Création des ordonnances travail de 2017, la rupture conventionnelle collective permet aux entreprises d’ajuster leur effectif par des départs volontaires dont les conditions ont fait l’objet d’un accord collectif validé par l’administration du travail. Le Conseil d’Etat a, le 21 mars dernier, rendu ses premières décisions sur la validation d’un accord RCC. Il a, à cette occasion, apporté une précision importante sur le champ d’application et la nature des restructurations susceptibles d’être concernées par le dispositif[1].
QUELQUES RAPPELS SUR LES PLANS DE DEPARTS VOLONTAIRES
S’adressant à des salariés qui souhaitent quitter l’entreprise et qui disposent d’un projet, la pratique des départs négociés dans le cadre de plans de départs volontaires permet d’éviter ou de limiter les départs contraints. Elle peut donc constituer un moyen privilégié pour les entreprises de se restructurer et/ou ajuster leur effectif.
Les départs volontaires peuvent être intégrés dans un projet de restructuration impliquant des suppressions d’emplois à court terme et des licenciements collectifs. Le plan de départ volontaire consiste dans ce cas à rechercher en priorité, parmi les salariés dont l’emploi est supprimé, ceux qui souhaitent quitter l’entreprise en bénéficiant de mesures de reclassement externe. Les départs volontaires constituent une alternative au licenciement.
Il est, toutefois, possible qu’un plan de départ volontaire puisse être mis en place en vue d’un ajustement des effectifs à plus long terme, dans le cadre d’une restructuration à froid et/ou d’une gestion des emplois et des parcours professionnels et ce, alors même qu’aucun licenciement n’est envisagé à court ou moyen terme.
Dans la mesure où, en, vertu de l’article L. 1233-3 du code du travail, les dispositions du code du travail relatives au licenciement économique sont en principe applicables « à toute rupture d’un contrat de travail » résultant d’une cause économique, l’employeur doit, dès lors que l’entreprise emploie au moins 50 salariés et qu’au moins 10 ruptures sont envisagées dans une période de 30 jours, établir un plan de sauvegarde de l’emploi qui doit donner lieu à une information-consultation du CSE et comporter des mesures d’accompagnement[2]. La Cour de cassation a néanmoins jugé que, lorsque l’employeur s’est engagé à ne pas licencier, certaines obligations comme celles d’établir un plan de reclassement interne ou de mettre en œuvre des critères d’ordre, qui n’ont de sens qu’en cas de rupture unilatérale du contrat par l’employeur, ne s’appliquent pas[3].
CREATION ET FINALITE DE LA RUPTURE CONVENTIONNELLE COLLECTIVE
La rupture conventionnelle collective a été créée par l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 et a, selon ces promoteurs pour objectif de permettre la mise en place d’un dispositif, affranchi du droit du licenciement économique, de rupture du contrat de travail d’un commun accord dans le cadre d’un accord collectif, dans l’hypothèse où aucun licenciement n’est envisagé.
Ainsi, il est ainsi possible de définir par accord collectif « le contenu d’une rupture conventionnelle collective excluant tout licenciement pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés en termes de suppression d’emplois » (art. L. 1237-19 CT).
L’accord collectif, qui doit faire l’objet d’une information – et non d’une consultation – du CSE, doit notamment déterminer les éléments suivants :
- le nombre maximal de départs envisagés, de suppressions d’emploi associées, et la durée de mise en œuvre du processus de départs volontaires ;
- les conditions requises pour candidater, les modalités de candidature et les critères de départage des potentiels candidats au départ ;
- les modalités de calcul des indemnités de rupture garanties au salarié, qui ne peuvent être inférieures aux indemnités légales dues en cas de licenciement ;
- des mesures d’accompagnement visant au reclassement externe des salariés sur des emplois équivalents (actions de formation, VAE, reconversion) ou le soutien à la création d’activités nouvelles ou à la reprise d’activité par les salariés ; l’objectif étant que le dispositif ne se borne pas à monnayer le départ des salariés mais à s’assurer que ces derniers quittent l’entreprise dans le cadre d’un projet (art. L. 1237-19-1 CT).
Avant d’entrer en vigueur, le dispositif doit être transmis à l’administration du travail pour validation. L’autorité administrative dispose d’un délai de 15 jours à compter de de la réception de l’accord collectif pour vérifier la validité et le contenu de l’accord ainsi que l’information du CSE (art. L. 1237-19-3). Le silence gardé par l’administration vaut validation (art. L. 1237-19-4).
Les contestations relatives à la validité de la décision de validation ou de refus de validation, au contenu de l’accord collectif et à la procédure précédant la décision relèvent de la compétence exclusive du juge administratif. Le recours doit être fait devant le tribunal administratif dans un délai de deux mois suivant la notification de la décision et obéit au même régime procédural que les recours contre les décisions d’homologation ou de validation en matière de PSE (art. L. 1237-19-8 CT).
On compte, depuis 2018, environ 150 validations d’accord RCC. Le dispositif concerne, le plus souvent, de grandes entreprises et des restructurations de grande ampleur[4].
Dans la mesure où, selon le code du travail, l’accord de RCC doit « exclure tout licenciement », des interrogations ont pu naître quant au point de savoir si le dispositif était adapté à tout type de restructurations. Dans son arrêt Paragon Distribution, le Conseil d’Etat répond par la négative et considère que le dispositif ne peut être mis en place lorsque la restructuration décidée par l’employeur prend la forme d’une fermeture de site.
