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La loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022 portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail a institué une présomption de démission en cas d’abandon de poste. Le régime juridique de ce dispositif dérogatoire au droit commun comporte de nombreuses incertitudes. Cette situation pourrait conduire les employeurs, confrontés à des absences injustifiées, à préférer le licenciement disciplinaire à ce nouveau mode de rupture.

QUELQUES RAPPELS

Selon une jurisprudence absolument constante de la Cour de cassation, la démission ne se présume pas et suppose l’existence d’une manifestation de volonté claire et non équivoque de la part du salarié. L’abandon de poste ne permet pas de caractériser une démission.

L’employeur, confronté à une absence injustifiée du salarié et qui souhaite mettre un terme au contrat de travail, doit mettre le salarié en demeure de justifier son absence puis, en l’absence de justification, mettre en œuvre la procédure de licenciement. Cette mise en œuvre ne pose pas de difficulté majeure pour les entreprises : l’absence injustifiée du salarié, malgré une mise en demeure de l’employeur, constitue en principe une faute grave (not., Soc. 16 mai 2007, n°05-45.906 ; 3 déc. 2014, n°13-24.704 ; 12 février 2016, n° 14-15.016).

Le salarié licencié, même pour faute grave ou lourde, a droit au versement de l’allocation d’assurance-chômage. En effet, la rupture unilatérale du contrat de travail par l’employeur constitue, contrairement à la démission, une perte involontaire de son emploi par le salarié, donnant droit à l’allocation (art. L. 5422-1 CT). 

UN NOUVEAU MODE DE RUPTURE DU CDI

Estimant, sans que cela ait été objectivé, que de nombreux salariés abandonnent leur poste pour être licenciés et bénéficier de l’allocation d’assurance-chômage, le législateur a estimé qu’une telle pratique était, en quelque sorte, constitutive d’une « démission silencieuse » et ne devait pas permettre à son auteur de bénéficier de l’allocation. Cependant, plutôt que de modifier en ce sens les conditions relatives au bénéfice de l’allocation d’assurance chômage, le législateur a, de manière curieuse, choisi de créer un nouveau mode de rupture du contrat de travail.

Inséré dans le titre relatif à la rupture du contrat à durée indéterminée, sous le texte relatif à la démission du salarié, le nouvel article L. 1237-1-1 du code du travail dispose que :

« Le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, dans le délai fixé par l'employeur, est présumé avoir démissionné à l'expiration de ce délai.

Le salarié qui conteste la rupture de son contrat de travail sur le fondement de cette présomption peut saisir le conseil de prud'hommes. L'affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui se prononce sur la nature de la rupture et les conséquences associées. Il statue au fond dans un délai d'un mois à compter de sa saisine.

Le délai prévu au premier alinéa ne peut être inférieur à un minimum fixé par décret en Conseil d'Etat. Ce décret détermine les modalités d'application du présent article ».

Ainsi, le salarié qui cesse d’exécuter son travail et qui, malgré une mise en demeure de l’employeur, persiste à ne pas justifier son absence est présumé démissionnaire. 

En d’autres termes, l’absence de reprise du travail au terme du délai imparti par l’employeur dans le courrier de mise en demeure entraine la rupture du contrat de travail et cette rupture produit les effets d’une démission.

On observera que le dispositif ne concerne que la rupture du contrat de travail à durée indéterminée et ne s’applique donc pas lorsque le salarié en contrat à durée déterminée ou en contrat de travail temporaire abandonne son poste avant le terme du contrat. L’entreprise doit toujours, dans une telle hypothèse, mettre en œuvre la procédure de rupture anticipée pour faute grave si elle entend rompre le contrat.

LES CONDITIONS DE MISE EN ŒUVRE DE LA PRÉSOMPTION

Un « abandon de poste volontaire »

Le texte est destiné à s’appliquer lorsque le salarié « abandonne volontairement son poste ». Si elle est d’usage courant, la notion d’abandon de poste n’est pas forcément aisée à cerner juridiquement et paraît devoir être cantonnée à l’hypothèse dans laquelle le salarié cesse d’exécuter son travail sans donner la moindre explication à l’employeur.

Toutes les absences injustifiées ne sont donc pas des abandons de poste

D’abord, la qualification d’abandon de poste et l’application de la présomption devraient être écartées lorsque le salarié, absent dans le cadre d’arrêt de travail pour maladie, ne revient pas dans l’entreprise au terme de son dernier arrêt de travail et cesse de justifier son absence. La Cour de cassation juge que, dans la mesure où le contrat de travail reste suspendu tant qu’aucune visite de reprise n’a eu lieu, aucun abandon de poste ne peut être reproché au salarié (Soc. 20 mars 2013, n° 12-14.779 ; Soc. 9 nov. 2017, 16-16.948). Si la qualification d’abandon de poste est écartée, le fait pour le salarié de ne plus justifier son absence ou de ne pas se rendre à une convocation devant le médecin du travail, malgré une mise en demeure de l’employeur, est constitutif d’une faute grave. Le droit du licenciement devra donc être mis en œuvre dans une telle hypothèse.

Ensuite, et de manière générale, l’application de la présomption risque d’être écartée chaque fois que le salarié prétend donner une raison à son absence (par ex : grève, droit de retrait, refus d’exécuter un ordre qu’il estime contraire à la réglementation, refus d’une modification unilatérale du contrat de travail, etc.). Il importe peu que le refus d’exécuter son travail par le salarié soit ou non véritablement justifié. Dès lors que le salarié prétend justifier son absence par un autre motif que la seule volonté de quitter son emploi, il existe un risque que le juge écarte la qualification d’abandon de poste. Là encore, il est conseillé à l’employeur, qui estime que le refus du salarié d’exécuter son travail est injustifié, de mettre en œuvre une procédure de licenciement.

