L’usage de la signature numérisée est de plus en plus fréquent.
Il faut immédiatement lever une confusion potentielle : la signature numérisée n’est pas une signature électronique. On le sait, le Code civil envisage, depuis une loi du 13 mars 2000, la signature électronique qui doit satisfaire aux exigences d’un règlement européen (Règlement n° 910/2014 du 23 juill. 2014). Chacun a pu s’approprier cette technique, en particulier pendant la période de la crise sanitaire, ainsi que le système d’identification par mail ou par sms sur lequel elle repose généralement. Elle ne se confond pas avec la signature numérisée qui, pour sa part, est une signature manuscrite dont l’image numérique est obtenue après l’avoir scannée ou directement dessinée sur des documents le permettant (comme les documents PDF). Celle-ci, en elle-même, n’est pas envisagée par nos textes et pourtant son usage est devenu courant.
DÉTERMINATION DE LA VALEUR JURIDIQUE D'UNE SIGNATURE NUMÉRISÉE PAR LA COUR DE CASSATION
On pouvait s’y attendre : la question de sa valeur juridique, en tant que signature, a été posée à la Cour de cassation. Dans un arrêt du 14 décembre 2022, la chambre sociale prend une position qui retiendra l’attention (Soc., 14 déc. 2022, n° 21-19.841, Publié au Bulletin).
En l’espèce, un salarié avait été embauché par contrat de travail à durée déterminée dont il a demandé la requalification en contrat à durée indéterminée en s’appuyant notamment sur le fait que la signature de l’employeur figurant sur son contrat était scannée. Il faisait valoir qu’une telle signature n’avait pas de valeur juridique et interdisait de considérer le contrat comme écrit, ce qui devait entraîner sa requalification en contrat à durée indéterminée (art. L. 1242-12 c. trav. ; Soc. 14 nov. 2018, n° 16-19.038).
Les juges du fond le déboutent et la Cour de cassation rejette son pourvoi.
Après avoir rappelé qu’une signature numérisée ne peut pas être assimilée à une signature électronique, cette dernière énonce que « l’apposition de la signature manuscrite numérisée du gérant de la société ne valait pas absence de signature ». Comprenons par-là que la signature numérisée vaut bel et bien signature au sens de la loi « dès lors qu'il n'était pas contesté que la signature en cause était celle du gérant de la société et permettait parfaitement d'identifier son auteur ».
Cette clarification est bienvenue. Certes, cette analyse avait déjà été suivie à propos d’actes de contrainte émis par un organisme de sécurité sociale (Civ. 2ème, 12 mai 2021, n° 20-10.826) ou encore d’un avenant à un accord d’entreprise (Soc., 5 janv. 2022, n° 20-17.113). Mais les faits de ces arrêts rendaient la solution relativement incertaine, d’autant plus qu’une position ministérielle du 1er juillet 2014 avait affirmé qu’une signature manuscrite scannée n’avait « aucune valeur juridique ».
LES FONCTIONS DE LA SIGNATURE
Par cette décision du 14 décembre 2022, dont on peut penser qu’elle est de principe et dont les enjeux dépassent ceux du droit du travail, la Cour de cassation clarifie l’état du droit dans un sens qui est conforme aux règles énoncées par le Code civil.
En effet, l’article 1367 C. civ. exige de la signature, présentée comme « nécessaire à la perfection d’un acte juridique », qu’elle « identifie son auteur » et « manifeste son consentement aux obligations qui découlent de cet acte ». Deux fonctions, donc, qui doivent être remplies afin qu’un signe apposé sur un document puisse être qualifié de signature. Si une croix (Civ. 1ère, 15 juill. 1957, Bull. civ. I, n° 331), un dessin (Civ. 1ère, 12 juill. 1956, Bull. civ. I, n° 302) ou encore une empreinte digitale (Civ., 15 mai 1934, D.P. 1934, I, p. 113) ne peuvent être considérés comme identifiant leur auteur et manifestant son consentement, une signature numérisée peut, à l’inverse, remplir ces fonctions.
Telle est bien l’analyse de l’arrêt du 14 décembre 2022. La Cour de cassation, suivant l’avis de son avocate générale, considère que la valeur juridique d’une signature ne tient pas à sa forme mais à ses fonctions : elle doit permettre l’identification du signataire et établir sa volonté d’engagement. Dans ces conditions, il importe finalement peu que la signature soit numérisée ou non mais il appartient au juge de s’assurer qu’il n’existe aucun doute quant à son auteur.
POINT SENSIBLE : LA QUESTION DE LA CONTESTATION DE LA SIGNATURE NUMÉRISÉE
C'est probablement en cela que réside la principale différence entre la signature manuscrite et la signature numérisée. Lorsque le contrat a été conclu à distance, la preuve que la signature n’a pas été apposée par une autre personne que l’intéressé ne suivra pas le même chemin. Pour la première, la loi fournit un outil : la procédure de vérification d’écriture (C. civ., art. 1373). Pour la seconde, cet outil ne sera évidemment d’aucun secours puisque le risque n’est pas la falsification mais le détournement : un tiers aurait fait usage de la signature numérisée à l’insu de son auteur. Le remède est, alors, la preuve, par tous moyens, que la signature numérisée n’a pas été apposée par son auteur et, en conséquence, qu’elle ne manifeste pas sa volonté de s’engager. Comme pour la signature manuscrite, c’est au juge du fond de procéder aux vérifications au regard des éléments produits aux débats, et d’écarter une signature numérisée à chaque fois qu’il existe un doute sérieux sur son origine.
En définitive, si la valeur juridique de ces signatures est identique, les risques auxquels elles exposent sont différents et il convient d’en tenir compte lorsque l’on a recours à la technique de la signature numérisée.