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La loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire publiée le 6 août, après examen du Conseil constitutionnel (déc. n° 2021-824 DC du 5 août 2021), a notamment habilité le Premier ministre à adopter un décret subordonnant « l’accès à certains lieux, établissements, services ou évènements où sont exercées diverses activités » à la présentation d’un « passe sanitaire ». Ce dernier, initialement mis en place le 9 juin 2021 voit ainsi son rôle considérablement étendu. Il sera l’objet principal des développements suivants, qui n’abordent qu’une partie des multiples interrogations soulevées par ce dispositif. Il ne faut néanmoins pas perdre de vue que la loi précitée a également instauré une obligation vaccinale, concernant principalement les soignants, et qui sera commentée dans une prochaine publication de KPMG Avocats.

Deux décrets et un arrêté parus au Journal officiel du 8 août, ont rendu possible l’entrée en vigueur de l’exigence de présentation par le public du « passe sanitaire » pour accéder à certains lieux et établissements à partir du 9 août. Cette obligation de présentation de ce « passe » dans certains lieux est étendue, à compter du 30 août 2021 (30 septembre 2021 pour les salariés mineurs de plus de 12 ans) aux salariés exerçant leur activité dans les mêmes lieux ou établissements, si certaines conditions sont réunies.

En l’état, il s’agit d’imposer la présentation, sous forme numérique ou papier, d’une des trois preuves suivantes : soit, la justification de l’absence de contamination par la Covid-19, établie par un examen de dépistage RT-PCR, un test antigénique ou un autotest réalisé sous la supervision d’un professionnel de santé d’au plus 72 heures ; soit, un justificatif du statut vaccinal attestant d'un schéma vaccinal complet (avec respect d’un délai après injection finale) de l’un des vaccins contre la Covid-19 autorisés ; soit, un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination par la Covid-19, selon certaines conditions. Il faut également noter qu’une attestation de contre-indication médicale fait office de passe sanitaire (art. 1 J de la loi et art. 2-4 du décret n° 2021-699 modifié). Elle est remise par un médecin en cas de contre-indications, limitativement définies par le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021, faisant obstacle à la vaccination.

Activités et lieux concernés

En l’état, le « passe sanitaire » n’est pas universellement exigé et le Premier Ministre a d’ailleurs récemment déclaré que sa généralisation à toutes les entreprises n’était pas d’actualité. Le législateur et le pouvoir réglementaire ont ainsi décidé d’en réserver l’usage à certains lieux, établissements ou évènements présentant un risque de diffusion épidémique jugé élevé, la liste établie (sur laquelle, v. art. 47-1 II du décret n° 2021-699 modifié) pouvant parfois paraître manquer de cohérence.

Par souci de simplicité, il est possible de distinguer quelques grandes catégories de lieux, établissements ou événements concernés, pour lesquels aucune « jauge » minimale de personnes présentes n’est désormais requise :

▪ les lieux d’activités et de loisirs (concerts, spectacles, cinémas, événements sportifs - qu’ils soient ou pas en plein air-, etc.) ;
▪ les activités de restauration commerciale ou de débit de boissons (même pour le service en terrasse), à l'exception de la restauration collective, de la vente à emporter de plats préparés et de la restauration professionnelle routière et ferroviaire ;
▪ les foires, séminaires et salons professionnels ;
▪ les déplacements de longue distance par transports publics interrégionaux, sauf en cas d’urgence (le document Questions/Réponses publié sur le site du Ministère du travail, actualisé le 20 août 2021,évoquant « les trains à réservation, les vols nationaux ou encore les cars interrégionaux ») ;
▪ les grands magasins et centres commerciaux supérieurs à 20 000 m², mais seulement sur décision motivée du préfet de département, « lorsque leurs caractéristiques et la gravité des risques de contamination le justifient et dans des conditions garantissant l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité ainsi, le cas échéant, qu'aux moyens de transport ». Plusieurs arrêtés préfectoraux adoptés sur le fondement de ce texte ont déjà été contestés devant les tribunaux administratifs par le biais de « référés-liberté » (art. L. 521-2 CJA), notamment en ce qu’ils imposaient le « passe sanitaire » pour l’accès à l’ensemble des commerces (même de première nécessité) situés dans des centres commerciaux, avec des résultats divers selon les juridictions (v., par ex., TA Versailles, 24 août 2021, n° 2107184 ; TA Toulouse, 24 août 2021, n° 2104928). 