Une mise en demeure non suivie d’une justification ou d’une reprise du travail

La mise en œuvre de la présomption de démission suppose que l’employeur mette préalablement en demeure le salarié de justifier son absence et de reprendre son poste dans un délai qu’il fixe.

La présomption ne pourra donc pas être mise en œuvre si le salarié invoque un motif d’absence ou s’il réintègre son emploi dans le délai imparti par la lettre de mise en demeure.

La lettre de mise en demeure doit être adressée au salarié par lettre recommandée avec accusé de réception ou par remise en main propre, hypothèse peu probable en cas d’abandon de poste.

C’est l’employeur qui fixe le délai imparti au salarié pour justifier son absence et reprendre le travail. Ce délai ne pourra, cependant, pas être inférieur à une durée minimale fixée par décret en Conseil d’Etat non publié à ce jour.

Le texte légal n’exige pas que l’employeur indique au salarié, dans le courrier de mise en demeure, qu’à défaut de justification ou de retour dans le délai imparti, il sera présumé avoir démissionné. S’agissant de mettre en œuvre une présomption de volonté dérogatoire au droit commun, il peut être recommandé de faire figurer une telle précision dans le courrier.

Quid du salarié protégé ?

La présomption légale de démission peut-elle être appliquée lorsque le salarié qui abandonne son poste dispose d’un mandat et bénéficie du statut protecteur contre la rupture de son contrat de travail ?

Il est admis que le statut protecteur ne s’applique pas lorsque le salarié décide de rompre unilatéralement son contrat de travail. Cette position jurisprudentielle s’explique par le fait que la rupture résulte de la seule volonté du salarié et ne fait pas intervenir l’employeur.

Il n’est toutefois pas certain que les juges judiciaires et administratifs considèrent que le nouveau dispositif de présomption légale de démission permet d’écarter le statut protecteur. S’il produit les effets d’une démission, le dispositif pourrait être analysé comme un mode autonome de rupture faisant intervenir l’employeur, de sorte qu’aucune rupture ne pourrait être constatée sans autorisation administrative préalable.

Compte tenu de cette incertitude et des enjeux attachés à une éventuelle méconnaissance du statut protecteur, on recommandera aux employeurs, confrontés à la situation d’un salarié protégé qui ne justifie pas une absence prolongée malgré une mise en demeure, de mettre en œuvre la procédure d’autorisation de licenciement.

LES EFFETS DE LA PRÉSOMPTION

En l’absence de justification ou de reprise du travail dans le délai imparti par l’employeur, le salarié est présumé avoir démissionné.

Le contrat est donc rompu à la date d’expiration du délai imparti par l’employeur.

Toutefois, dès lors que la rupture obéit au régime juridique de la démission, un préavis, dont la durée résulte de la convention collective applicable ou, à défaut, des usages de la profession, doit en principe s’appliquer (C. trav., art. L. 1237-1).  

L’absence de réaction du salarié dans le délai imparti par la mise en demeure fait donc courir un délai de préavis et il conviendra donc d’attendre l’expiration de ce nouveau délai pour adresser au salarié les documents de fin de contrat.

Si le préavis n’a pas à être rémunéré lorsqu’il n’est pas exécuté par le salarié1, une incertitude pourrait naître si, au cours de ce délai de préavis, le salarié venait à justifier de ces absences ou à reprendre le travail. La question se posera de savoir si une telle situation est de nature à remettre en cause le principe de la rupture ou à renverser la présomption de démission. Là encore, la mise en œuvre d’une procédure de licenciement pourrait permettre à l’employeur de prévenir tout risque.

Le salarié, qui entend contester la rupture sur le fondement de la présomption de démission, peut saisir directement le bureau de jugement qui devra statuer, à bref délai2, sur la nature de la rupture et ses conséquences.

La présomption est une présomption simple. L’une des questions sera de déterminer à quelle condition et dans quelle mesure elle pourra être considérée comme renversée. Suffira-t-il au salarié de rapporter la preuve que son absence ne résultait pas d’une volonté de sa part de quitter l’entreprise ? Le salarié devra-t-il rapporter la preuve que son absence était imputable à une situation dont l’employeur avait connaissance antérieurement à l’expiration du délai de mise en demeure ?

EN CONCLUSION

Les conditions de mise en œuvre et les effets de la nouvelle présomption font donc apparaître un certain nombre de difficultés potentielles.

Dans la mesure où l’employeur conserve en toute hypothèse la possibilité de licencier le salarié pour faute grave en cas d’absence injustifiée, le licenciement doit rester, à notre sens, le mode de rupture privilégié chaque fois qu’il existe une quelconque incertitude quant à la mise en œuvre de la nouvelle présomption de démission.

Si la volonté du législateur était de priver le salarié qui abandonne son poste de travail du droit à l’allocation d’assurance chômage, il lui incombait de modifier les conditions d’ouverture du droit à cette allocation et non de faire dépendre ce droit d’un choix de l’employeur.


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RÉFÉRENCE

1 L’employeur peut même demander judiciairement que salarié qui n’exécute pas son préavis de démission soit condamné à lui verser une indemnité compensatrice (par ex., Soc. 18 juin 2008, n°07-42.161).

2 Le législateur prévoit même un délai d’un mois, dont on sait qu’il est en pratique intenable, pour statuer.


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