Dans un arrêt du 11 mai 20231, la Chambre sociale juge pour la première fois qu’un employeur peut verser au salarié une prime de fidélisation dont l’acquisition n’est pas définitive car subordonnée à la présence du salarié dans l’entreprise pendant une durée déterminée et qui devra être partiellement remboursée en cas de départ à l’initiative du salarié avant l’échéance prévue.

UNE PRIME D'ARRIVÉE REMBOURSABLE EN CAS DE DÉMISSION EST-ELLE LICITE ?

Une entreprise désireuse d’attirer des collaborateurs disposant de compétences particulièrement recherchées peut proposer au moment de l’embauche une prime dite d’arrivée, de « golden hello » ou encore de « welcome bonus ».

Le versement d’un tel avantage n’a cependant de réelle utilité pour l’entreprise que si le salarié s’engage en contrepartie à rester dans l’entreprise un certain temps et qu’il ne peut pas quitter celle-ci au bout de quelques jours ou de quelques mois, après avoir perçu la prime.

Il convient donc de déterminer s’il est possible de stipuler que l’acquisition définitive d’une telle prime est subordonnée au maintien du salarié dans l’entreprise pendant une certaine durée et de prévoir que le salarié doit rembourser l’employeur en cas de départ prématuré.

Dans la mesure où une telle stipulation peut avoir pour effet de subordonner la faculté du salarié de démissionner au versement d’une somme d’argent et porte donc atteinte à la liberté du travail, sa licéité pouvait être discutée.

La Chambre sociale admet, depuis longtemps, que le salarié peut s’engager à rester dans l’entreprise pendant une durée déterminée sous peine de rembourser une somme d’argent à l’employeur dans le cadre particulier de la clause de dédit formation. Une telle clause est valable lorsque l’employeur fait bénéficier le salarié d’une formation dont le coût est supérieur aux dépenses imposées par la loi ou la convention collective en la matière, que le montant de l’indemnité de dédit est proportionné aux frais de formation et qu’il n’a pas pour effet de priver le salarié de la faculté de démissionner2.

En dehors de cette hypothèse, la Cour de cassation avait, en revanche, dans un arrêt remarqué du 18 avril 20003, jugé qu’était illicite, comme portant atteinte aux droits fondamentaux du salarié, la clause subordonnant l’acquisition définitive d’une gratification de fin d’année, dont le montant a été intégralement versé au salarié, à sa présence effective du salarié au mois de juin de l’année suivante et ce, à peine de remboursement. Cette solution, dont la portée exacte était difficile à déterminer, pouvait laisser planer un doute quant à l’admission et aux conditions de validité d’une prime dont le montant est intégralement versé au salarié mais dont l’acquisition intégrale et définitive est différée dans le temps4.

L’arrêt du 11 mai 2023 affirme pour la première fois la licéité d’une prime d’arrivée versée au salarié au moment de son embauche, mais dont l’acquisition intégrale est subordonnée à sa présence dans l’entreprise pendant une certaine durée et l’obligation corrélative pour le salarié de rembourser une partie de la prime s’il démissionne avant l’échéance prévue.

ADMISSION DU REMBOURSEMENT PARTIEL DE LA PRIME D'ARRIVÉE PAR LA COUR DE CASSATION

Afin de recruter un opérateur sur les marchés financiers en janvier 2016, une société de courtage s’était engagée contractuellement à lui verser au moment de son embauche une prime d’arrivée de 150 000 €. Le contrat stipulait, par ailleurs, que le salarié devrait rembourser partiellement cet avantage en cas de démission dans les trois ans suivant sa prise de fonction.

Le salarié a démissionné en mars 2017 et l’employeur a saisi le conseil de prud’hommes pour demander le versement d’une somme d’environ 80 000 € à titre de remboursement au prorata de la prime d’arrivée.

La Cour d’appel déboute l’employeur de sa demande en estimant que la clause qui prévoyait le remboursement d’une partie de la prime d’arrivée en cas départ avant trois ans « avait pour effet de fixer un coût à la démission » et « portait ce faisant atteinte à la liberté de travailler du salarié ».

La Cour de cassation casse cette décision et juge que :

« La clause convenue entre les parties, dont l'objet est de fidéliser le salarié dont l'employeur souhaite s'assurer la collaboration dans la durée, peut, sans porter une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté du travail, subordonner l'acquisition de l'intégralité d'une prime d'arrivée, indépendante de la rémunération de l'activité du salarié, à une condition de présence de ce dernier dans l'entreprise pendant une certaine durée après son versement et prévoir le remboursement de la prime au prorata du temps que le salarié, en raison de sa démission, n'aura pas passé dans l'entreprise avant l'échéance prévue ».

La cassation intervient sans renvoi, la Cour de cassation faisant droit à la demande de remboursement de l’employeur.

LES CONDITIONS DE VALIDITÉ DE LA CLAUSE RELATIVE AU REMBOURSEMENT DE LA PRIME

Une clause prévoyant le remboursement d’une prime en cas de démission du salarié ne porte pas une atteinte injustifiée et disproportionnée  à la liberté du travail et relève de la liberté contractuelle dès lors que l’avantage est distinct de la rémunération versée au salarié au titre de son activité, qu’il a pour objet de fidéliser le salarié pendant une durée déterminée et que son remboursement dépend de la durée non accomplie par le salarié. 