Quels sont les travailleurs concernés

L’obligation de présentation d’un « passe sanitaire » s’applique, à compter du 30 août 2021 (30 septembre 2021 pour les salariés mineurs de plus de 12 ans), aux « salariés, agents publics, bénévoles et aux autres personnes qui interviennent dans les lieux, établissements, services ou évènements concernés, lorsque leur activité se déroule dans les espaces et aux heures où ils sont accessibles au public, à l'exception des activités de livraison et sauf intervention d'urgence » (art. 47-1 IV, décret n° 2021-699 modifié). Les conditions spatiales et temporelles sont donc cumulatives. Le document Q/R, en déduit que les salariés, bénévoles, prestataires, intérimaires, sous-traitants qui interviennent dans des lieux et établissements soumis au « passe sanitaire » n’ont pas l’obligation de le présenter si « leur activité se déroule dans des espaces non accessibles au public (ex : bureaux) » ou « en dehors des horaires d’ouverture au public ». Le document indique en outre que l’obligation ne s’applique pas aux « personnels effectuant des livraisons » ainsi qu’à « ceux effectuant des interventions d’urgence ».

Afin de permettre aux travailleurs concernés de se conformer aux exigences légales et d’inciter à la vaccination, la loi du 5 août 2021 prévoit que « les salariés, les stagiaires et les agents publics bénéficient d'une autorisation d'absence pour se rendre aux rendez-vous médicaux liés aux vaccinations contre la covid-19 ». Cette autorisation, qui ne concerne pas la simple réalisation de tests, n'entraîne aucune diminution de la rémunération et est assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits légaux ou conventionnels acquis par les intéressés au titre de leur ancienneté (art. 17).

La loi exige enfin la présentation des documents nécessaires par les salariés concernés, ce qui explique certainement, avec d’autres règles plus générales relatives au recrutement, l’indication par le document Q/R que les justificatifs requis doivent être présentés par les personnes recrutées au moment de leur entrée en fonction, le « futur » employeur devant, selon ce document, uniquement informer le candidat sélectionné de son obligation et des conséquences attachées à un éventuel manquement.

Quelles sont les modalités de contrôle ?

Le décret n° 2021-699 modifié prévoit que sont notamment autorisés à contrôler les justificatifs liés au passe sanitaire « les exploitants de services de transport de voyageurs » et « les responsables des lieux, établissements et services ou les organisateurs des évènements dont l'accès est subordonné à leur présentation » (art. 2-3, II). Ceux-ci doivent habiliter nommément les personnes et services autorisés à procéder aux contrôles pour leur compte et tenir un registre détaillant les personnes et services ainsi habilités, la date de leur  habilitation, ainsi que les jours et horaires des contrôles effectués par ces personnes et services. La lecture des justificatifs peut être réalisée au moyen d'une application mobile dénommée “ TousAntiCovid Vérif ”, ou de tout autre dispositif de lecture répondant à des conditions fixées par arrêté des ministres chargés de la santé et du numérique, ce qui suppose alors un information du préfet de département. Dans les lieux, établissements, services et évènements recevant du public, les personnes et services habilités par les employeurs ne peuvent lire que les nom, prénoms, date de naissance des personnes contrôlées, et le résultat positif ou négatif de détention d’un justificatif conforme. Le ministère insiste dans son document Q/R sur le fait que l’employeur ne peut pas conserver le justificatif, mais qu’il lui est en revanche loisible de conserver le résultat du contrôle opéré (le passe est-il valide ou non ?) et délivrer, le cas échéant, un titre spécifique permettant ensuite une vérification simplifiée. Il ajoute que les « informations ainsi collectées sont des données à caractère personnel soumises au Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) ».

L’employeur est donc susceptible de mettre en place des mesures de contrôle qui pourraient nécessiter, selon le « droit commun » et dans les entreprises et établissements d'au moins cinquante salariés, une consultation préalable du comité social et économique. Par dérogation aux articles L. 2312-8 et L. 2312-14, la loi du 5 août 2021 permet à l'employeur de simplement informer, sans délai et par tout moyen, le comité des mesures de contrôle résultant de la mise en œuvre des obligations précitées. L'avis du comité social et économique peut intervenir après que l'employeur a mis en œuvre ces mesures, au plus tard dans un délai d'un mois à compter de la communication par l'employeur des informations sur lesdites mesures. En revanche, selon le document Q/R, ces mesures n’auraient pas à être intégrées dans le règlement intérieur, dès lors que les dispositions en cause s’imposent légalement tant aux employeurs qu’aux salariés.

