L’Assemblée nationale a, le 20 mars 2023, rejeté les motions de censure à l’encontre du gouvernement qui, en application de l’article 49.3, avait engagé sa responsabilité afin de faire passer la réforme sans vote. La loi de financement rectificative de la sécurité sociale est donc considérée comme définitivement adoptée.
Le texte est aujourd’hui entre les mains du Conseil constitutionnel qui rendra ses décisions sur la conformité du texte à la Constitution et sur la demande d’organisation d’un référendum, le 14 avril 2023.
Sous réserve de ces décisions, les premières dispositions du texte pourraient entrer en vigueur à compter du 1er septembre 2023.
La loi a pour objectif premier d’assurer la pérennité financière du système de retraite actuel en allongeant la durée d’activité des travailleurs. C’est ainsi qu’il prévoit un relèvement progressif de l’âge légal pour partir à la retraite de deux ans, pour atteindre 64 ans. Ce relèvement de l’âge légal s’accompagne d’une accélération du calendrier de mise en œuvre du relèvement de la durée de cotisations à 43 ans, dont le principe avait été arrêté en 2014. Ces dispositions emblématiques de la réforme font l’objet d’un certain nombre d’aménagements, notamment pour prendre en compte des situations particulières – notamment les carrières longues – et améliorer les retraites les plus faibles.
Par ailleurs, le recul de l’âge de la retraite et l’augmentation de la durée de cotisations vont mécaniquement nécessiter de maintenir plus longtemps dans l’emploi les travailleurs les plus âgés. La loi prévoit un certain nombre de mesures destinées à faire face aux effets de la réforme et à permettre d’améliorer le taux d’emploi de séniors.
La réforme comporte donc :
- des mesures relatives à l’évolution des conditions de départ à la retraite et aux calcul des pensions,
- des mesures relatives aux enjeux de cette évolution en termes d’emplois des séniors et aux mesures qui devront être mises en œuvre pour y faire face.
LES MESURES RELATIVES AUX CONDITIONS DE DÉPART À LA RETRAITE ET AU CALCUL DE LA PENSION DE RETRAITE
A la différence du projet présenté fin 2019 et abandonné au moment de la crise sanitaire, qui prévoyait un la mise en place d’un régime de retraite universel par points, la loi est conçue comme une réforme paramétrique.
Le texte procède ainsi, pour l’essentiel, à un ajustement des paramètres qui déterminent le moment du départ et le montant des pensions.
Le relèvement de l’âge minimal de départ à la retraite
Cet âge légal, qui a longtemps été fixé à 60 ans, avait été relevé à 62 ans, en 2010. La loi prévoit son augmentation progressive à compter du 1er septembre 2023, pour atteindre 64 ans en 2030.
L’âge de départ sera ainsi relevé de trois mois par année de naissance pour les personnes nées à compter du 1er septembre 1961. Il atteindra 64 ans pour les personnes nées en 1968 et après.
La mesure devrait rapprocher l’âge d’ouverture des droits en France de celui en vigueur dans d’autres pays européens. A titre de comparaison, cet âge est de 65 ans en Belgique et en Allemagne, de 66 ans au Royaume-Uni et en Espagne, de 67 ans en Italie. Tous ces pays prévoient, par ailleurs, une augmentation de cet âge minimale dans les années qui viennent.
L’accélération du calendrier d’allongement de la durée requise pour bénéficier du taux plein
Le calcul de la pension repose sur un taux qui dépend de la durée d’assurance et que le travailleur ne bénéficiera du taux plein que s’il a cotisé un certain nombre de trimestres. Si, ayant atteint, l’âge légal, il décide de prendre sa retraite alors qu’il ne justifie pas de la durée de requise, le taux de pension se verra une décote dont quantum sera fonction du nombre de trimestres manquants.
La durée d’assurance pour bénéficier du taux plein a été augmentée à plusieurs reprises. Une loi de 2014 l’a portée à 172 trimestres, soit 43 ans. Cependant, cette augmentation était mise en place, selon un calendrier progressif, qui devait conduire à n’appliquer cette nouvelle durée, qu’à compter de 2035, aux salariés nés en 1973 et après.
Le nouveau texte n’augmente pas cette durée de cotisations requise mais accélère son calendrier de mise en œuvre, à raison d’un trimestre par ans, de sorte que les 43 ans seront requises dès 2027 et concerneront les actifs nés à compter de 1965.
La loi prévoit un âge auquel le travailleur peut bénéficier du taux plein sans décote alors même qu’il ne justifie pas de la durée de cotisations de requise. Au moment du relèvement de l’âge légal à 62 ans, cet âge était passé de 65 à 67 ans. Malgré le nouveau recul de l’âge légal, l’âge d’annulation de la décote n’évolue pas et reste fixé à 67 ans.
Les possibilités de départs anticipés
Il est, d’abord, prévu une possibilité de départ anticipée pour carrière longue. Les salariés ayant commencé à travailler jeune pourront liquider leur retraite à un âge fixé par décret s’ils justifient de la durée de cotisation de 43 ans.
