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La loi du 8 août 2016 a cherché à rendre la caractérisation des difficultés économiques permettant de justifier un ou des licenciements pour motif économique plus sûre pour les employeurs. A cette fin, l’article L. 1233-3 du code du travail précise notamment qu’ « une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires » peut justifier de tels licenciements et que cette baisse est « constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale » à un nombre de trimestres dépendant de l’effectif de l’entreprise employeur. Malgré l’objectif de sécurisation recherché, la disposition n’est pas des plus claires. Un arrêt rendu le 1er juin 20221 apporte d’intéressants enseignements sur la façon d’appréhender cette « période de référence » qui dure d’un trimestre (pour les entreprises de moins de onze salariés) à quatre trimestres (pour les entreprises de 300 salariés et plus, comme c’était le cas dans l’arrêt commenté)2.

Faits et procédure

En l’espèce, une salariée est convoquée le 16 juin 2017 à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique et son contrat de travail est rompu, le 14 juillet 2017, à l'issue du délai de réflexion dont elle disposait après son adhésion, le 2 juillet 2017, à un contrat de sécurisation professionnelle, le motif économique de la rupture lui ayant été notifié par lettre du 5 juillet 2017. Elle conteste l’existence d’une cause économique réelle et sérieuse à l’origine de la rupture et plus exactement, l’existence de difficultés économiques.

Une cour d’appel estime la rupture justifiée en prenant en compte divers éléments. Elle souligne, tout d’abord, que la procédure de licenciement économique collectif a été engagée au second trimestre 2017, et que « l'appréciation des difficultés économiques doit se faire au regard de l'évolution d'un des indicateurs énumérés par l'article L. 1233-3 du code du travail connus à ce moment là ». La cour d’appel retient donc que c’était au moment du déclenchement de la procédure de licenciement économique collectif qu’il fallait se placer pour apprécier la période de référence de la baisse du chiffre d’affaires qui, rappelons-le, était en l’espèce de quatre trimestres. La cour d’appel ajoute, de manière un peu confuse, qu’il convenait « de se référer à l'exercice clos 2016, seul le premier trimestre 2017 étant alors connu » et compare le chiffre d'affaires de l’année 2016 au chiffre d’affaires de l’année 2015. Elle relève, enfin, que le premier trimestre 2017 n'affichait qu'une légère hausse de 0,50 % par rapport au premier trimestre 2016 mais restait très en deçà du chiffre d'affaires du premier trimestre 2015.

La position de la Cour de cassassion

De ces divers éléments, la cour d’appel tire la conséquence qu’il était ainsi « justifié du recul de quatre trimestres consécutifs de chiffre d'affaires sur l'année 2016 par rapport à l'année 2015, la modeste augmentation de 0,50 % du chiffre d'affaires du premier trimestre 2017 par rapport à celui de 2016, n'étant alors pas suffisante pour signifier une amélioration tangible des indicateur ». Cette motivation est censurée par la Cour de cassation.

Cette dernière, rappelant le principe selon lequel le juge doit se placer à la date du licenciement pour apprécier le motif de celui-ci, en déduit que la durée d'une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires légalement prévue « s'apprécie en comparant le niveau des commandes ou du chiffre d'affaires au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l'année précédente à la même période ».

La cour d’appel s’est donc méprise en prenant en compte l’ouverture de la procédure de licenciement collectif alors qu’elle aurait dû, pour apprécier les trimestres à rebours et vérifier la baisse significative du chiffre d’affaires, se placer au jour du licenciement. Ainsi, la rupture étant intervenue en juillet 2017, il convenait d’apprécier les quatre trimestres de référence antérieurs à partir de cette date et donc prendre notamment en compte le 1er trimestre 2017, en le comparant au 1er trimestre 2016. Cela peut être problématique car certaines réorganisations peuvent, pour diverses raisons, conduire l’employeur à prononcer des licenciements bien après l’ouverture de la procédure de licenciement pour motif économique. Les mesures prises à ce titre peuvent d’ailleurs contribuer à améliorer la « santé économique » de l’entreprise avant que tous les licenciements ne soient prononcés. Les employeurs doivent donc se montrer très vigilants sur ce point lorsqu’ils entendent invoquer des difficultés économiques pour prononcer un ou des licenciements.

Deux enseignements apportés par l'arrêt commenté n° 20-19.957

L’arrêt commenté apporte également deux autres enseignements.

■    D’une part, les trimestres s’apprécient de façon glissante et non pas en considération des années civiles.

■    D’autre part, la baisse significative du chiffre d’affaires ou des commandes doit être continue durant chacun des trimestres visés par la loi en fonction des effectifs de l’entreprise. La cour d’appel ayant constaté une très forte baisse sur les trois premiers trimestres de référence, mais une légère hausse durant le dernier mois (même très modeste), ne pouvait donc considérer que les difficultés économiques étaient caractérisées.

Conclusion

Ce dernier aspect de la décision peut interroger : l’employeur qui ne parvient pas à établir une baisse continue du chiffre d’affaires ou des commandes sur le nombre de trimestres indiqués par la loi avant la date du licenciement ne peut-il pas au moins soutenir qu’il a connu « des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique », « soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés », comme l’admet expressément l’article L. 1233-3 ? Est-il en effet opportun de juger que des difficultés économiques ne peuvent pas être caractérisées quand une entreprise a vu son chiffre d’affaires de 2016 baisser de 22 835 millions d'euros (nombre mentionné dans l’arrêt…)  par rapport à 2015 aux motifs que le premier trimestre 2017 affiche une légère hausse de 0,50 % ?

En réalité, ce texte destiné à sécuriser les employeurs en réduisant la part d’appréciation du juge souffre de sérieuses malfaçons et pose encore de nombreuses questions (par ex : le nombre de trimestres de référence doit-il être déterminé en fonction des effectifs de l’entreprise quand elle appartient à un groupe ? Quand la baisse du chiffre d’affaires ou des commandes est-elle significative ?, etc.). Les entreprises doivent donc, en la matière, faire preuve de vigilance.


Index

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1 Arrêt du 1er juin n° 20-19.957

2 La période est de deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés et de trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés (C. trav., art. L. 1233-3).


AUTEURS

Dirk Baugard
KPMG Avocats

EXPERTISE CONCERNÉE