Notons que le même document Q/R aborde la situation des salariés mis à disposition (travail temporaire, groupements d’employeurs) soumis à l’obligation de présentation du passe sanitaire, en estimant que le contrôle du respect de cette obligation incombe à l’entreprise utilisatrice, même si elle n’est pas l’employeur des salariés, dès lors qu’elle est responsable des conditions d’exécution du travail. Le salarié qui ne pourrait ainsi effectuer sa tâche devrait en informer son employeur.

Enfin, il faut rappeler que les exploitants de service de transport et les exploitants de lieux ou d’établissement concernés doivent procéder au contrôle de la détention des justificatifs requis « par les personnes qui souhaitent y accéder », ce qui paraît intégrer les travailleurs. Dans le cas contraire, les premiers sont punis de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe, avec des peines plus élevées si une telle infraction est verbalisée à plus de trois reprises au cours d'une période de trente jours. Pour les seconds, une mise en demeure par l’autorité administrative fixe un délai de « régularisation » qui ne peut être supérieur à 24h ouvrées. Si la mise en demeure est infructueuse, l'autorité administrative peut ordonner une fermeture administrative pour une durée maximale de sept jours, qui est levée si l'exploitant du lieu ou établissement ou le professionnel responsable de l'évènement apporte la preuve de la mise en place des mesures nécessaires. Si un manquement mentionné est constaté à plus de trois reprises au cours d'une période de quarante-cinq jours, il est puni d'un an d'emprisonnement et de 9 000 € d'amende.

Quelles conséquences pour le salarié qui ne présente pas le passe sanitaire ?

Lorsqu’un salarié ne se soumet pas à l’obligation de présenter le passe sanitaire, il lui est possible, avec l’accord de l’employeur toutefois, d’utiliser des jours de repos conventionnels ou des jours de congés payés. Des salariés pourraient contester le refus de leur employeur en l’estimant abusif, notamment lorsque l’employeur n’avance aucune explication (bien que la loi n’exige pas expressément de motivation). Si ces jours de repos conventionnels ou des jours de congés payés ne sont pas utilisés, il appartient à l’employeur de notifier, par tout moyen et le jour même, la suspension du contrat de travail, avec interruption du versement de la rémunération. Cette suspension ne s’achèvera que si le salarié produit les justificatifs requis.

Toutefois, lorsque cette suspension se prolonge au-delà d’une durée équivalente à trois jours travaillés, l’employeur doit convoquer le salarié à un entretien afin d’examiner avec lui les moyens de régulariser sa situation, et notamment les possibilités d’affectation, le cas échéant temporaire, au sein de l’entreprise sur un autre poste non soumis à cette obligation. On songe évidemment, comme autre moyen possible, à un passage au télétravail, dans les conditions définies par un accord collectif ou, à défaut, par une charte élaborée après avis du comité social et économique. Certes, en principe, le télétravail suppose l’accord du salarié mais en cas de circonstances exceptionnelles, notamment en cas de menace d'épidémie, il peut être considéré « comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l'activité de l'entreprise et garantir la protection des salariés » (C. trav., art. L. 1222-9 et L. 1222-11). C’est pourquoi le document Q/R affirme qu’« en période d’urgence sanitaire, comme actuellement et jusqu’au 15 novembre, l’employeur peut imposer à son salarié de télétravailler un certain nombre de jours par semaine si ses activités sont éligibles à ce mode de travail ».

Cet entretien soulève de nombreuses questions. Les premières portent sur ses conditions de déroulement, qui ne sont en rien encadrées par les textes. Bien évidemment, malgré l’absence de règles formelles, il appartient à l’employeur de s’assurer qu’il est en mesure de prouver par tout moyen qu’il a bien convoqué le salarié (sans doute pour un entretien  devant se tenir dans un délai assez bref) et tenu l’entretien si le salarié a entendu s’y rendre (le fait de ne pas s’y présenter ne pourrait-il d’ailleurs pas être fautif, dès lors que son objet est de régulariser la situation du salarié ?). Une autre difficulté porte sur le lieu de tenue de l’entretien, compte tenu de la situation du salarié dépourvu de passe sanitaire. Le document Q/R du ministère recommande à ce propos « de réaliser l’entretien en présentiel, dans un lieu non soumis à l’obligation de présentation du passe sanitaire (...) ou à distance en visio conférence ». Des litiges pourraient naître si le lieu d’entretien est à l’origine de frais de déplacement, auquel cas une comparaison avec les solutions retenues en matière d’entretien préalable au licenciement serait peut-être fructueuse (v., par ex., Soc. 28 janv. 2005, n° 02 45.971).

