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Nous avons, dans une publication récente, abordé l’obligation pour certains salariés de présenter un pass sanitaire et mis en avant les aspects essentiels du régime correspondant. La loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a également mis en place une obligation vaccinale qui mérite une attention particulière.

Quels sont les travailleurs concernés par l’obligation vaccinale ?

La loi du 5 août 2021 a défini de façon très précise les personnes devant être vaccinées, « sauf contre-indication médicale reconnue » (art. 12, I).

Sont tout d’abord visées les personnes qui exercent leur activité (quelle que soit le statut sous lequel elle est exercée : indépendant, salarié, agent public au sens large) dans quatorze catégories d’établissements que l’on pourrait qualifier de « médico-sociaux » (art. 12, I, 1). Cette liste légale comprend notamment les hôpitaux ou cliniques, qu’ils soient publics ou privés, les centres de santé, les services de prévention et de santé au travail et les services de
prévention et de santé au travail interentreprises, les résidences services, une partie des établissements et services sociaux et médico-sociaux, etc.

Sont ensuite visés les professionnels de santé (au sens des articles L. 4001-1 et s. du Code de la santé publique) qui ne relèveraient pas de cette première liste (art. 12, I, 2), puis les personnes faisant usage de différents titres (psychologue, psychothérapeute, ostéopathe ou chiropracteur) s’ils ne relèvent pas déjà des deux premiers groupes visés (art. 12, I, 3).

Les étudiants ou élèves des établissements préparant à l'exercice des professions de santé ou aux titres précités sont également soumis à l’obligation vaccinale, tout comme « les personnes travaillant dans les mêmes locaux » que les professionnels ainsi visés (art. 12, I, 4). Toutefois, la loi précise que les personnes qui exécutent seulement une tâche ponctuelle au sein des établissements ou des locaux précités (établissements « médicaux sociaux, établissements d’enseignement à certaines professions, lieux dans lesquels les professionnels précités exercent leur activité) ne sont pas tenus de se faire vacciner (art. 12, III). Un document intitulé « «Questions-réponses » émanant du ministère des solidarités et de la santé en déduit que « l’obligation vaccinale est applicable à toutes les personnes intervenant de manière récurrente, y compris non professionnels de santé, exerçant leurs activités dans les établissements et services de santé, les établissements sociaux et médico sociaux soumis à l’obligation vaccinale ».

D’autres personnes sont enfin spécifiquement visées en fonction de l’activité exercée (art. 12, I,5 à 8) : c’est notamment le cas des sapeurs-pompiers, des salariés travaillant auprès de particuliers employeurs bénéficiant de l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA) ou de la Prestation de Compensation du Handicap (PCH) ou des personnes assurant une activité de transport sanitaire.

L’application concrète de ces dispositions n’est pas toujours aisée. À titre d’exemple, la direction générale de la cohésion sociale a estimé devoir adopter une instruction le 11 août 2021 en vue d’exonérer notamment les personnels de crèches de l’obligation vaccinale, ce qui ne va pas de soi à la lecture de la loi.

Quelle obligation vaccinale et selon quel calendrier ?

Naturellement, les personnes qui viennent d’être mentionnées doivent établir qu’elles satisfont à l'obligation de vaccination en présentant un certificat de statut vaccinal (art. 13, I, 1°), mais une dérogation - temporaire- est admise : elles peuvent en effet présenter un certificat de rétablissement, celui-ci ayant toutefois une durée de validité limitée (ibid).Ce dernier suppose la preuve d’un résultat positif à un examen réalisé plus de onze jours et moins de six mois auparavant ; il n'est donc valable que pour une durée de six mois à compter de la date de l'examen et avant la fin de sa validité, les personnes concernées devront présenter un justificatif de vaccination. Enfin, certaines personnes normalement concernées peuvent établir qu’elles ne sont pas soumises à l’obligation vaccinale en présentant un certificat médical de contre-indication qui peut, le cas échéant, comprendre une date de validité (art. 13, II, 2°). Les cas de contre-indication médicale (généraux et temporaires) faisant obstacle à la vaccination contre la covid-19 sont précisément déterminés (annexe 2 au décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 modifié). 