Les salariés ayant cotisé 4 ou 5 trimestres avant 16 ans devraient ainsi pouvoir partir avec une retraite à taux plein à 58 ans ; ceux ayant cotisé avant 18 ans pourront partir à 60 ans ; ceux ayant cotisé avant 20 ans à 62 ans ; ceux ayant cotisé avant 21 ans à 63 ans.
Par ailleurs, la loi prévoit la possibilité de départ anticipé et à taux plein, à 60 ou 62 ans, en cas d’incapacité permanente, d’inaptitude ou d’invalidité. Les conditions de départ anticipé, dans chacune de ces hypothèses, devront, là encore, être précisées par décret.
Enfin, la loi maintient et assouplit les conditions d’accès à la retraite anticipée pour les travailleurs handicapés.
Les autres mesures relatives à la retraite
Le projet prévoit une revalorisation des pensions des salariés ayant cotisé sur des salaires faibles. Le dispositif vise à s’assurer que les salariés ayant cotisé sur une carrière complète bénéficient effectivement d’une pension au moins égale à 85 % du SMIC net. Ainsi, le minimum contributif sera revalorisé à compter du 1er septembre 2023 pour atteindre près de 1 200 € bruts et sera, pour éviter à l’avenir tout décrochage, que ce minimum sera révisé chaque année et indexé sur le SMIC.
La loi prévoit un certain nombre de mesures destinées à prendre en compte les carrières hachées ou incomplètes. On peut, par exemple, citer l’octroi de nouvelles majorations liées à la maternité ou encore la mise en place d’une assurance vieillesse pour les aidants permettant aux personnes qui interrompent leur activité pour aider un proche handicapé ou en perte d’autonomie de valider des trimestres.
A l’instar de ce qui a été opéré à la SNCF depuis 2020, des régimes spéciaux de retraite (Industries électriques et gazières, RATP, Clercs et employés de notaires, Banque de France et CESE) sont fermés. Les agents qui seront recrutés au sein de ces organismes ou professions à compter du 1er septembre 2023 seront affiliés au régime général d’assurance vieillesse.
LES MESURES VISANT À PERMETTRE L’ALLONGEMENT DE LA DURÉE D'ACTIVITÉ ET LE MAINTIEN DANS L’EMPLOI DES SALARIÉS ÂGÉS
La mise en place d’instruments obligeant les entreprises à s’emparer de la problématique de l’emploi des salariés âgés
Il est créé dans le code du travail une obligation générale pour tous les employeurs « de prendre en compte un objectif d’amélioration de l’embauche et du maintien en activité des salariés âgés ».
Plus concrètement, le code du travail prévoit deux mesures qui ne concernent uniquement les entreprises de plus de 300 salariés.
D’abord, l’emploi des salariés âgés devient un thème de négociation obligatoire. Les partenaires sociaux devront évoquer cette question lors de la négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP), qui doit avoir lieu tous les trois ans.
Ensuite, et surtout, la loi impose aux entreprises de mettre en place un index senior.
A l’instar de ce qui existe en matière d’égalité salariale, les employeurs devront publier chaque année une liste d’indicateurs permettant de connaître la situation de l’entreprise en termes d’emploi des seniors et mesurer ses efforts en la matière.
Un décret doit être pris pour déterminer :
- d’une part, la liste des indicateurs ainsi que leur méthode de calcul,
- d’autre part, les modalités de publication et de transmission de l’index à l’autorité administrative.
Des accords de branche pourront fixer des indicateurs qui pourront se substituer à certains indicateurs fixés par décret.
L’absence de publication de l’index pourra être sanctionnée par une pénalité financière dont le montant pourra atteindre 1% de la masse salariale.
Les indicateurs pourront être utilisés au cours de la négociation triennale sur la gestion des emplois et des parcours professionnels.
Le texte prévoit, en outre, qu’en cas détérioration des indicateurs pendant trois exercices consécutifs, les entreprises devront engager une négociation en vue d’un accord portant sur les mesures d’amélioration de l’emploi des seniors dans un délai de six mois. En cas d’échec de la négociation, l’employeur doit établir un plan d’action.
L’obligation de publication des indicateurs et celle de négocier sur l’emploi des senior entreront en vigueur :
- dès le 1er novembre 2023 pour les entreprises d’au moins mille salariés ;
- le 1er juillet 2024 pour toutes les entreprises d’au moins trois cents salariés.
Le décret définissant les indicateurs et leurs modalités de calcul et de publication devrait intervenir avant l’été.
Les mesures relatives à la rupture du contrat de travail et à l’embauche de salariés âgés
S’agissant de la rupture du contrat de travail, le législateur n’a pas voulu prendre de mesures destinées à rendre plus difficile la rupture du contrat de travail d’un salarié âgé. De telles dispositions ont pour effet de dissuader les entreprises d’embaucher ou de conserver des salariés susceptibles d’atteindre un certain âge et peuvent donc s’avérer contreproductive en termes d’emploi des seniors.
