Le Conseil constitutionnel a, le 14 avril, rendu des décisions relatives, d’une part, à la conformité de la loi portant réforme des retraites à la Constitution1 et, d’autre part, à la mise en œuvre d’une procédure de référendum d’initiative partagée sur un texte interdisant de porter l’âge minimal de départ à la retraite au-delà de 62 ans[2]. La loi a été promulguée dans la foulée de ces décisions[3].

Réforme des retraites

La validation des dispositions relatives aux conditions de départ à la retraite

Les principaux moyens d’inconstitutionnalité invoqués à l’encontre de la loi concernaient la régularité de la procédure suivie. Il était, plus précisément, reproché :

  • le choix par le gouvernement d’une loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, alors même que le texte n’avait qu’un impact financier très limité pour cette année-là,
  • la mise en œuvre de l’article 47-1 qui limite la durée totale des débats parlementaires à 50 jours alors qu’il n’existait aucune urgence particulière,
  • la mise en œuvre cumulative de plusieurs procédures prévues par la Constitution et les règlements des assemblées ayant affecté les exigences de clarté et de sincérité des débats parlementaires.

Le Conseil constitutionnel écarte, d’abord, l’existence d’un détournement de procédure. Il relève que le texte comprend bien les éléments relatifs aux recettes et dépenses de sécurité sociale et que, si les dispositions relatives à la réforme des retraites auraient pu figurer dans une loi ordinaire, le choix de les faire figurer dans une loi de financement rectificative ne méconnaissait aucune exigence constitutionnelle. Le Conseil estime que, n’ayant pas à substituer son appréciation à celle du législateur, son rôle doit se limiter à vérifier que les différentes dispositions sont susceptibles de se rattacher au domaine de la loi de financement rectificative définie par l’article L. O. 111-3-12 du code de la sécurité sociale.

Il expose, ensuite, que l’article 47-1 de la Constitution ne soumet la mise en œuvre de la procédure et des délais d’examen réduits à aucune condition particulière, notamment d’urgence.

Enfin, après avoir relevé que chacun des mécanismes prévus par la Constitution et les règlements des assemblées relatifs à la procédure parlementaire – notamment l’examen des amendements (art. 44 Const.) et le vote (art. 47-1 et 49-3 Const.) – avait été mis en œuvre conformément au texte qui l’institue, le Conseil constitutionnel considère que la circonstance que plusieurs procédures aient été utilisées cumulativement pour accélérer l’examen de la loi déférée n’est pas à elle seule de nature à rendre inconstitutionnel l’ensemble de la procédure législative. Le Conseil estime que, si elle « a revêtu un caractère inhabituel », l’utilisation combinée de plusieurs procédures n’a pas eu pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution.

Sur le fond, s’agissant de l’article 10 prévoyant le report de l’âge légal de départ à la retraite et l’accélération du calendrier de relèvement de la durée d’assurance requise pour bénéficier du taux plein, le Conseil considère que:

  • ces dispositions ont une incidence sur les recettes et dépenses des régimes obligatoires de base de l’année en cours et ont donc leur place dans une loi de financement rectificative de sécurité sociale,
  • sont justifiées par la volonté d’assurer l’équilibre financier et de garantir la pérennité du système de retraite participation et ne sont donc pas inappropriées au regard de l’objectif à valeur constitutionnelle de mise en œuvre d’une politique de solidarité nationale en faveur des travailleurs retraités.

Aucune disposition du projet relatif aux conditions de départ à la retraite et au calcul des pensions n’est invalidée. La loi a été promulguée par le Président de la République le soir-même de la décision du Conseil constitutionnel et devrait commencer à s’appliquer à compter du 1er septembre 2023.

Des décrets d’application – notamment sur les conditions de départ anticipé - devraient paraître d’ici là.

L’invalidation de certaines dispositions destinées à tirer les conséquences sociales de l’allongement de la durée d’activité et de la nécessité de maintenir dans l’emploi des salariés les plus âgés

Le choix du gouvernement de recourir à un véhicule législatif particulier destiné au financement de la sécurité sociale plutôt qu’à une loi ordinaire n’est pas sans conséquence.