Il est nécessaire que l’avantage, dont l’acquisition définitive est différée dans le temps et dont le remboursement peut être sollicité en cas de démission prématurée, soit « indépendant de la rémunération de l’activité du salarié » et ait « pour objet de fidéliser le salarié dont l’employeur souhaite s’assurer la collaboration dans la durée ». Le contrat de travail ne peut en aucun cas prévoir que la démission du salarié remettra en cause le droit à une rémunération qui lui a été versée et qui lui est due en contrepartie de l’activité qu’il a déployée pour l’employeur. La stipulation d’une prime remboursable en cas de démission implique d’être précis quant à la détermination de l’objet de l’avantage et de ses conditions d’acquisition notamment en termes de durée.

S’agissant du caractère proportionné de l’atteinte à la liberté du travail, on précisera d’emblée que le versement mis à la charge du salarié ne constitue pas un coût mais le remboursement d’une somme qui lui a été versée et dont il était informé dès l’origine qu’elle ne lui serait définitivement acquise qu’au terme d’un certaine durée d’exécution du contrat. Surtout, la Cour de cassation ne reconnaît la validité de la clause que dans la mesure où le remboursement en cas de démission ne porte pas sur l’intégralité du montant perçu mais est fonction « du temps que le salarié, en raison de sa démission, n’aura pas passé dans l’entreprise avant l’échéance prévue ». Une clause qui prévoirait le remboursement intégral de la prime pour toute démission avant l’échéance prévue, quelle que soit la durée passée par le salarié dans l’entreprise, risquerait d’être jugée illicite comme portant une atteinte disproportionnée à la liberté du travail. Il est donc recommandé de bien fixer les conditions de remboursement de la prime par le salarié.

LES QUESTIONS EN SUSPENS

Quelles hypothèses ?

On doit relever que l’arrêt concerne une « prime d’arrivée » versée à un salarié qui vient d’être recruté au moment de la conclusion du contrat de travail. La volonté de fidéliser un salarié et de s’assurer ses services sur la durée peut néanmoins concerner d’autres hypothèses qu’il s’agisse d’inciter le salarié à accepter une mobilité professionnelle ou, plus simplement, de conserver un salarié indispensable susceptible de quitter l’entreprise. Rien ne paraît s’opposer, dans de telles hypothèses, à la conclusion d’un avenant prévoyant une prime de fidélisation remboursable prorata temporis en cas de démission avant une certaine échéance.

Il faut simplement signaler que, comme tout avantage, le versement d’une prime d’arrivée ou de fidélisation est soumis au principe d’égalité de traitement et que l’employeur doit donc être prudent dans la mise en place d’un tel avantage en s’assurant que son versement repose sur des éléments objectifs et pertinents lui permettant de justifier une éventuelle différence de traitement entre des salariés placés dans une situation comparable.

Quels types de rupture du contrat de travail ?

L’arrêt du 11 mai 2023 vise uniquement le remboursement de la prime de fidélisation par le salarié dans la seule hypothèse d’une démission du salarié. On peut se demander s’il est possible de stipuler une possibilité de remboursement de la prime dans d’autres hypothèses de rupture du contrat de travail et notamment, pour éviter que le salarié, qui souhaite quitter l’entreprise, adopte un comportement incompatible avec son maintien dans l’entreprise pour contraindre l’employeur à le licencier, en cas de licenciement pour faute grave ou lourde. On doit, ici, rester très prudent dans la mesure où, d’une part, il n’est pas certain que la Cour de cassation admette la validité d’une obligation de remboursement d’une prime de fidélisation lorsque la rupture est imputable l’employeur5 et où, d’autre part, un tel remboursement en cas de licenciement pour faute risquerait d’être analysé comme une sanction pécuniaire prohibée l’article L. 1331-2 du code du travail.

C’est sans doute là la principale faiblesse de la pratique des primes d’arrivée. Cette difficulté peut conduire à préférer recourir, pour fidéliser le salarié et l’inciter à rester dans l’entreprise, à prévoir à l’avance le droit à des primes dont le versement est différé et conditionné à la présence du salarié à une ou plusieurs dates déterminées.

En cas de rupture conventionnelle, le remboursement partiel par le salarié de la prime d’arrivée constituera l’un des éléments à négocier et à faire figurer dans l’accord de rupture. A cet égard, on peut penser qu’en l’absence de stipulation en ce sens dans la convention de rupture l’employeur ne pourra pas obtenir le remboursement6.

Quel impact ?

On peut se demander si la reconnaissance par la Cour de cassation de la licéité de la prime d’arrivée – qui constitue une pratique fréquente dans les pays anglo-saxons – va conduire à un développement de leur pratique et si ces stipulations vont devenir un outil de recrutement pour les entreprises établies en France confrontées à une pénurie de main-d’œuvre ou à la recherche de profils rares.

Dans une telle hypothèse, les entreprises devront se montrer très vigilantes dans la rédaction de ces clauses et leur mise en œuvre.


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RÉFÉRENCES

1 Soc. 11 mai 2023, n° 21-25.136, publié au Bulletin.

2 Soc. 21 mai 2002, n°00-42.909, publié au Bulletin.

3 Soc. 18 avril 2000, n°97-44.235, publié au Bulletin.

4 On précisera que la fidélisation dans le temps peut être recherchée par la stipulation de primes dont le versement n’est pas immédiat mais différé dans le temps et subordonné à la présence du salarié dans l’entreprise à certaines dates ; v. Soc. 2 mars 2016, n°14-26.702.

5 V. en matière de clause de dédit-formation, Soc. 11 janvier 2012, n°10-15.481 ; Soc. 10 mai 2012, n°11-10.571.

6 V. en matière de dédit-formation, Soc. 15 mars 2023, n°21-23.814.


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