La situation économique et financière née de la crise sanitaire suscite beaucoup d’interrogations sur la distribution de dividendes pour les sociétés qui le peuvent, mais également sur le maintien ou la révision de la rémunération des dirigeants sociaux.
Situation exceptionnelle
La situation économique et financière née de la crise sanitaire suscite beaucoup d’interrogations sur la distribution de dividendes pour les sociétés qui le peuvent, mais également sur le maintien ou la révision de la rémunération des dirigeants sociaux.
En opportunité, la décision est délicate pour les sociétés. Comment, par exemple, imposer des contraintes aux salariés (chômage partiel) sans concrétiser une forme de solidarité au plus haut niveau ? Mais peut-on exiger des dirigeants une réduction de leur rémunération si la société est en bonne santé financière malgré la crise sanitaire et dès lors qu’ils ont dû encore plus se mobiliser pour y faire face ?
Le dilemme est réel et ne peut être résolu que société par société.
Invitations de l’AFEP
L’AFEP a demandé « aux dirigeants mandataires sociaux qui sont restés à leur poste ou qui sont en télétravail de réduire d’un quart (-25 %) leur rémunération globale qui leur sera versée en 2020 pour la durée où des salariés de leur entreprise seront en chômage partiel. Ces rémunérations non payées seront versées à des actions de solidarité nationale en relation avec la Covid-19 » (Rapport du Haut Comité du gouvernement d’entreprise, novembre 2020, p. 13).
Selon cet organisme, environ 75 sociétés ont annoncé la baisse de la rémunération de leurs dirigeants sociaux, administrateurs et membres du haut management, selon des modalités variées : baisse du fixe, renoncement total ou partiel au bonus au titre de 2019 ou de 2020, réduction du quantum des formules d’incitation à long terme attribuables en 2020, renoncement à des fixes et variables en 2020.
On peut citer, par exemple, la société Saint-Gobain, dans laquelle les deux dirigeants sociaux et les administrateurs ont décidé de réduire de 25 % leurs rémunérations pour 2019 et 2020.
Question juridique
Les organes de décision d’une société cotée peuvent-ils d’autorité imposer aux dirigeants une réduction immédiate de leur rémunération ? Le pivot de la réponse réside dans la distinction entre la reprise de l’acquis et la révision pour le futur.
Sociétés non cotées sur un marché réglementé
La rémunération d’un dirigeant mandataire social d’une société anonyme non cotée sur un marché réglementé, qu’il s’agisse du président et des membres de la direction générale ou des membres du directoire, que ce soit la partie fixe, la partie variable ou la partie exceptionnelle, est décidée unilatéralement par le conseil (d’administration ou de surveillance), sans qu’il y ait à passer par le régime des conventions réglementées (sauf pour les indemnités de départ et de non concurrence).
Elle peut donc être modifiée à tout moment par le même processus, mais cette révision ne peut s’appliquer qu’à compter de la décision et ne peut être rétroactive sauf si, par exception, le dirigeant l’accepte. Cette solution s’impose non seulement pour protéger les dirigeants, mais surtout parce qu’on ne peut revenir unilatéralement sur un accord. Il faut en effet considérer que si la décision est prise unilatéralement par l’organe compétent, il en résulte cependant un accord avec le dirigeant, qui en accepte le bénéfice en la percevant, accord qui ne peut être modifié pour le passé que si le dirigeant y consent.
C’est la position de la Cour de cassation : « le conseil de surveillance ne peut réduire rétroactivement la rémunération des membres du directoire sans l’accord de ceux-ci » (Cass. com. 10 fév. 2009, n°08-12564 ; solution transposable au conseil d’administration pour le président et le directeur général).
Sociétés cotées sur un marché réglementé
Pour les sociétés cotées sur un marché réglementé, la situation est plus complexe. Le conseil d’administration propose une politique de rémunération conforme à l’intérêt social, contribuant à sa pérennité et s’inscrivant dans sa stratégie commerciale, mais il s’agit d’une simple proposition car la politique de rémunération est arrêtée par un vote de l’assemblée générale ordinaire de fin d’exercice (vote ex-ante), qui est ensuite appliquée par le conseil d’administration ou de surveillance.
Sa mise en œuvre est soumise chaque année à un contrôle de l’assemblée générale ordinaire de fin d’exercice par un vote ex-post pour les parties variables et exceptionnelles, sachant qu’à défaut d’approbation a posteriori, seule la partie fixe est versée.
Le conseil peut donc proposer à tout moment la modification de la politique de rémunération, mais son effectivité suppose de repasser devant l’assemblée pour un nouveau vote ex-ante. A défaut par celle-ci d’accepter, la rémunération reste déterminée selon les critères précédents, qui perdurent.
Si la modification est adoptée, elle ne vaut que pour l’avenir. Elle ne peut en effet être rétroactive, sauf si le dirigeant l’accepte. Cette solution repose sur un raisonnement comparable à celui exposé pour les sociétés non cotées : si une assemblée peut modifier pour l’avenir une décision antérieurement prise par celle-ci, elle ne peut revenir en arrière, sauf accord individuel des personnes concernées, pour ne pas porter atteinte à leurs droits acquis. Dès lors, en particulier l’assemblée qui statue ex-post ne pourrait pas revenir sur les critères et modalités retenus par l’assemblée ex-ante, sauf accord des intéressés.
Circonstances exceptionnelles
La loi a prévu qu’en cas de circonstances exceptionnelles, le conseil d’administration peut déroger à l’application de la politique de rémunération si cette dérogation est temporaire, conforme à l’intérêt social et nécessaire pour garantir la pérennité ou la viabilité de la société (article L. 225-37 – 2, III du Code de commerce). Un pouvoir doublement exorbitant est ainsi accordé au conseil d’administration ou de surveillance, qui lui permet, dans des circonstances très exceptionnelles, d’une part de revenir sur le vote ex-ante de l’assemblée, d’autre part d’imposer unilatéralement aux mandataires sociaux une modification rétroactive des modalités de leur rémunération.
Est-ce que la situation sanitaire en cours depuis mars de cette année et les conséquences économiques, financières et sociales qui en résultent, pourraient justifier une telle révision ? Possiblement, mais en fonction de la situation propre de chaque société et au regard des conditions étroites imposées par la loi.