments était un benchmark de taux d’intérêt où la notation implicite de crédit avait été déterminée à l’aide d’un logiciel de scoring. Cette décision ne doit pas être regardée comme une validation formelle de la notation résultant d’un logiciel de scoring. En effet, ce sont des éléments fournis par la société qui ensemble ont convaincu le juge qu’en l’espèce les marges de crédit étaient comparables à ce qu’un établissement ou organisme financier indépendant lui aurait octroyé, même si est validé implicitement le recours à un logiciel de scoring.

De son côté, l’Administration a publié 8 fiches pratiques en janvier 20214 pour exposer ses attentes en matière probatoire sans toutefois valider l’utilisation des logiciels de scoring. Enfin, le CE est venu confirmer expressément cette possibilité dans son arrêt Willink du 22 décembre dernier. Il y affirme la possibilité d’utiliser des logiciels de scoring édités par les agences de notation pour déterminer le niveau de risque de crédit d’un emprunteur, confirmant ainsi ce qui pouvait seulement être déduit de l’arrêt BSA (voir notre alerte). Pour autant,  les contribuables rencontrent toujours des difficultés à fournir des comparables satisfaisant les juges du fond.

LE CONSEIL D'ETAT CONFIRME LA FIABILITÉ DES LOGICIELS DE SCORING (DÉCISION WILLINK)

S’il relève le caractère plus approximatif des notations obtenues à l’aide des logiciels de scoring développés par les agences comparées à celles qu’elles attribuent directement dans le cadre d’une analyse complète, le CE confirme que les contribuables n’ont pas vocation à supporter des charges disproportionnées dans la preuve à apporter. Il reprend à cet égard les principes de l’OCDE5 applicables en matière de prix de transfert. La détermination du risque de crédit d’un emprunteur dans le cadre d’une opération intragroupe n’impose donc pas le recours systématique à une agence de notation.

En complément, le CE a pris soin de rappeler le fonctionnement des outils. Ceux-ci tiennent compte du secteur d’activité de l’emprunteur, contrairement à l’affirmation erronée de la CAA de Paris dans sa décision GEII Rivoli Holdingdans laquelle on peut lire : « [qu’]il est constant que le secteur d’activité n’a pas été renseigné pour la détermination de la notation »6. L’utilisateur renseigne également dans l’outil les données financières issues de la comptabilité de l’emprunteur, sans pouvoir modifier les autres paramètres de l’application, conférant ainsi un caractère objectif à l’analyse.

Aussi,les notations obtenues à l’aide des outils de scoring peuventbien « être regardées comme suffisamment fiables pour justifier du profil de risque d’une société »7.

Cette validation survenue un an après l’arrêt BSA représente une avancée considérable en termes de sécurité fiscale pour les contribuables qui peuvent depuis lors utiliser les outils de scoring dans leur démonstration sans avoir à justifier de leur fiabilité.

Une fois le risque de crédit déterminé, les contribuables doivent encore présenter des comparables justifiant le taux d’intérêt appliqué à la transaction testée.

UN NIVEAU ÉLEVÉ DE COMPARABILITÉ ATTENDU

Malgré cette avancée sur la détermination du risque de crédit, les contribuables rencontrent encore des difficultés à apporter la preuve du taux normal via des transactions comparables. Un très haut degré de comparabilité est requis et les juges du fond demeurent réticents à accepter d’autres formes d’études de comparabilité.

Un élément majeur de l’analyse réside dans le niveau de risque associé à l’emprunteur ainsi que le montre l’affaire Financière EAS8. Le contribuable avait notamment fourni des comparables internes (prêts contractés par une société du groupe auprès d’un tiers) sans démontrer que les entreprises du panel retenu présentaient un niveau de risque de défaut comparable à celui de la société emprunteuse au sein du groupe.

Les juges du fond restent par ailleurs très exigeants quant à la qualité des comparables choisis : les sociétés comparées doivent présenter les mêmes caractéristiques que la société requérante.

Dans une affaire Alta Vai Holdco P9, le contribuable avait fourni cinq études éditées par des cabinets de conseil pour justifier du taux appliqué. Pour les juges du fond, les prêts identifiés présentaient néanmoins des différences notables concernant la zone géographique, la date d’émission, la nature des actifs acquis ou encore le secteur d’activité. Sur ce dernier point, le CE, dans l’arrêt Apex Tool10 (voir notre alerte), avait pourtant admis que les transactions comparables pouvaient relever de secteurs différents sous réserve d’avoir le même niveau de risque de crédit.