Conscient que l’application immédiate de ces exigences pouvait être problématique, le législateur a mis en place un régime échelonné de respect de ces obligations. Jusqu'au 14 septembre 2021 inclus, les personnes précédemment mentionnées ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents évoqués (justificatif vaccinal ou certificat de rétablissement encore valide) ou, par dérogation, le résultat valide d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 (art. 14, I, A).  Ce test doit remonter au maximum à 72 heures (art. 49-1 du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 modifié) et il doit s’agir d’un examen de dépistage RT-PCR, d’un test antigénique ou d’un autotest réalisé sous la supervision d'un professionnel de santé qualifié (art. 2-2, 1°). À compter du 15 septembre 2021 jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, les travailleurs concernés sont autorisés à exercer leur activité si, dans le cadre d'un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, ils justifient de l'administration d'au moins une des doses requises et présentent le résultat, pour sa durée de validité, d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 (art. 14, I, B)

Les obligations de contrôle pesant sur l’employeur ?

Les salariés (il en va de même pour les agents publics) doivent justifier avoir satisfait à l'obligation ou ne pas y être soumis « auprès de leur employeur » (art. 13, II), et il est expressément prévu que ce dernier est « chargé de contrôler le respect de l'obligation (...) par les personnes placées sous leur responsabilité » (art. 13, V). L’absence de contrôle est sanctionnée par l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe, la procédure de l'amende forfaitaire étant possible (art. 16 qui renvoie à l’art. 529 CPP). Une violation répétée à plus de trois reprises dans un délai de trente jours expose à un an d'emprisonnement et 9 000 € d'amende (art. 16).

La présentation des documents pertinents (justificatifs vaccinaux, certificat de rétablissement, etc.) est contrôlée dans les mêmes conditions que celles qui sont applicables au passe sanitaire (art. 49-1 du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 modifié). Nous les avons déjà exposées dans notre publication récente consacrée à ce passe et renvoyons donc aux solutions retenues quant aux personnes pouvant concrètement contrôler les salariés, aux éléments dont ils peuvent prendre connaissance, au rôle du CSE ou encore à l’absence de nécessité de modifier le règlement intérieur. Relevons seulement que la loi prévoit expressément que l’employeur peut conserver les résultats des vérifications de satisfaction à l'obligation vaccinale contre la covid-19 opérées jusqu'à la fin de l'obligation vaccinale, mais il doit s’assurer de la conservation sécurisée de ces documents et, à la fin de l'obligation vaccinale, de la bonne destruction de ces derniers (art. 13, IV).

Quelles conséquences sur le contrat de travail en cas de non-respect de l’obligation vaccinale ?

Comme il le fait en matière de passe sanitaire, le législateur prévoit la suspension du contrat de travail des salariés récalcitrants. Ainsi, lorsque l'employeur constate qu'un salarié ne peut plus exercer son activité pour ne pas avoir respecté ses obligations, il lui incombe d’informer ce dernier « sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation » (art. 14 II). Le salarié concerné peut alors, tout comme celui qui ne se soumet pas aux exigences liées au passe sanitaire, utiliser des jours de repos conventionnels ou des jours de congés payés, si l’employeur donne son accord (la possibilité d’un refus abusif a déjà été évoquée dans notre présentation du passe). Si cette utilisation n’est pas souhaitée ou n’est pas accordée, le contrat de travail du salarié est suspendu avec interruption du versement de la rémunération. Cette suspension s’achève, logiquement, dès que le salarié remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité.

Cette suspension se distingue à quelques égards de celle qui est prévue en matière de non présentation du passe sanitaire. On notera, tout d’abord, que la loi impose à l’employeur d’informer le salarié récalcitrant des conséquences qu’emporte l’interdiction d’exercer qui le concerne sur son emploi tandis qu’il prévoit, en matière de passe sanitaire, une « notification de la suspension du contrat le jour même » si le salarié n’entend pas utiliser des jours de repos de congés ou si cela lui est refusé. Relevons ensuite que le législateur a pris soin de préciser, ce qu’il n’a pas fait à propos du passe sanitaire, que la période de suspension « ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits légaux ou conventionnels acquis par le salarié au titre de son ancienneté ». Faut-il en déduire qu’il doit en aller autrement en matière de passe sanitaire ? En matière de congés payés, cela paraîtrait étonnant dès lors que, sauf assimilation par la loi à du travail effectif ou dispositions conventionnelles contraires, les périodes de suspension n’ouvrent normalement pas droit à congé payé. La question tendant à savoir si les effets de la suspension sur l’ancienneté pourraient différer selon la nature de l’obligation en cause (passe ou obligation vaccinale) paraît plus complexe car l’on sait qu’au sein du Code du travail, la suspension entraîne diverses conséquences selon le motif de suspension du contrat et l'avantage ou le droit concerné.