La loi vient uniquement mettre un terme à une différence de régime social des indemnités de rupture selon que celle-ci intervient avant ou après que le salarié ait atteint l’âge de la retraite. Jusqu’à présent, les indemnités de rupture conventionnelle du contrat d’un salarié n’ayant pas atteint l’âge de la retraite était soumise à un forfait social de 20 %. Ce régime social favorable ne s’appliquait pas lorsque le salarié était en mesure de faire valoir ses droits à la retraite et l’indemnité de mise à la retraite était soumise à un taux de contribution de 50 %. Cette différence de régime social était souvent vue comme une incitation pour les parties à rompre le contrat de travail de manière conventionnelle avant que le salarié n’atteigne l’âge de la retraite.
La loi harmonise le régime social de l’ensemble des ruptures conventionnelles, quel que soit l’âge du salarié, et de la mise à la retraite. A compter du 1er septembre 2023, les ruptures seront toutes soumises à une contribution patronale de 30 %.
S’agissant de l’embauche, il est prévu la possibilité de mettre en place un CDI de fin de carrière destiné à inciter les entreprises à embaucher des chômeurs âgés de plus de 60 ans.
Il n’est toutefois pas certain que le dispositif soit véritablement mis en œuvre dans la mesure où il est précisé :
- d’une part, que le dispositif n’entrerait en vigueur qu’après l’ouverture d’une négociation interprofessionnel, en cas d’échec de cette négociation et en l’absence d’accord interprofessionnel au 31 août 2023,
- d’autre part, même dans cette hypothèse, le CDI senior ne pourrait être conclu que si accord de branche étendu le prévoit.
Le CDI de fin de carrière s’appliquerait à l’embauche d’un demandeur d’emploi de longue durée âgé de plus de 60 ans.
Pour inciter les employeurs à procéder à une telle embauche, il est prévu :
- une exonération de cotisations familiales pendant les douze premiers mois de la relation de travail,
- la possibilité pour l’employeur de mettre le salarié à retraite dès qu’il remplit les conditions pour bénéficier d’une retraite à taux plein, alors que normalement la mise à la retraite par l’employeur ne peut intervenir que lorsque salarié atteint l’âge de 70 ans.
Les mesures destinées à faciliter la transition entre l’activité et la retraite
La loi améliore, d’une part, le cumul emploi-retraite qui permet au salarié d’occuper un emploi au cours de la retraite et, d’autre part, la retraite progressive qui permet au salarié âgé de réduire son activité et de cumuler le revenu tirée d’une activité à temps partiel avec une fraction de sa pension de retraite, jusqu’à ce qu’il demande la liquidation définitive de sa pension.
S’agissant du cumul emploi retraite, la loi prévoit qu’en cas de cumul intégral, le maintien de l’activité pourra faire naître de nouveaux droits à la retraite sous certaines conditions.
La loi assouplit considérablement des règles applicables au cumul-emploi retraite partiel ou plafonné.
S’agissant de la retraite progressive, si l’âge pour bénéficier du dispositif est porté à 62 ans au lieu de 60 ans auparavant, son accès est étendu à l’ensemble de régimes de retraite. L’employeur ne pourra pas s’opposer à la demande de passage à temps partiel sauf s’il démontre que la durée souhaitée par le salarié est incompatible avec l’activité économique de l’entreprise. Par ailleurs, la durée légale minimale du temps partiel, de 24 heures hebdomadaires, pourra être réduite à la demande du salarié.
Les mesures destinées à améliorer la prise en compte de l’usure professionnelle sont prévues
L’exposition à certains facteurs de pénibilité pourra être prise en compte dans le cadre des départs anticipés à la retraite pour incapacité permanente, inaptitude ou invalidité. Au-delà, la loi met en place ou aménage de nombreux dispositifs techniques qu’il est difficile de synthétiser.
On peut citer :
- la création d’un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle dont la mission sera de notamment de cofinance avec les employeurs des actions de prévention à destination de salariés particulièrement exposés au risque ergonomique, c’est-à-dire aux facteurs de risques professionnels liés à des contraintes physiques marquées, postures pénibles, vibrations mécaniques),
- la mise en place d’un suivi médical renforcé de ces mêmes salariés avec une visite médicale à mi-carrière pour permettre de déployer des mesures de prévention (aménagement de poste, formation et reconversion).
- l’amélioration du compte personnel de prévention pour mieux valoriser les droits des personnes exposées à des facteurs de pénibilité. Ce compte pourra notamment être utilisé pour financer une réduction de la durée du travail en fin de carrière ou encore une reconversion professionnelle en cours de carrière.
La réforme des retraites impose donc plus que jamais aux entreprises de se préparer aux défis liés à l’allongement de la durée du travail et à la nécessité de maintenir dans l’emploi les travailleurs les plus âgés. Elle leur impose d’identifier les difficultés que peut générer cette situation afin de mettre en œuvre les mesures les plus adaptées.