L’utilisation d’obligations comme termes de comparaison n’est plus remise en cause depuis l’avis Wheelabrator mais les juges du fond restent toutefois exigeants quant à la qualité des comparables.

En parallèle, dans les affaires EURL 148 Malesherbes, GEII Rivoli Holding, Sarl Malakoff Paris 16, les contribuables ont produit sans succès des analyses qui ne reposaient pas sur une comparaison stricte.

Les publications non spécifiques au contribuable, à l’image d’extraits d’ouvrages11, d’articles de presse12 ou d’études sectorielles13, présentant les taux d’intérêt pour des transactions similaires ont toutes été rejetées, car jugées trop généralistes ou trop imprécises. Au surplus, il ne pouvait pas ressortir de ces publications que le niveau de risque des emprunteurs évoqués était comparable à celui des emprunteurs dans les transactions intragroupe testées.

Les contribuables ont aussi eu recours à des méthodes financières permettant de déterminer un taux d’intérêt en utilisant l’analyse « Monte Carlo » (calcul de la volatilité moyenne des actifs du secteur)14, par référence au coût des fonds propres15 ou encore la méthode « Merton » 16,17. Ces méthodes ont été rejetées en raison là encore de leur manque de précision, notamment dans la justification de la comparabilité des paramètres retenus (prime de marché ou coefficient beta) par rapport aux caractéristiques propres des sociétés emprunteuses. Elles ont été considérées comme trop théoriques et non comparatives, ce qui ne permettait pas « d’apprécier la normalité du taux consenti en l’espèce par rapport à celui qui aurait été obtenu sur le marché obligataire »18 par une entreprise non liée au souscripteur de l’obligation.

EN CONCLUSION

Malgré des avancées certaines permises par le CE, la dernière consistant en une normalisation de l’usage des outils de scoring, les juges du fond demeurent réticents à accepter les éléments de preuve fournis par les contribuables en se fondant sur l’insuffisance des termes de comparaison fournis. Les financements intra-groupes doivent donc demeurer un point d’attention prioritaire pour les groupes internationaux, en particulier lorsque l’emprunteur est une société française sur qui pèse la charge de prouver le caractère de pleine concurrence du taux appliqué.


Index

INDEX

1 CE, 10 juillet 2019, n° 429426, n° 429428, Wheelabrator

2 Ibid

3 CE, 11 décembre 2020, n° 433723, BSA

4 Taux d'intérêt des emprunts auprès d'entreprises liées – 8 fiches pratiques

5 Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, janvier 2022, § 5.28

6 CAA Paris, 7 décembre 2022, n° 21PA03245, GEII Rivoli Holding. Cet arrêt fait l’objet d’un pourvoi en cassation sous le n° 471139. 

7 CE, 22 décembre 2022, n° 446669, Willink

8 TA Paris, 18 avril 2023, n° 2011923, Financière EAS

9 CAA Paris, 14 juin 2023, n° 21PA03938, Alta Vai Holdco P. Cet arrêt fait l'objet d'un pourvoi en cassation sous le n° 482605.

10 CE, 29 décembre 2021, n° 441357, Apex Tool

11 CAA Paris, 14 décembre 2022, n° 21PA02846, EURL 148 Malesherbes (arrêt devenu définitif)

12 CAA Paris, 7 décembre 2022, n° 21PA03245, GEII Rivoli Holding

13 CAA Paris, 17 mars 2023, n° 21PA04211, Sarl Malakoff Paris 16. Cet arrêt fait l’objet d’un pourvoi en cassation sous le n° 474279

14 CAA Paris, 14 décembre 2022, n° 21PA02846, EURL 148 Malesherbes

15 Ibid

16 CAA Paris, 7 décembre 2022, n° 21PA03245, GEII Rivoli Holding

17 Méthode Merton : détermination d’un taux d’intérêt sur la base de la valeur de l’actif économique à la date d’évaluation, le taux sans risque, la maturité et le prix d’exercice

18 CAA Paris, 7 décembre 2022, n° 21PA03245, GEII Rivoli Holding


POUR ALLER PLUS LOIN


AUTEURS

Johann Dufour-Decieux
KPMG Avocats

EXPERTISE CONCERNÉE