L’employeur a-t-il, ensuite, l’obligation de proposer une telle affectation temporaire au salarié si elle est matériellement possible ? Il paraîtrait paradoxal que l’employeur doive examiner les possibilités d’affectation temporaire mais puisse ne pas proposer au salarié concerné d’occuper un poste effectivement libre. En outre, l’obligation d’exécution du contrat de travail de bonne foi (art. L. 1222-1) n’impose-t-elle pas naturellement à l’employeur de proposer une telle affectation au salarié qui ne perçoit aucune rémunération ? En d’autres termes, même si la loi ne parle pas explicitement d’obligation de reclassement (provisoire), plusieurs éléments invitent à penser qu’il pourrait être reproché à l’employeur de ne pas avoir sérieusement recherché ces possibilités d’affectation temporaire ou de ne pas les avoir proposées si elles existent ce qui pourrait conduire l’employeur à opérer un choix si le nombre de salariés concernés dépasse celui des postes ainsi disponibles. Le document Q/R du ministère est, sur ce point, assez confus en affirmant que « même s’il ne s’agit pas d’une obligation, tout doit être mis en œuvre pour régulariser la situation et, en cas de contentieux, la recherche d’affectation sera un des éléments que le juge pourra prendre en compte ».  

En supposant qu’une affectation temporaire soit possible, peut-elle être imposée au salarié ? Cela n’est pas envisageable si cette affectation, même temporaire, entraîne une modification du contrat de travail. Dans les autres cas, on peut penser que l’employeur ne fait qu’exercer son pouvoir de direction et que le salarié ne saurait, sauf atteinte injustifiée ou
disproportionnée à un droit ou à une liberté (par application de l’article L. 1121-1), s’opposer valablement à une décision dont l’objet est, selon la loi, d’opérer une « régularisation de sa situation » (art. 1 C1). L’automatisme du retour à l’ancien poste occupé par le salarié qui présenterait finalement le passe sanitaire pourrait également être source de difficultés.

Enfin, la persistance de la suspension du contrat de travail pourrait conduire les employeurs à envisager la rupture du contrat de travail des salariés concernés. Le Conseil constitutionnel a rappelé que « le législateur a entendu exclure que la méconnaissance de l'obligation de présentation des justificatif, certificat ou résultat précités puisse constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement d'un salarié en contrat à durée indéterminée » (déc. préc., § 75). Cela ne semble pas écarter la possibilité d’un licenciement justifié par une autre cause objective, qui pourrait peut-être, à l’image des salariés dont le contrat est suspendu consécutivement à une maladie ou à un accident de nature non professionnelle, consister dans les perturbations provoquées par l'absence prolongée du salarié si elles entraînent la nécessité pour l'employeur de procéder à son remplacement définitif par l'engagement d'un autre salarié. On sait, cependant, que la Cour de cassation est exigeante en la matière, qu’il s’agisse de la forme que doit respecter la lettre de licenciement ou du contrôle des conditions substantielles qui rendent ce motif légitime (v., par ex., Soc. 24 mars 2021, n° 19-13.188). Quant aux salariés recrutés par CDD, le Conseil constitutionnel a déclaré non conformes à la Constitution les dispositions qui faisaient de la non présentation du passe sanitaire un motif de rupture anticipée du contrat à durée déterminée ou de mission. Il faut donc respecter les dispositions de l’article L. 1243-1 du Code du travail, et il paraît dès lors difficile de justifier la rupture anticipée d’un CDD pour absence de passe sanitaire (il n’y a ni inaptitude, ni force majeure, ni faute grave, compte tenu de ce qui vient d’être dit). En revanche, en l’absence de règle dérogatoire, il convient d’appliquer l’article L. 1243-6 : la suspension du contrat de travail à durée déterminée liée à l’absence de passe sanitaire ne fait pas obstacle à l'échéance du terme du contrat.

AUTEURS

Dirk Baugard
KPMG Avocats

EXPERTISE CONCERNÉE