En effet, comme cela avait été signalé avant même le début du processus législatif par le Conseil d’Etat, ce choix conduit à considérer que les dispositions qui n’ont pas de rapport ou un rapport trop indirect avec les recettes et dépenses de l’année en cours sont des cavaliers législatifs, qui n’ont pas leur place dans une loi de financement de la sécurité sociale, et qui doivent donc être déclarés contraires à la Constitution.

Certaines dispositions qui visaient à tirer les conséquences de l’allongement de la durée d’activité, notamment en termes d’emploi des séniors, se trouvent ainsi invalidées.

Le Conseil constitutionnel déclare notamment[4] contraires à la Constitution :

  • l’article 2 du projet de loi qui prévoyait des mécanismes destinés à obliger les entreprises à se préoccuper de l’emploi des salariés les plus âgés : obligation de négociation triennale et de publier chaque année un index ;
  • l’article 3 qui créait un contrat de fin de carrière pour faciliter le recrutement de demandeurs d’emploi âgés de plus de 60 ans ;
  • certaines dispositions de l’article 17 qui prévoyaient un suivi médical renforcé pour les salariés exposés à certains facteurs de risques professionnels.

La question est donc, à présent, de savoir si ces dispositions et, plus largement, les questions liées à l’emploi des salariés âgés seront reprises prochainement dans un projet de loi.

Le rejet de la demande de référendum d’initiative partagée

Le Conseil constitutionnel était saisi d’une demande relative à la mise en place d’une procédure référendaire sur le projet de loi suivant : « L’âge d’ouverture du droit à pension de retraite ne peut pas être fixé au-delà de 62 ans ».

Il devait vérifier que les conditions de l’article 11 de la Constitution - proposition signée par 1/5ème des membres du Parlement, n’ayant pour objet l’abrogation d’une disposition promulguée depuis moins d’un an à la date de la saisine du Conseil, porte sur l’organisation des pouvoirs publics ou sur « des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent » et dont le contenu est conforme à la Constitution – étaient remplies.

Le Conseil a considéré, par une formule quelque peu elliptique, que le texte proposé n’était pas une réforme dans la mesure où il n’apportait aucun changement à l’état du droit ; l’âge légal étant déjà fixé à 62 ans à la date de sa saisine.

On peut se demander si la loi reportant l’âge légal à 64 ans étant désormais promulguée, le texte fixant cet âge à 62 ans pourrait être considéré comme une réforme autorisant la mise en œuvre de la procédure référendaire. Toutefois, dès lors que la loi vient d’être promulguée et que la procédure ne peut avoir pour objet l’abrogation d’un texte publié depuis moins d’un an, une telle demande ne pourra pas être soumise immédiatement au Conseil constitutionnel.

Si une nouvelle demande de RIP portant sur un texte rédigé de manière plus élaborée[5] a été portée devant le Conseil constitutionnel, le texte proposé reste fondé sur une interdiction de porter l’âge de la retraite à 62 ans qui n’opère donc, si l’on suit le Conseil constitutionnel, aucun changement du droit « à la date de la saisine » [5]. On attendra avec intérêt la décision du Conseil constitutionnel annoncée le 3 mai prochain.

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RÉFÉRENCES

1 Cons. const 14 avril 2023, n°2023-849 DC

[2] Cons. const. 14 avril 2023 n°2023-4 RIP

[3] Loi n°2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de sécurité sociale, publiée au JO du 15 avril.

[4] Sont également déclarés contraires à la Constitution, comme étant des cavaliers législatifs les dispositions relatives aux fonctionnaires en catégories active ou super active (art. 10 III 6° et 10 XXVIII), au recouvrement des cotisations AGIRC/ARCCO (art. 6) et à l’instauration d’un dispositif d’information des assurés sur le système de retraite par répartition.

[5] La nouvelle demande prévoit que le maintien de l’âge légal à 62 ans sera accompagné d’une ressource fiscale destinée à assurer la pérennité du système.

EXPERTISE CONCERNÉE