Deux autres différences sensibles doivent enfin être soulignées. La première porte sur l’absence de convocation nécessaire à un entretien, dont l’objet est d'examiner avec le salarié les moyens de régulariser sa situation, prévue au contraire en matière de passe sanitaire après 3 jours « travaillés » de suspension. En matière d’obligation vaccinale, l’employeur doit seulement, à s’en tenir aux termes de la loi, informer le salarié en amont « des moyens de régulariser sa situation ». Rappelons à cet égard que la loi du 5 août 2021 a instauré une autorisation d’absence « pour se rendre aux rendez-vous médicaux liés aux vaccinations contre la covid-19 » et que cette absence n’entraîne « aucune diminution de la rémunération et [est] assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits légaux ou conventionnels acquis par les intéressés au titre de leur ancienneté » (art. 17). Aussi peut-on penser que l’employeur, au titre de son devoir de loyauté, doit attirer l’attention du salarié sur ce dispositif. Faut-il, au titre d’une « régularisation », envisager le passage au télétravail ? Au-delà des difficultés propres au régime du télétravail, la question soulève des interrogations liées à son rapport avec l’obligation vaccinale. Le document Questions/réponses élaboré par le ministère des solidarités et de la santé affirme ainsi qu’ « il n’y a pas de distinction pour les personnes en télétravail, donc l’obligation vaccinale leur est applicable ». Le télétravail ne pourrait pas constituer un mode de régularisation, ce qui peut être discuté, l’obligation vaccinale paraissant s’appliquer aux salariés exerçant leur activité dans des espaces précis, et pas seulement en considération de l’activité de leur employeur (v. plus haut). Le document Questions/réponses issu du ministère du travail adopte d’ailleurs une autre position : « En principe, l’employeur ne peut pas imposer le télétravail. Toutefois, en période d’urgence sanitaire, comme actuellement et jusqu’au 15 novembre, l’employeur peut imposer à son salarié de télétravailler un certain nombre de jours par semaine si ses activités sont éligibles à ce mode de travail ». 

La seconde différence trouve son origine dans une disposition spécifiquement liée à l’obligation vaccinale. Il est ainsi prévu que pendant la suspension du contrat de travail, « le salarié conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit », cette disposition étant d’ordre public (art. 14, II). Elle semble donc s’imposer aux actes fondateurs d’un régime de protection sociale complémentaire qui prévoient le gel des garanties en cas de suspension du contrat. La mise en œuvre de ce mécanisme pourrait s’avérer difficile puisque la suspension du contrat envisagée s’accompagne de l’interruption du versement de la rémunération, ce qui soulève notamment des doutes quant au financement du régime en cas de précompte.

Quelles conséquences si la suspension perdure ?

Dans le cadre de notre présentation du passe sanitaire, nous avons déjà vu que la persistance de la suspension du contrat de travail ne constituait pas en soi une cause de rupture du contrat de travail, qu’il ait été conclu à durée déterminée ou à durée indéterminée. À ce propos, les solutions dégagées sont identiques s’agissant de l’obligation vaccinale. Le licenciement d’un salarié réfractaire ne peut pas reposer sur un motif disciplinaire, mais pourrait peut-être être justifié par les perturbations provoquées par son absence prolongée et la nécessité consécutive de procéder à un remplacement définitif. On rappellera seulement qu’en matière de suspension du contrat de travail consécutive à une maladie ou à un accident d’origine non professionnelle, ce motif est certes admis, mais de manière très stricte par la Cour de cassation. Pour les salariés recrutés par contrat à durée déterminée, aucune cause de rupture anticipée ne semble envisageable. A propos de l’obligation vaccinale, la loi ne fait que rappeler le droit commun en énonçant que « lorsque le contrat à durée déterminée d'un salarié est suspendu (...), [il] prend fin au terme prévu si ce dernier intervient au cours de la période de suspension » (art. 14, III).

AUTEURS

Dirk Baugard
KPMG Avocats

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