UN ACCORD RCC NE PEUT PAS INTERVENIR DANS UN CONTEXTE DE CESSATION D’ENTREPRISE OU D’ETABLISSEMENT
La condition d’« exclusion de tout licenciement » posée par la loi pour mettre en œuvre une RCC peut être lue de deux manières.
Elle peut se lire comme une simple exigence chronologique de ne pas licencier pendant la période de mise en œuvre de l’accord RCC qui peut s’appliquer à tout type de restructuration. Selon cette lecture, un plan de sauvegarde de l’emploi pourrait toujours intervenir au terme de cette procédure pour permettre de procéder aux suppressions d’emplois, non couvertes par les départs volontaires, par voie de licenciement pour motif économique.
Elle peut également se lire de manière plus exigeante comme devant laisser au salarié une réelle liberté de choix entre un départ volontaire et son maintien dans l’entreprise, dans l’hypothèse où le nombre de candidats au départ s’avérerait suffisant pour couvrir les suppressions d’emploi envisagées. Une telle interprétation conduit à écarter l’application du dispositif lorsque la restructuration décidée implique la suppression de l’emploi de tous les salariés concernés et que l’employeur sera nécessairement conduit à envisager le licenciement pour motif économique les salariés qui ne se seront pas candidats au départ.
C’est cette seconde interprétation qui est retenue par la Conseil d’Etat, dans son arrêt Paragon Transaction, pour considérer que le dispositif ne pouvait être utilisé dans le cadre de la mise en œuvre de la fermeture d’un établissement. La Haute juridiction était saisie d’un pourvoi contre un arrêt de la CAA de Versailles ayant annulé la décision de validation d’un accord RCC conclue au sein d’une entreprise d’imprimerie à la suite de la fermeture d’un site de production. Les juges du fond avaient estimé que cette fermeture et la suppression de tous les emplois étaient incompatibles avec le recours à la RCC dès lors que les salariés n’étaient, en réalité, pas libres d’opter librement pour le départ.
Pour rejeter le pourvoi de l’entreprise, le Conseil d’Etat énonce que :
« Un accord portant rupture conventionnelle collective peut être, en principe, légalement conclu dans un contexte de difficultés économiques de l'entreprise ou d'autres situations visées à l'article L. 1233-3 du code du travail. Pour autant […], un tel accord, compte tenu de ce qu'il doit être exclusif de toute rupture du contrat de travail imposée au salarié, comme le prévoit l'article L. 1237-17, ne peut être validé par l'autorité administrative lorsqu'il est conclu dans le contexte d'une cessation d'activité de l'établissement ou de l'entreprise en cause conduisant de manière certaine à ce que les salariés n'ayant pas opté pour le dispositif de rupture conventionnelle fassent l'objet, à la fin de la période d'application de cet accord, d'un licenciement pour motif économique, et le cas échéant, d'un plan de sauvegarde de l'emploi. Dans une telle hypothèse, pour assurer le respect des règles d'ordre public qui régissent le licenciement collectif pour motif économique, il appartient en effet à l'employeur d'élaborer, par voie d'accord ou par un document unilatéral, un plan de sauvegarde de l'emploi qui doit être homologué ou validé par l'administration, ce plan pouvant, le cas échéant, également définir les conditions et modalités de rupture des contrats de travail d'un commun accord entre l'employeur et les salariés concernés ».
En d’autres termes, lorsque la restructuration implique la suppression de tous les emplois d’une entreprise ou d’un site de production, l’employeur est nécessairement conduit à envisager le licenciement pour motif économique de l’ensemble des salariés et ceux-ci n’ont pas de réelle perspective de conserver leur emploi. Dans une telle hypothèse, un plan de sauvegarde de l’emploi obéissant aux règles applicables au licenciement pour motif économique doit être mis en œuvre. Il pourra inclure un plan de départs volontaires.
La RCC ne peut être mise en œuvre que si la restructuration projetée n’implique la suppression que d’une partie, qui peut être significative, des emplois de l’entreprise ou de l’établissement concernés. Dans une telle hypothèse d’ajustement de l’effectif, aucun licenciement pour motif économique ne sera envisagé si le nombre de départs volontaires permet de couvrir le nombre de suppressions d’emplois envisagé. Les salariés, non candidats aux départs, conserveront leur emploi.
Si la RCC peut constituer un dispositif à privilégier en cas de restructuration à froid non liée à un motif économique dans le cadre de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, le Conseil d’Etat précise néanmoins qu’un accord de RCC peut être conclu « dans un contexte de difficultés économiques de l'entreprise ou d'autres situations visées à l'article L. 1233-3 du code du travail ». Dans ces conditions, si, au terme de la période d’application de l’accord de RCC, le nombre de départs s’est avéré insuffisant et que les objectifs du dispositif n’ont donc pas été atteints, rien n’interdit à l’employeur de mettre en œuvre une procédure de licenciement économique.
RÉFÉRENCES
[1] CE, 21 mars 2023, n°459626, Paragon Transaction, publié au Recueil.
[2] Soc. 22 février 1995, n°92-11.566 P.
[3] Sur l’absence d’obligation de mettre en place un plan de reclassement interne : Soc. 26 oct. 2010, n°09-15.187 P. ; sur l’absence d’application des dispositions relatives à l’ordre des licenciements, Soc. 12 juillet 2004, n°02-19.175 ; Soc. 1er juin 2017, n°16-15.456 P.
[4] A titre indicatif, en 2018, 38 accords RCC ont été validés prévoyant 6 700 départs volontaires.